Critique 


Revue Critique

Critique n° 651-652 : Alain Robbe-Grillet


2001
144 p.
ISBN : 9782707317483
10.98 €

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Présentation

Préface
Jeux de miroirs pour un anniversaire

Une fois de plus, Robbe-Grillet s'avance dans son labyrinthe de miroirs, de couloirs interminables, de photographies surexposées, de gestes ébauchés, de poses ou d'images érotiques, bric à brac de reliques, de chaussures de bal abandonnées, de cartes postales, de fétiches, de récits suspendus, de figures sardoniques de la mort ; et la tentation est vive de l'imiter dans ce geste d'autoparodie qui est le sien depuis son tout premier livre, Un régicide.
A quatre-vingts ans, tuer le roi autocouronné du Nouveau Roman en l'enterrant sous l'hommage ? le numéro qu'on va lire tente de déjouer ce piège et ne s'interdit pas un peu de bouffonnerie critique. C'est que, depuis Le Voyeur, de savants discours escortent gravement l'aventure de l'écriture robbe-grilletienne, ses fastes liquides et ses pompes ironiques. L'Université a pris très rapidement au sérieux un écrivain qui ne l'était guère. On ne voit pas Robbe-Grillet dire à la manière de Malraux :  Ce n'est pas sérieux , pour dénoncer une fausse intelligence de l'histoire. Au contraire, plus les critiques l'on pris au sérieux en le référant au monde, plus il a semblé s'amuser lui-même, et s'est mis à leur tendre des miroirs où ses propres textes les piégeaient dans un palais des glaces. Il est devenu le champion absolu de l'autoréférentialité. Après quoi, le romancier du regard objectif s'est affirmé parangon de subjectivité - l'important pour lui étant de garder la maîtrise du jeu.
Alain Robbe-Grillet, marionnettiste ? De ce numéro, il n'a même pas eu à tirer les fils, se contentant de lui donner son impulsion initiale. Cela s'appelle le coup de confiance. Nous avons choisi les auteurs en toute liberté, mais sous la plus efficace des contraintes : celle de l'amitié, ce primum mobile de bien des entreprises littéraires. Nous avons fait appel à des familiers de l'œuvre, qui ont saisi l'occasion de revisiter de ce que Robbe-Grillet appelle, non sans coquetterie, ses  petits travaux . Et nous avons laissé venir les textes que la seule rumeur du projet suscitait. Ce numéro, en somme, s'est fait tout seul. Il a suffi d'en ordonner le sommaire. Mais c'est à l'amitié, encore, que nous devons de pouvoir offrir aux lecteurs trois fragments inédits : les premières pages de La Reprise (à paraître en octobre aux Editions de Minuit) et deux fragments d'un scénario intitulé C'est Gradiva qui vous appelle, dont la publication est prévue pour 2002.
Car plus encore qu'un anniversaire ou une fidélité - à Jérôme Lindon, son éditeur, et à la revue, où Roland Barthes publié en 1954 et 1955 deux articles décisifs pour la fortune du Nouveau Roman,  Littérature objective  et  Littérature littérale  -, c'est une reprise que l'on célèbre ici. Celle, par Robbe-Grillet, de toute sa thématique et de toutes les ressources de son écriture dans La Reprise, son  Nouveau Roman , qui est en réalité le retour de l'ancien Nouveau Roman par la voie d'une radicalisation souterraine. Reprise aussi de nombreux thèmes critiques que les exégètes, décrypteurs, commentateurs savants, laudateurs impénitents de Robbe-Grillet ont lancé dans le débat littéraire depuis la création de cette école du Regard qui a tant irrité les traditionalistes et qui, pour nous, aujourd'hui, est d'abord et surtout l'expérience d'un auteur aux prises avec sa propre psyché - et un peu celle des autres telle que les images du siècle permettent de s'en faire une idée.
Robbe-Grillet auteur engagé ? Oui : engagé dans une écriture de miroirs sans autres reflets que le leur propre, une écriture de l'écriture. Ce XXe siècle où il a fait minuit plus que de raison a produit là sa propre version de l'Art pour l'Art (cum grano salis) sur un fond d'inquiétude et, si l'on peut dire, de conscience à vif des pulsions inconscientes. Cette écriture cherche sa maîtrise dans les méandres du récit infini et se présente finalement comme une sorte de Livre des Splendeurs de l'imagination sado-érotique, elliptique et répétitive, un livre des secrets machinés, des leurres désignés, des provocations à fleuret moucheté, un livre strié par sa propre intelligence et celle des fantasmes qui y sont mis en branle. Y a-t-il encore des lecteurs pour jouer ce jeu d'un narcissisme qui n'est pas le leur ? C'est tout le pari de ce numéro que de répondre oui à Robbe-Grillet, oui quand même au dernier des écrivains heureux. Ou qu'on espère heureux, ne serait-ce que d'avoir non pas ressuscité, mais réinventé l'auteur, en ésotériste de lui-même.
Michel Contat et Philippe Roger

Sommaire

MICHEL CONTAT et PHILIPPE ROGER, Jeux de miroirs pour un anniversaire
Fiche bibliographie
ALAIN ROBBE-GRILLET, Inédit : bonne feuilles de La Reprise (roman à paraître le 4 octobre aux éditions de Minuit)
EDMUND WHITE, Marienbad, Michigan
TOM BISHOP, Topologie d'une reprise ou le retour de Robbe-Grillet
GUY SCARPETTA, Représentation de la perversion et perversion de la représentation
JEAN BELLEMIN-NOËL, Une écriture freudienne ?
MIREILLE CALLE-GRUBER, Alain Robbe-Grillet ou la reprise-en-avant
CLAUDE MURCIA et HENRI SCEPI, Les fictions de l'auteur
TORFI H. TULINIUS, Le premier romancier et le dernier
VÉRONIQUE SIMON, L'invention du réel
PIERRE VAN DEN HEUVEL, Dysnarration et cohérence
ANDRÉ GARDIES, Il n'a pas pris les dés
JEAN-LOUIS LEUTRAT, Lettres de Turquie
ALAIN ROBBE-GRILLET, Deux fragments du scénario inédit C'est Gradiva qui vous appelle

 

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