Critique


Georges Didi-Huberman

La Peinture incarnée

suivi de Le Chef-d’œuvre inconnu, d’Honoré de Balzac


1985
Collection Critique , 168 pages
ISBN : 9782707310095
18.50 €


Ces “ pensées détachées ” sur la peinture ont un fil conducteur : c’est une lecture du Chef-d’œuvre inconnu de Balzac, récit qui fonctionne comme un mythe, admet une multiplicité d’entrées. Mythe sur l’origine, les moyens et l’extrémité de la peinture. C’est de tout cela qu’il est question.
Partant de l’“ exigence de la chair ” qui traverse tout le drame du peintre Frenhofer, une sorte d’histoire se reconstitue : c’est celle du problème esthétique de l’incarnat en peinture, depuis Cennini jusqu’à Diderot, Hegel, Merleau-Ponty.
Or, ce problème met en jeu le statut même du rapport qu’entretient la peinture figurative – un plan, des couleurs – avec son objet – une peau, des humeurs. Ce rapport est analysé comme une “ aliénation ”, une perte au regard desquelles les notions d’objet et de sujet en peinture échoueront toujours à se stabiliser.
Si l’objet de la peinture – la peau – se perd irrémédiablement dans le plan, que reste-t-il ? Il reste un éclat, que le récit de Balzac met en scène de façon précise et bouleversante. Double est cet éclat : il est détail, hiératisation : le bout d’un pied de femme, “ vivant ”, mais marmorisé. Et il est pan (selon le mot de Proust), c’est-à-dire la violence propre et quasi tactile d’un moment de pure couleur. Violence qui porte le peintre à dire “ Rien, rien ! ” tout en regardant son tableau. Violence qui porte le peintre vers son suicide. Distinguer conceptuellement le détail et le pan relève ici d’un projet et d’un questionnement : comment parler de la peinture aujourd’hui, entre la théorie sémiotique, la psychanalyse, et l’exigence d’une phénoménologie ?

‑‑‑‑‑ Table des matières ‑‑‑‑‑

Le doute (la sapience) du peintre – L’incarnat – Le pan – Le doute (le désir) du peintre – Le détail – Le doute (le déchirement) du peintre – Le Chef-d’œuvre inconnu, par Honoré de Balzac – Index bibliographique

ISBN
PDF : 9782707337948
ePub : 9782707337931

Prix : 12.99 €

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Yak Rivais (Les Cahiers de la peinture n°183, 1985)

« Voici un livre intelligent sur l’art et sur une nouvelle de Balzac consacrée à la peinture, Le Chef-d’œuvre inconnu. Cette nouvelle, publiée dans le volume, confronte les peintres Poussin et Porbus à un peintre génial imaginaire : Frenhofer. Ce dernier accepte de montrer son chef-d’œuvre (en gros, le texte étant marqué par le courant fantastique-romantique de son temps, ce chef-d’œuvre serait hyper-hyperréaliste) aux deux peintres, après que Poussin lui eut proposé pour modèle sa très belle maîtresse. C’est que Frenhofer, plutôt que de représenter une femme, a représenté “ la ” femme déifiée : Vénus. Mais les deux maîtres ne voient qu’un rectangle de peinture (un “ pan ”, dit Didi-Huberman), où ils finissent par distinguer un pied remarquablement vivant. Frenhofer se rend compte qu’il n’a pas su peindre son désir : il brûle ses toiles et se suicide.
De cette nouvelle conditionnée littérairement, l’auteur de La Peinture incarnée a tiré une réflexion sur la chair, le désir et le suicide en art. “ L’exercice de la peinture, écrit-il, aurait-il donc à voir avec cette structure de perversio qui ne se fixe jamais tout à fait en contrat, en dispositif, se relance toujours de sa propre rupture ou aporie, comme désir, à moins de s’abîmer tout à fait dans le suicide ? ”. Et, plus loin : “ Car ontologiquement la femme irréprochable, dont parle Frenhofer, est l’Eurydice du peintre. La femme irréprochable (incarnat, regard, hymen), c’est en réalité la femme comme Inapprochable. Ce n’est pas qu’elle soit loin dans l’espace : Frenhofer sait bien qu’il ne la trouverait pas plus en Asie qu’en Turquie ou qu’en Grèce. Cette femme, on le sait, est là, juste en dessous du pan de couleur. Mais surtout, cette femme est inapprochable parce que son éloignement est temporel. Sa distance, c’est une imminence figée, le perpétuel « elle va se lever », et c’est en même temps l’oubli ”. Et, au-delà : “ Descendre dans les enfers pour y trouver la femme incomparable et pour la ramener au jour, au tableau, à la vie, c’est bien là l’ultime recours et l’ultime geste du peintre Frenhofer. Mais on sait qu’il aura tout perdu : et la femme, et le tableau, et sa propre vie. Il cherchait l’extrémité de l’art, ce « point obscur vers lequel l’art, le désir, la mort, la nuit semblent tendre », comme l’écrit Maurice Blanchot, à propos du geste d’Orphée, justement. L’œuvre, c’eût été de donner figure et jour à cette extrémité ; mais cette extrémité est la nuit même (…) Faire œuvre, c’eût été l’épanouissement du contrat ; un compromis rusé entre peinture et désir, tableau et femme (...) Poussin, lui, n’a donc pas cherché l’impossible réconciliation de l’œil et du regard, c’est pourquoi nos musées aujourd’hui peuvent être pleins de ses chefs-d’œuvre. ”
Le héros de la nouvelle de Balzac a voulu saisir son sujet du dedans, y pénétrer, parce qu’il voulait s’en pénétrer. L’œuvre réalisée, ce pan de peinture, serait le repli des entrailles, où domine l’incarnat du sang : “ une folie du doute avec délire du toucher ”. Frenhofer, on l’a compris, se suicide par constat d’échec, son acte est aussi romantique que ses larmes. Mais, derrière le mythe (Orphée-Pygmalion), il n’en reste pas moins que toute aventure artistique (et particulièrement celle de la peinture) tend à une prise d’otage de l’artiste par lui-même et s’érige en conduite (exemplairement ? ) suicidaire. Qui descend aux enfers n’a pas de garantie d’en remonter, sauf peut-être à faire œuvre. Peindre, en tout cas, est un acte d’amour d’où tout simulacre est exclu, et qui s’approche donc de la mort. Le livre de Didi-Huberman est aussi passionnant que précis. »

 

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