Georges Didi-Huberman
La Demeure, la souche
L’Apparentement de l’artiste
(Pascal Convert)
1999
Série Fable du lieu , 180 pages, 35 illustrations in-texte
ISBN : 9782707316813
21.00 €
L’artiste est inventeur de lieux. Il façonne, il donne chair à des espaces jusqu’alors improbables, impossibles ou impensables : apories, fables topiques.
Le genre de lieux qu’invente Pascal Convert passe d’abord par un travail avec le temps : découpes de sites disparus, empreintes d’objets familiaux, vitrifications d’espaces de vie. La question topique de la demeure – l’appartement – se voit ici pensée comme une question généalogique, une question d’apparentement. L’œuvre de ce sculpteur – que hante la littérature de Mallarmé, d’Edgar Poe ou de Marcel Proust – sera donc exposée comme le récit d’exploration d’une étrange demeure de mémoire : pousser une porte inconnue, traverser un salon à lambris et à reflets, contempler des fenêtres qui donnent sur le sol, découvrir de mystérieuses anfractuosités dans le mur, descendre vers la crypte de l’ancêtre... Dans cette fable, que mène secrètement le personnage d’Igitur, se construira le lieu commun d’une rêverie architecturale et d’une rêverie organique.
Mais se révélera aussi un lieu commun au dessin et au temps : ligne avec lignage, trait avec extraction. Comme une souche d’arbre gravant en sa chair les traits de sa croissance, de ses accidents, de ses excroissances et, même, des circonstances de sa mort.
* Le sculpteur Pascal Convert est né en 1957. Son travail se caractérise par l’utilisation de techniques très diverses, des plus traditionnelles (moulage, empreinte, laque japonaise, orfèvrerie...) aux plus récentes (modélisation informatique, image de synthèse, animation en image numérique...). On retrouve cet écart dans les choix de matériaux aussi différents que le verre, la cire, la porcelaine ou l’image projetée. C’est dans cette tension entre des processus et des matériaux paradoxaux que se creuse une recherche sur la figurabilité du temps.
Son travail a été exposé en France au Capc Musée de Bordeaux (1992), à la Galerie Nationale du Jeu de Paume (1995), au Centre Georges Pompidou ( L’empreinte , 1997), au FRAC de Nantes ( La demeure, la souche , 1999) et dans plusieurs musées à l’étranger (Wakayama Museum of Modern Art, Japon, Iwaki Museum of Modern Art, Japon, Kuntsverein de Bonn, Allemagne, Musée de Kouskovo, Moscou, Musée d’Art Moderne de Delhi, Inde...).
Philippe Dagen (Le Monde, 1999)
Voici dont un “ philosophe et historien de l’art ” – c’est ainsi que le définit sa notice biographique – qui intervient aussi bien dans le champ de la création actuelle que dans celui de la peinture ancienne et, chaque fois, y pénètre avec, pour alliés et inspirateurs, écrivains, poètes, psychanalystes. Dans ses notes, ils tiennent une place très supérieure à celle qui est concédée aux savants spécialistes de la Renaissance italienne. L’accumulation de connaissances rares, les concours d’érudition importent moins à Didi-Huberman que l’énoncé et la défense d’une position. Il entre dans ses deux derniers livres, comme dans les précédents, Phasmes et L’étoilement, une forte proportion d’autobiographie cryptée et cependant visible. Didi-Huberman ne “ traite ” pas un sujet : il s’en empare violemment, il le fait sien parce qu’il a senti quelles affinités l’y attachent, quelles obsessions y gisent sous-entendues. Par exemple la cruauté, la souffrance physique, la révélation insoutenable de l’intérieur des corps humains sous la peau naturelle ou peinte. Le motif apparaissait plusieurs fois dans Phasmes –officiellement un recueil de courts essais où l’entomologie, Fra Angelico, Giacometti, Hugo, Vermeer, ex-voto et photographie servaient tour à tour. Il était au centre de L’Étoilement – officiellement une étude sur Simon Hantaï.
Il est donc logique que Didi-Huberman suggère quelle autre prédilection le lie aux œuvres de Pascal Convert qui, sous le titre d’Autoportrait, ne donne à voir que des empreintes incomplètes, des traces partiellement effacées ou écrasées. Ces Autoportraits, en effet d’une intensité pénétrante, il les fait siens, comme l’ensemble du travail de Convert, relevés d’architecture de villas détruites dont il ne demeure que des fantômes épurés et souches d’arbres plongés dans un bain funèbre d’encre de Chine. Il y reconnaît les signes d’une méditation ininterrompue sur le temps : par conséquent sur le passage, le vieillissement, l’assurance de la disparition, l’attente et la crainte de la destruction, l’effondrement des formes attaquées de l’intérieur par le néant. Donc sur les obsessions le long desquelles se cristallise le travail d’écriture et d’introspection de Didi-Huberman.
Du même auteur
- La Peinture incarnée, 1985
- Devant l’image, 1990
- Ce que nous voyons, ce qui nous regarde, 1992
- L’Étoilement, 1998
- Phasmes. Essais sur l'apparition, 1, 1998
- La Demeure, la souche, 1999
- Devant le temps, 2000
- Être crâne, 2000
- Génie du non-lieu, 2001
- L’Homme qui marchait dans la couleur, 2001
- L’Image survivante, 2002
- Images malgré tout, 2004
- Gestes d’air et de pierre, 2005
- Le Danseur des solitudes, 2006
- La Ressemblance par contact, 2008
- Quand les images prennent position. L'Oeil de l'histoire, 1, 2009
- Survivance des lucioles, 2009
- Remontages du temps subi. L'Oeil de l'histoire, 2, 2010
- Atlas ou le gai savoir inquiet. L'Oeil de l'histoire, 3, 2011
- Écorces, 2011
- Peuples exposés, peuples figurants. L'Oeil de l'histoire, 4, 2012
- Blancs soucis, 2013
- Phalènes, 2013
- Sur le fil, 2013
- Essayer voir, 2014
- Sentir le grisou, 2014
- Passés cités par JLG. L'Oeil de l'histoire, 5, 2015
- Sortir du noir, 2015
- Peuples en larmes, peuples en armes. L'Oeil de l'histoire, 6, 2016
- Passer, quoi qu'il en coûte, 2017
- Aperçues, 2018
- Désirer désobéir. Ce qui nous soulève, 1, 2019
- Eparses. Voyage dans les papiers du ghetto de Varsovie, 2020
- Imaginer recommencer. Ce qui nous soulève, 2, 2021
- Le Témoin jusqu'au bout. Une lecture de Victor Klemperer, 2022
- Brouillards de peines et de désirs.
Faits d'affects,1, 2023 - La Fabrique des émotions disjointes, 2024
Livres numériques
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