Critique 


Revue Critique

Critique n° 862 : Jocelyn Benoist : le réalisme à l'état vif


2019
96 pages
ISBN : 9782707345424
12.00 €

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Dans le concert de professions de foi réalistes qui caractérise notre moment philosophique, Jocelyn Benoist introduit une voix dissonante. La position qu’il défend est celle d’un réalisme résolument non spéculatif : un réalisme contextuel, inséparable du riche tissu de normes, de manières de dire et de faire dont se nourrit en pratique toute pensée du réel, y compris dans ses formes apparemment les plus radicales, sous les auspices du phénomène, du sensible pur ou du dehors absolu… Issu de la tradition phénoménologique dont il est un des meilleurs connaisseurs, il a souvent croisé les chemins de Wittgenstein, d’Austin et de Cavell. Le dossier réuni par Christiane Chauviré retrace cet itinéraire critique en faisant apparaître ses prolongements au cœur des débats contemporains, du côté de la métaphysique, de l’esthétique ou de la philosophie sociale et politique.



Sommaire


Christiane CHAUVIRÉ : Présentation

Bibliographie de Jocelyn Benoist

Markus GABRIEL : Concepts et objets dans les « nouveaux réalismes »

Bruno KARSENTI : Une chose parmi les choses

Élise MARROU : Cacophonie en moi

Ronan de CALAN : Le fil rouge. Politique du réalisme


ENTRETIEN

Jocelyn BENOIST : « Qu’est-ce que rendre justice aux choses ? »


Gérald SFEZ : Prophétisme et génie de l’art. Moïse contre Hitler

Joël BIARD : Toute-puissance ou puissance absolue ? Variations sur la puissance divine au Moyen Âge

Pierre-Mong LIM : Faire le vide. Néant et violence dans le geste pur    

Nicolas Weill, Le Monde, 30 mars 2019

La philosophie comme discipline académique continue de vivre sa vie propre et de répondre aux questions qu’elle se pose à elle-même, sans se laisser imposer son rythme par les sollicitations des médias ni de la mode. C’est à une œuvre tirée de cet humus-là que la revue Critique consacre son dossier de mars en saluant le travail discret mais important de Jocelyn Benoist, professeur à Paris-I depuis 2004, dont la bibliographie rassemble déjà une bonne quinzaine d’ouvrages. Les contributions dues à ses collègues (Christiane Chauviré, Markus Gabriel, Elise Marrou, Bruno Karsenti et Ronan de Calan, à quoi s’ajoute un entretien avec Jocelyn Benoist lui-même) retracent avec brio et chaleur un itinéraire de pensée et révèlent les tournants qui affectent en ce moment l’ensemble du « champ » philosophique.
Jusqu’à présent, la philosophie était structurée par un clivage, hérité du XXe siècle, opposant en gros deux styles de philosophie. Le premier, dit « continental », a été dominé par la phénoménologie d’Edmund Husserl (1859 – 1938), qui se concentre sur la façon dont les objets se présentent soit à la conscience, soit à ola connaissance puis par la médiation sur l’Être de Martin Heidegger (1889 – 1976). Ce versant « continental » correspondrait à une volonté philosophique d’aller aux « choses mêmes » et d’explorer leur essence.
Au contraire, le second courant, qualifié d’« analytique ou de « philosophie anglo-saxonne », quoique ses initiateurs aient été souvent allemands ou autrichiens à l’instar de Ludwig Wittgenstein (1889 – 1951), voue la philosophie à une tâche plus modeste, celle d’auxiliaire des sciences chargée d’étudier l’argument, le langage et de garantir la cohérence logique du discours.
Avec le temps, les frontières qui délimitaient ces approches sont devenues plus poreuses. L’évolution de Jocelyn Benoist, venu de la phénoménologie (et qui reste un admirateur de Maurice Merleau-Ponty), comme d’autres de ses collègues français appartenant à la même génération que lui (Isabelle Thomas-Fogiel ou Claude Romano) en témoigne. Ils sont de plus en plus nombreux à intégrer à leur réflexion « continentale » les acquis et les méthodes de la philosophie analytique. Marginale dans la philosophie française d’après-guerre, cette dernière s’est imposée à l’université à partir des années 1970 grâce aux travaux pionniers de Jacques Bouveresse, notamment. Désormais, le temps de la convergence semble succéder à celui de l’affrontement.
L’autre virage illustré par le cheminement de Jocelyn Benoist, tient à l’’adoption d’un « réalisme » théorique. Cette position tend à se substituer au « constructivisme », qui voit dans la réalité sociale et sensible une construction, surestimant, selon Jocelyn Benoist, les pouvoirs de la pensée et du sujet. Au « rien n’est donné, tout est construit », on privilégie, non la « chose en soi », mais la « réalité ordinaire » tandis que le sujet n’est plus qu’une « chose parmi les choses » n’ayant sur elles aucun surplomb. Jocelyn Benoist emprunte cette voie depuis les années 2000. En cela aussi, son évolution est exemplaire.

 

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