Essais


Georges Didi-Huberman

Être crâne

Lieu, contact, pensée, sculpture
(Giuseppe Penone)


2000
Série Fable du lieu , 96 pages, dont 46 d’illustrations
ISBN : 9782707317070
12.00 €


Cet ouvrage est le troisième d’une série d’essais sur la question du lieu dans l’art contemporain. Une hypothèse guide cette série : l’artiste est inventeur de lieux, c’est-à-dire façonne, donne chair à des espaces improbables, impossibles ou impensables. Des apories, des fables topiques.
Le genre de lieux qu’invente Giuseppe Penone passe d’abord par un travail avec le contact : une dynamique de l’empreinte, par laquelle l’espace se trouve à la fois reporté et renversé, c’est-à-dire tacitement connu et mis sens dessus dessous.
Dans un tel processus, c’est le matériau lui-même qui porte mémoire. Mais qu’est-ce qu’une sculpture qui aurait pour charge de toucher la pensée ? Penone est parti de la “ cécité tactile ” qui nous empêche de percevoir le contact de notre cerveau avec la face interne de notre crâne. L’œuvre consiste à faire traces – frottages, reports, développements – de cette insensible zone de contact. Le résultat est une sorte de fossile du cerveau : lieu de pensée, c’est-à-dire lieu pour se perdre et pour réfuter l’espace. Une sculpture de ce qui nous habite et nous incorpore en même temps.
 
* Giuseppe Penone est l’un des représentants majeurs de l’Arte Povera italien. Depuis le milieu des années soixante, il développe une œuvre de sculpteur fondée sur une très grande variété de processus généralement liés à l’empreinte. Ses matériaux sont le corps humain (relevés géants de paupières ou de l’intérieur d’un crâne), les corps végétaux (arbres vivants, feuilles mortes) et minéraux (sable, lits de rivières), mais aussi le souffle, la fumée ou l’énergie d’un cours d’eau.

Nathalie Crom (La Croix, 20 avril 2000)

Dans les « paysages du cerveau »
Georges Didi-Huberman réfléchit aux rapports entre l’art et la pensée.
 
« Publié une première fois dans le catalogue de l’exposition de l’artiste italien Guiseppe Penone qui s’est tenue, en 1997, successivement à Nîmes, Tilburg et Trente, ce texte du philosophe et historien de l’art Georges Didi-Huberman valait d’être consacré sous la forme d’un volume indépendant et illustré. Autour de l’œuvre du plasticien contemporain, membre de l’Arte povera, Georges Didi-Huberman développe en effet une pertinente et très personnelle réflexion sur la sculpture et la pensée, précisément sur la sculpture qui se donne pour objet de fouiller la pensée, de “ déployer sculpturalement jusqu’à leurs limites tactiles les plus inattendues, les plus paradoxales et réversives – les images de la fouille, de la profondeur, de l’intériorité ”.
Qui dit pensée dit cerveau, dit crâne. De tout temps, l’artiste s’est passionné pour la boîte crânienne et les inaccessibles secrets contenus dans ce “ coffret magique ”, dans cet écrin d’os. Le développement de Georges Didi-Huberman trouve ses assises dans les réflexions – et les œuvres consécutives – de Léonard de Vinci et de Dürer, sur ce lieu de la pensée, qui est aussi le lieu de l’âme, où s’enracinent l’interrogation métaphysique et la mélancolie.
L’artiste contemporain explore de nouvelles voies. “ Penone prend un crâne dans ses mains, l’ouvre, regarde (...) Il questionnera. scrutant l’intérieur de ce crâne, une espèce de cécité tactile : notre cerveau est en contact avec une paroi dont il ne sait rien, qu’il ne voit pas, qu’il ne sent même pas. ” De cet espace tactile inconnu, le plasticien dresse la topographie : naissent des empreintes, des “ Paysages du cerveau ” en deux, trois dimensions. C’est à leur déchiffrement vertigineux que nous sommes ici conviés. »

 

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