Romans


Samuel Beckett

Le Monde et le pantalon

suivi de Peintres de l'empêchement


1989
Édition augmentée, 1991 64 pages
ISBN : 9782707313348
9.20 €


* Le Monde et le pantalon. Écrit au début de 1945, à l'occasion des expositions d"Abraham et de Gerardus van Velde respectivement aux galeries Mai et Maeght. Première publication sous le titre La Peinture des Van Velde ou Le Monde et le pantalon, dans la revue Les Cahiers d’Art, 1945-1946, avec six reproductions noir et blanc d’Abraham van Velde et neuf de Gerardus. Son titre vient d’une plaisanterie reprise en 1957 dans Fin de partie et cité en exergue :
 
LE CLIENT : Dieu a fait le monde en six jours, et vous, vous n’êtes pas foutu de me faire un pantalon en six mois.
LE TAILLEUR : Mais, Monsieur, regardez le monde, et regardez votre pantalon.

* Peintres de l’empêchement. Article sur Bram et Geer van Velde. Première publication dans la revue Derrière le Miroir, n°11-12, juin 1948.

ISBN
PDF : 9782707330512
ePub : 9782707330505

Prix : 6.49 €

En savoir plus

Hervé Gauville (Libération, 1989)

« Samuel Beckett connaissait les frères van Velde dès avant la guerre. Il écrivit un essai critique sur leur travail en 1945 pour l’exposition d’Abraham chez Edouard Loeb à la galerie Mai et celle de Gerardus à la galerie Maeght. C’était une commande des Cahiers d’Art, qui le publièrent dans leur numéro 20-21 sous le titre de « La peinture des van Velde ou le monde et le pantalon ». Ce texte est publié à nouveau aujourd’hui, mais son titre a été raccourci pour devenir Le Monde et le pantalon. Non, le monde, ce n’est pas Bram et le pantalon, ce n’est pas Geer, L’explication est fournie en exergue. (...)
Le premier mérite de l’étude de Beckett est donc d’avoir découvert cette peinture, de l’avoir " lancée ”. C’est d’ailleurs la conclusion du livre : “ Car on ne fait que commencer à déconner sur les frères van Velde. J’ouvre la série. C’est un honneur. ” Il est amusant de constater rétrospectivement que, en regard de la justesse du Monde et le pantalon, les glossateurs qui se lancèrent ensuite sur la piste van Velde déconnèrent allègrement et qu’à ce jour aucun n’a su trouver, aussi bien que Beckett, le ton qu’il fallait pour en parler. Il devait s’en douter, lui qui prévenait que “ ce qui suit ne sera qu’une défiguration verbale, voire un assassinat verbal, d’émotions qui, je le sais bien, ne regardent que moi ». Ses suiveurs n’auront pas toujours ces scrupules. Car Beckett, même s’il était proche des deux hommes, n’a jamais oublié de regarder leur travail. Il ne s’est pas laissé fasciner par l’individu. Il a observé la peinture avec une acuité, et aussi une humilité qui surent rendre justice à ces œuvres. Pour aborder aux rives van Velde, l’auteur a pris la précaution d’un long détour. On ne pénètre pas ici tout de go.
“ Pour commencer, parlons d’autre chose. ” De quoi ? Des doutes de l’amateur, des errements de la critique, de l’esthétique, de l’anecdote, des catalogues. Tout ça pour en arriver où ? À la seule solution qui prévale, celle du bavardage. Encore faut-il savoir bien bavarder. Éviter les écueils des bons conseils. Par exemple : se méfier de l’art abstrait, des mouvements et des ismes, ne pas s’éloigner de la ligne juste (des Eyzies à la galerie de France), admirer Picasso, contrôler les moyens plastiques, rejeter Dali qui est pompier, etc. Autant de mises en garde définitives qui présentent le désagréable inconvénient de taper à côté de la plaque. Que devrait-on donc lui dire, à ce malheureux amateur pétri de bonne volonté ? Ceci : « Il n’y a pas de peinture. Il n’y a que des tableaux. Ceux-ci, n’étant pas des saucisses, ne sont ni bon ni mauvais. » Ou encore : « Tout ce que vous saurez jamais d’un tableau, c’est combien vous l’aimez (et à la rigueur pourquoi, si cela vous intéresse). » Ça suffit largement. Pour le reste, vogue la galère. Les mots s’acharnent à la poursuite de la vision, scrutent tantôt si près que le regard est sur le point de se brouiller et tantôt si loin que les généralités affleurent. Puis sont congédiées comme autant d’incongruités. Les phrases courent derrière les couleurs et les coutures, hésitent entre la stase et la stance, posent des points d’interrogation comme des appoggiatures, cadrent, encadrent, décadrent puis oscillent entre la note et la glose. Et décollent. Si vite qu’on ne sait plus si on a pris l’avion de la peinture ou de la littérature.
Les pages les plus troublantes sont ainsi celles où la notion de genre a volé en éclats. Que la peinture des van Velde soit de l’abstraction ou pas, que la prose de Beckett soit de l’essai ou pas, cela ne compte plus. Seule surnage cette copulation entre peindre et écrire, contre nature mais pas contre culture, où le visible et le lisible échangent leurs signaux et brouillent les codes. Pour mieux cerner l’objet fuyant. Liquider les scories des gloses. Foncer vers le noir et vers le silence d’où, peut-être, quelque chose émergera. »

Patrick Kéchichian (Le Monde, 16 juillet 1989).

Le regard de Beckett
 
« Aux surabondants festins auxquels, traditionnellement, les éditeurs convient les lecteurs au seuil de l’été, il est légitime d’opposer les vertus du rare, la fine pointe, l’arc exactement tendu d’un livre où chaque mot, chaque phrase, pèse son juste poids. Donner un instant toute la place aux trente-sept petites pages d’un texte de Samuel Beckett, Le Monde et le Pantalon, écrit en 1945 à l’occasion d’expositions des frères Van Velde, c’est rétablir un nécessaire équilibre que l’étouffante saturation des biens empêche d’éprouver.
“ C’est là qu’on commence enfin à voir, dans le noir. Dans le noir qui ne craint plus aucune aube. Dans le noir qui est aube et midi et soir et nuit d’un ciel vide, d’une terre fixe. Dans le noir qui éclaire l’esprit. ” Comme dans son théâtre, comme dans ses romans, Beckett laisse venir la lumière, accorde son regard à un monde en train de naître. Quelque chose apparaît - ici la peinture d’Abraham et de Gerardus Van Velde, gagnée sur le rien qui l’enveloppe et qui est comme sa condition d’existence.
Exercice du regard, réflexion magnifiquement libre sur l’art des deux peintres, sur “ cette peinture solitaire, solitaire de la solitude qui se couvre la tête, de la solitude qui tend les bras ”, Le Monde et le Pantalon est aussi, est bien plus, une leçon de très haute intégrité intellectuelle, de force expressive, à la fois rigoureuse et jubilante, concentrée sur son objet. »

 

Du même auteur

Poche « Double »

Livres numériques

Voir aussi

* Robert Pinget, La Manivelle, édition bilingue. Texte anglais de Samuel Beckett, The Old tune.

Sur Samuel Beckett :
* Revue Critique n°519-520, septembre 1990, numéro spécial,  Samuel Beckett  (Minuit, 1990).
* Antoinette Weber-Caflish, Chacun son dépeupleur. Sur Samuel Beckett (Minuit, 1995).
* Evelyne Grossman, La Défiguration. Arthaud, Beckett, Michaux (Minuit, 2004).




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