Paradoxe


Georges Didi-Huberman

Quand les images prennent position. L'Oeil de l'histoire, 1


2009
Collection Paradoxe , 272 p., 46 illustrations in-texte
ISBN : 9782707320377
22.80 €


Dans un monde où les images prolifèrent en tous sens et où leurs valeurs d’usage nous laissent si souvent désorientés — entre la propagande la plus vulgaire et l’ésotérisme le plus inapprochable, entre une fonction d’écran et la possibilité même de déchirer cet écran —, il semble nécessaire de revisiter certaines pratiques où l’acte d’image a véritablement pu rimer avec l’activité critique et le travail de la pensée. On voudrait s’interroger, en somme, sur les conditions d’une possible politique de l’imagination.
Cet essai, le premier d’une série intitulée L’Œil de l’histoire, tente d’analyser les procédures concrètes et les choix théoriques inhérents à la réflexion de Bertolt Brecht sur la guerre, réflexion menée entre 1933 et 1955 par un poète exilé, errant, constamment soucieux de comprendre une histoire dont il aura, jusqu’à un certain point, subi la terreur. Dans son Journal de travail comme dans son étrange atlas d’images intitulé ABC de la guerre, Brecht a découpé, collé, remonté et commenté un grand nombre de documents visuels ou de reportages photographiques ayant trait à la Seconde Guerre mondiale. On découvrira comment cette connaissance par les montages fait office d’alternative au savoir historique standard, révélant dans sa composition poétique — qui est aussi décomposition, tout montage étant d’abord le démontage d’une forme antérieure — un grand nombre de motifs inaperçus, de symptômes, de relations transversales aux événements. On découvrira ainsi, dans ces montages brechtiens, un lieu de croisement exemplaire de l’exigence historique, de l’engagement politique et de la dimension esthétique.
On verra enfin comment Walter Benjamin — qui a été, en son temps, le meilleur commentateur de Brecht — déplace subtilement les prises de parti de son ami dramaturge pour nous enseigner comment les images peuvent se construire en prises de position.

Robert Maggiori, Libération, jeudi 19 mars 2009

Montage : Didi Huberman relit Brecht pour  voir la guerre

La profondeur du champ de bataille

Georges Didi-Huberman est sans doute l'un des plus importants historiens d"art, ou, devrait-on dire, philosophes de l’art, si son souci premier est de  lire le temps  et  lire les images où le temps a quelque chance d’être déchiffré , et si ses études cousent l’histoire de l’art à la philosophie (et à la psychanalyse) pour circonscrire avec les mots ce qui toujours aux mots échappe : le champ visuel. On lui doit entre autres, comme le reconnaît Karl Sierek, la plus  profonde et stimulante histoire intellectuelle  du projet d’Aby Warburg - qui a changé toute l’esthétique d’aujourd’hui – sinon la critique du  réductionnisme iconologique  d’Erwin Panofsky, Fritz Saxl ou Ernst Gombrich, souvent reconnus  comme les seuls successeurs et héritiers légitimes de Warburg .
Avec son nouveau livre, Quand les images prennent position, L’Œil de l’histoire, 1, Georges Didi-Huberman donne une certaine inflexion à sa réflexion sur l’image ( comme par un mouvement de respiration ou comme par un rythme de diastole et de systole, l’image bat. Elle oscille vers l’intérieur, elle oscille vers l’extérieur. Elle s’ouvre et se ferme ) et pose les bases d’une  politique de l’imagination .
 Puissance du voir . Qu’est ce que voir? Pour voir faut-il savoir, ou savoir pour voir ? Pour voir, il faut prendre position, prendre une position entre l’approche et l’écart – comme celle du  peintre qui s’écarte de sa toile pour savoir où il en est de son travail . Cette position est en exil, au sens où on dit en déséquilibre ou en suspens.  La position de l’exilé rend l’"acuité de la vue” ou “la puissance du voir” (Schaukraft) aussi vitale, aussi nécessaire que problématique, vouée qu’elle est à la distance et aux lacunes de l’information. 
C’est ainsi que Georges Didi-Huberman (avant de se référer à Walter Benjamin), s’adresse à Bertolt Brecht, qui dans la position de l’exilé expose la guerre, la  voit . Commence, là, une formidable étude de la façon dont Brecht, dans son Journal de travail – un  journal de pensée  – puis dans ce  livre étrange et fascinant , sorte d’atlas photographique, qu’est son Kriegsfibel, c’est-à-dire ABC ou Abécédaire de la guerre, élabore un savoir historique  second , inédit. Loin de se présenter comme des chroniques des jours qui passent,  avec leur lot d’anecdotes et de sensations concomitantes , le Journal et l’Abécédaire sont comme des  ateliers provisoirement en désordre , ou une salle de montage dans laquelle se fomente la  puissance du voir  et se réalise l’ exposition  de la guerre.
 Propres théâtres .  Reproductions d’œuvres d’art, photographies de la guerre aérienne, coupures de presse, visages de ses proches, schémas scientifiques, cadavres de soldats sur les champs de bataille, portraits de dirigeants politiques, statistiques, villes en ruines, scènes de genre, nature mortes, graphiques économiques, paysages, œuvres d’art vandalisées par la violence militaire  : gigantesque montage de textes et d’images, que Brecht pense comme la mise en scène de ses propres pièces et par quoi se crée une vision de l’histoire  dans ses propres théâtres , s’établit un autre régime de vérité, apte,  sur notre propre histoire , à nous apprendre quelque chose d’autre. La connaissance est montage, mais le montage est connaissance : connaissance de ce qui se forme, de ce qui se déforme et que, souvent, l’on ne sait voir.

Lire le compte rendu de Magali Nachtergael "L'Histoire, vue de loin" (Acta Fabula).

 

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