Poésie


Samuel Beckett

Les Os d'Écho

Traduit de l'anglais et présenté par Edith Fournier


2002
64 pages
ISBN : 9782707318046
11.00 €


* Poèmes écrits en anglais entre 1928 et 1935. Première publication : Echo"s Bones and Other Precipitates, Paris, Europa Press, 1935.

« C'est le son de la voix d'un très jeune Samuel Beckett que l'on entendra ici, une voix qui peut parfois sembler bien étrange comparée à celle qui s'exprime dans ses œuvres plus tardives. Mais les thèmes de ces poèmes feront résonner leur écho dans l'ensemble de son œuvre.
Le sous-titre " et autres précipités ” évoque le phénomène chimique par lequel une substance se trouve séparée de son solvant et tombe au fond de l'éprouvette grâce à l'action d'un réactif que l'on a introduit dans le liquide. Le précipité n'est pas la simple sédimentation d'une substance solide qui aurait été, un temps, en suspension dans un liquide mais toujours distincte. Par la “ précipitation ”, le chimiste retrouve la substance première dont l'identité même s'était perdue dans l'agrégat formé avec le solvant. Ainsi du poète, agent réactif qui libère et révèle une substance essentielle.
Les treize poèmes qui constituent ce recueil ont été écrits entre 1928 et 1935. Après avoir terminé brillamment à Dublin ses études supérieures de lettres (langues et littératures romanes) en décembre 1927, Samuel Beckett obtient une nomination pour deux années en qualité de lecteur à l'Ecole normale supérieure de la rue d'Ulm à Paris. Mais il ne doit gagner ce poste qu'en octobre 1928. Entre-temps, durant le premier semestre de 1928, il enseigne la langue et la littérature françaises au Campbell Collège de Belfast où il acquiert un avant-goût - en l'occurrence un avant-dégoût – du métier d'enseignant auquel ses professeurs et sa famille l'estiment et l'espèrent destiné. »
Edith Fournier

Table des poèmes

Le Vautour – Enueg I – Enueg II – Alba – Dortmunder – Sanies I – Sanies II – Serena I – Serena II – Serena III – Malacoda – Da Tagte es – Les Os d'Écho.

ISBN
PDF : 9782707325976
ePub : 9782707325969

Prix : 7.99 €

En savoir plus

Maurice Mourier (La Quinzaine littéraire, 16 décembre 2002)

Beckett avant...
 
« Qu’est-ce qui pourrait donc bien justifier, en 2002, quelques lignes de plus sur l’un des plus indiscutables Nobel (en 69) du siècle défunt ? Rien, sinon la découverte. en français du moins, d’un autre Beckett, précédant de plus d’une décennie le romancier de 1934, qui débutait cette année-là avec More Pricks than Kicks, paru à Londres et aussitôt interdit en Irlande (1).
Avant la prose et le théâtre, et aussi de manière sporadique bien après la reconnaissance tardive des années 60, Beckett a écrit et écrira des poèmes. Dans son extrême jeunesse, tandis qu’il poursuit de remarquables études à Dublin puis à Paris, c’est, avec la rédaction d’essais littéraires qui manifestent son immense culture en plusieurs langues, ce à quoi il consacre effectivement une part d’un temps déjà rongé par l’obsession du caractère “ farcesque ” des “ vacations ” humaines (son double favori, Belacqua, ne gît-il pas au fond du Purgatoire de La Divine Comédie, sans faire aucun effort pour se hisser jusqu’au ciel, parce que, paresseux notoire, il a été relégué là par Dante, parmi les “ indolents ” et y reste, ni plus ni moins malheureux qu’ailleurs).
Les Os d’Echo, excellemment traduits par Edith Fournier, sont donc du tout premier Beckett. Il en rédige les treize poèmes entre 1928 (il a vingt-deux ans) et 1935, date à laquelle paraît le volume en anglais mais à Paris, la ville d’élection, chez le tout petit éditeur Europa Press.
De 28 à 35 : années essentielles. Beckett, qui a commencé à enseigner (à Belfast) avec un mélange d’angoisse et de dégoût, profite à plein de ses deux années de sursis rue d’Ulm. Quand il lui faut bien rentrer en Irlande et accepter le poste offert à Dublin par une Université dont il fut, en études romanes, le plus beau fleuron et qui lui tend les bras, il tient le coup un an (fin 1930-fin 1931), mais finit par démissionner, commençant alors une errance désargentée entre l’Irlande, l’Angleterre, l’Allemagne, l’Italie, la France (le salut ne viendra que vingt ans plus tard, en 1951, avec la publication de Murphy par Jérôme Lindon).
De cette errance, Les Os d’Echo portent la trace, avec leurs décors européens divers et leurs bordels improbables, au dessin soigneusement caché dans le tapis, à Londres ou à Dortmund. Mais toujours, obstinément, désespoir et prédilection mêlés, reviennent Dublin et les bords de la Liffey, les eaux grasses du port, la campagne verdoyante, “ les cygnes tristes de Turvey ” et “ les péniches de Guinness ”. L’amour de Beckett pour l’ingrate terre où il est venu au jour en paradoxal “ bébé dodu ”, “ garçon mirobolant ” selon son père (dont passe en creux un portrait tendre et magnifique dans « Sanies I »), et lui regrettant d’emblée la quiétude intra-utérine (“ ah, être de retour aujourd’hui dans l’amnios, sans responsabilités, / sans doigts, sans amour gâché ”), n’a d’égal que son accablement et parfois son exaspération devant la bigoterie, la mesquinerie, l’inculture féroce de ses compatriotes. Il éructe alors et rugit, compisse “ le soir mort-né qui tourne au vert immonde / déversant son lisier sur le mycélium vénéneux de la nuit ”.
Mais que faire contre la splendeur de l’Irlande ? “ Retiens bien ce tracé sinueux de la beauté sur cette palette / on ne sait jamais cela pourrait être définitif ”.
Semblent-ils aujourd’hui d’accès difficile, ces poèmes d’un jeune fort en thème, protégés par des titres bizarres (« Serena », « Enueg ») empruntés aux troubadours médiévaux quand ils chantaient et tentaient d’enchanter leur peine ? En un sens oui, traversés qu’ils sont par mille réminiscences d’auteurs aimés, parfois coulés presque directement et mot à mot dans la langue anglaise, tel Rimbaud à la fin d’« Enueg I » : “ Ah la bannière / la bannière de viande qui saigne / sur la soie des océans et des fleurs arctiques / qui n’existent pas ”, parfois dissimulés (citations bibliques ou latines ou allemandes, présence incongrue d’un instrument ancien de musique chinoise, allusions voilées à Dante, à la philosophie grecque, une chanson populaire transformée selon le principe de détournement cher à Lewis Carroll), et les notes érudites de la traductrice ne sont alors pas de trop, qui nous éclairent en fin de volume.
Est-ce plus difficile toutefois que l’Encyclopédisme d’Apollinaire dans maint poème d’Alcools ? Non, et d’autant plus acceptable, comme dans le français, que tout ce flot se fond dans le texte sans pédanterie et par le seul jeu du plaisir de citer ce que l’on a un jour choisi au fil de lectures tourbillonnantes et retenu non pour étaler sa science mais seulement par délectation personnelle ou en vertu de connivences secrètes. N’en revient-on pas du reste très vite aux balades à vélo le long des petites routes entortillées de la campagne irlandaise ?
Ainsi, Beckett jeune a connu lui aussi les courses folles avec les nuages, le vent dans les tifs et les emballements mêlés de nausées du corps et du cœur. À revoir en pensée La Dernière Bande, à réécouter sur l’harmonium intérieur les rares envolées lyriques de cette ardente et sombre confession, portées par le filtre de la voix sourde et sarcastique de Chauffard, on s’en doutait un peu. Car le plus grand charme des Os d Echo, c’est que ces vers parfois très “ en-allés ”, comme le souligne à juste titre Edith Fournier, n’en sont pas moins du Beckett tout craché, le Beckett avare de mots qui nous est familier et cela non seulement parce que le personnage de la nymphe Echo, auquel le titre fait un sort, sécha d’amour et se réduisit peu à peu à son squelette puis à sa voix, comme s’émacieront au fil des ans les textes du jeune homme encore exalté des années trente. En vérité, tout comme dans Bande et Sarabande, son contemporain, ce court recueil est tout entier parcouru par les thèmes, les apories et même les mots qu’on retrouvera d’un bout à l’autre d’une œuvre reconnaissable dès ses apprentissages.
“ De qui sont ces vers merveilleux ? ” se demande Winnie en proie à la débâcle de sa mémoire dans Oh les beaux jours. Pas de danger qu’on se trompe sur l’auteur de ceux-ci, tant ils sont signés. »

(1). Ce livre, qui est plutôt une suite de récits ou de nouvelles autour du personnage de Belacqua, pris chez Dante, qu’un roman à proprement parler, ne sera traduit, par Edith Fournier, et publié en français sous le titre Bande et sarabande, qu’en 1994 et à titre posthume. Il avait été précédé, d’un vrai roman, dont le héros était aussi Belacqua. Achevé à Londres en 1932 mais refusé par tous les éditeurs, ce texte restera inédit jusqu’en 1992, où il paraîtra à titre posthume sous son titre originel Dream of Fair to middling women. Il emmène Belacqua, sorte d’étudiant médiéval ressuscité, dans un large tour d’Europe. Bande et sarabande sera largement tiré de cette somme, par extraction des épisodes proprement dublinois de l’aventure.

Michel Crépu (La Croix, 3 octobre 2002)

« Voici un Beckett d’avant Beckett : un recueil de treize poèmes écrits entre 1928 et 1935, alors que le futur auteur de Molloy et d’En attendant Godot n’a pas encore trouvé sa voix, celle qui s’exprimera dans les grands textes, directement en français. On a du mal à imaginer un Beckett tâtonnant, hésitant, malheureux à l’idée de mener une carrière universitaire dublinoise alors qu’il vient de goûter à l’atmosphère parisienne. C’est pourtant bien ce jeune homme mystérieux et tourmenté que l’on découvre ici, en apparence bien différent du Beckett souverain et épuré des années mûres. Cependant, on ne saurait s’étonner de la présence d’Écho, la belle nymphe errante, délaissée par le cruel Narcisse : une voix à la recherche d’un corps, n’est-ce pas tout Beckett qui se trouve annoncé là ? Ce qui frappe, en revanche, c’est l’allure quasi baroque, extravagante de ces textes : le jeune Beckett a déjà tout lu, il est un familier de La Divine comédie, il ne tient pas en place. On dirait un jeune sorcier maniant l’allégorie au fond de quelque boutique, fabriquant des objets qui ne figurent pas au répertoire.
De là ces vers si curieusement déhanchés et qui évoquent en même temps déjà les futurs personnages démantibulés de l’univers beckettien :
“ Tout le long du chemin en jour d’averses douces, de Portrane sur le rivage,
Donabate, les cygnes tristes de Turvey, puis Swords,
pédalant sur trois braquets comme une sonate
tel un Ritter le scrotum collé au pommeau de la selle...

Et plus loin, ce vers si emblématique :
“ Ah, être de retour aujourd’hui dans l’amnios, sans responsabilités... ”
Edith Fournier se tire admirablement bien de l’épreuve de la traduction. On recommandera sa présentation, claire et précise, de ce Beckett des origines. »

Jean-Pierre Thibaudat (Libération, 7 novembre 2002)

Beckett jusqu’à l’os
 
« Voici treize poèmes signés Samuel Beckett le jeune, écrits entre 1928 et 1935. En 1928, Beckett est en Irlande, il enseigne la langue et la littérature française à Belfast. Il s’apprête à quitter ce métier et son pays natal pour devenir lecteur à l’École normale supérieure de la rue d’Ulm, il s’apprête à devenir l’écrivain de Murphy, de Molloy, de Watt et plus tard celui d’En attendant Godot et Oh les beaux jours. Publiés naguère (1935) en anglais sous le titre Echo’s Bones, voici ces poèmes traduits et présentés par la fée du logis beckettien, Edith Fournier. Beckett traverse alors une période instable et trouble. Ses poèmes, jetés comme des bouées, disent ses écartèlements entre son érudition et son attirance pour les pantalons, Dante et le bar américain de la rue Mouffetard, par exemple. Comme on les lit aujourd’hui, dans le prisme de l’œuvre alors à venir, notre lecture redouble le trouble de l’auteur. Dans ces vers, vertement verts, on guette des signes de reconnaissance, des bouts d’os dans la viande. Ils foisonnent, “ lâchant des vents sans peur ni privilège / courant la boulimine du sens et du non-sens / pris par les asticots pour ce qu’ils sont ” ».

 

Du même auteur

Poche « Double »

Livres numériques

Voir aussi

* Robert Pinget, La Manivelle, édition bilingue. Texte anglais de Samuel Beckett, The Old tune.

Sur Samuel Beckett :
* Revue Critique n°519-520, septembre 1990, numéro spécial,  Samuel Beckett  (Minuit, 1990).
* Antoinette Weber-Caflish, Chacun son dépeupleur. Sur Samuel Beckett (Minuit, 1995).
* Evelyne Grossman, La Défiguration. Arthaud, Beckett, Michaux (Minuit, 2004).




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