Pierre Bayard
Comment améliorer les œuvres ratées ?
2000
Collection Paradoxe ,176 pages
ISBN : 9782707317254
19.00 €
De Joachim du Bellay à Marguerite Duras, les plus grands écrivains de notre littérature ont connu des moments de faiblesse et ont raté certaines de leurs œuvres. Histoires aberrantes, personnages inconsistants, style boursouflé, vers boiteux – ces textes plongent tout lecteur sensé dans la consternation.
Comment ces auteurs en sont-ils arrivés là ? Tenter de répondre à cette question conduit à interroger, avec l’aide de la psychanalyse, les mystères de l’acte créateur. Si l’œuvre parfaite, en effet, isolée dans sa plénitude, n’offre souvent que peu de prise à la réflexion, l’œuvre ratée, par son échec même, dévoile une partie des mécanismes du génie.
Soucieux d’être constructif et de tirer toutes les conséquences de ses hypothèses théoriques, cet essai propose aussi des améliorations concrètes. Changements de forme, variations dans les intrigues, déplacements de personnages d’un livre à l’autre permettent d’imaginer, entre rêve de perfection et délire de réécriture, ce que ces œuvres auraient pu être dans des mondes littéraires différents.
ISBN
PDF : 9782707326010
ePub : 9782707326003
Prix : 13.99 €
En savoir plus
Lire l'article de Catherine Clément, Magazine littéraire, février 2004 consacré à l’œuvre de Pierre Bayard.
Nelly Kaprièlian (Les Inrockuptibles, 31 octobre 2000)
Du fiasco considéré comme un des beaux-arts
L’historien de la littérature Pierre Bayard n’y va pas avec le dos de la cuillère dans Comment améliorer des œuvres ratées ? Il ne se gêne pas pour dire tout le mal qu’il pense de certaines œuvres de grands écrivains et va même jusqu’à tenter de les modifier. La démarche libre et ludique d’un lecteur exigeant.
« Pierre Bayard fait toujours figure d’iconoclaste hérétique dans le champ de la critique littéraire, qu’il s’en prenne à Proust dans Le Hors-sujet (en proposant de virer les digressions) ou à Agatha Christie avec Qui a tué Roger Ackroyd ? (sur le postulat qu’Hercule Poirot s’est trompé et que le lecteur doit refaire l’enquête). Peut-être parce que cet universitaire historien de la littérature, en digne psychanalyste qu’il est aussi, place toujours la subjectivité du lecteur et l’interprétation au cœur de son dispositif théorique.
Dans Comment améliorer les œuvres ratées ?, Bayard franchit encore un pas dans le “ littérairement incorrect ”. D’abord parce qu’il ose désigner certaines œuvres des plus grands écrivains français comme ratées : elles sont au nombre de treize et vont de L’Olive de Joachim du Bellay (1549) à Jean Santeuil de Proust, jusqu’à L’Amour de Marguerite Duras – “ Intrigues aberrantes, personnages inconsistants, style boursouflé, vers boiteux, le spectacle qu’elles offrent est désolant. Et la question surgit inévitablement, passé le premier moment de surprise et de douleur, de savoir comment des auteurs en pleine possession de leurs facultés mentales ont pu en arriver là ”, écrit-il d’emblée. Ensuite, parce qu’il étaye magistralement ses choix et ses thèses du ratage à grand renfort de critères objectifs (et crédibles), avant de les retourner au profit d’une subjectivité individuelle, en braquant le projecteur sur la place que tient tout lecteur dans l’œuvre elle-même via sa perception. Enfin parce qu’il prétend, lors du dernier chapitre, améliorer ces textes, n’hésitant guère lui-même à intervenir directement. Conception rafraîchissante en ces temps figés de sacralisation de l’œuvre et de constante romantisation du statut de l’auteur en France. Et puis qui oserait, comme lui, ériger l’ennui en critère critique tangible ? Et c’est bien pour tout ça, pour cette revendication de liberté face aux plus grands textes, de mauvaise foi aussi (dès lors qu’il s’agit de subjectivité), et pour son sens de la transgression et du second degré jubilatoire, qu’il faut le lire – Bayard nous apprend tout simplement à jouer. »
Tiphaine Samoyault (La Quinzaine littéraire, 16 novembre 2000)
Psychopathologie du ratage littéraire
Fidèle à sa méthode paradoxale, Pierre Bayard inverse radicalement les perspectives de la critique ordinaire. Dans Comment améliorer les œuvres ratées ?, il propose de s’intéresser aux textes qui d’habitude n’intéressent guère, aux textes méprisés, voire oubliés, et donne des conseils pour les amender. Réflexion risquée – et réussie – sur les lieux de l’échec.
« On commence à connaître la critique littéraire interventionniste de Pierre Bayard, lui qui s’employait à réduire Proust à des dimensions raisonnables dans Le Hors-Sujet ou à donner une autre solution au meurtre imaginé et élucidé à sa manière par Agatha Christie, dans Qui a tué Roger Ackroyd ? Conformément au programme de son titre, Comment améliorer les œuvres ratées ?, il propose cette fois des corrections concrètes pour ôter des mauvais textes les lourdes imperfections qui les grèvent. Au cours d’un cheminement clair et fort argumenté, il donne d’abord les raisons pour lesquelles on s’entendra pour trouver désastreux L’Amour de Duras, Héraclius de Corneille, la Henriade de Voltaire ou encore Rousseau juge de Jean-Jacques. Sous le chef général de la “ consternation ”, Pierre Bayard explique que si les treize œuvres qu’il a choisies comme objets d’analyse peuvent être considérées comme ratées, c’est qu’elles défaillent selon le sujet (dans Dieu de Victor Hugo, Dieu est un mauvais sujet), selon le rythme, selon des figures envisagées comme symptôme (hyperboles, périphrases, lieux communs démultipliés...) ou encore selon les personnages, peu consistants ou trop complexes.
Dans une seconde partie intitulée “ Réflexion ”, qui n’est pas forcément la plus drôle mais de loin la plus intéressante, l’auteur ne se contente plus de déplorer ces échecs, mais il tente de comprendre, notamment au moyen des outils psychanalytiques qui sont les siens, le fonctionnement subtil du ratage littéraire. Victimes le plus souvent de “ maladies de la distance ”, leurs auteurs, par ailleurs capables de grandes œuvres, souffrent d’excès ou d’insuffisance d’expression de soi, d’où résultent soit une écriture de l’hallucination, soit une écriture de l’isolation, toutes deux inaptes à équilibrer la relation du texte au fantasme. Ils témoignent aussi d’un problème de distance à l’autre et d’un manque général d’ouverture qui ne rendent leurs textes acceptables ni par le contexte temporel qui les a produits, ni par les époques ultérieures. Leur fonction de préfiguration est toujours insuffisante. La dernière partie, naturellement intitulée “ Amélioration ”, invite à corriger les défauts des œuvres, par exemple en supprimant les allégories religieuses et les périphrases des Martyrs de Chateaubriand, en proposant des images simplifiées pour briser l’hermétisme de Moulin premier de René Char, en concaténant Fort comme la mort de Maupassant et L’Amour de Duras afin d’en faire un seul texte, suffisamment ambigu pour durer.
Au-delà du caractère ludiquement scandaleux de ces amendements opérés sur les textes littéraires, on saisit vite tout ce que la méthode paradoxale de Pierre Bayard peut avoir d’embarrassant. À le lire régulièrement et à comprendre la façon dont sa pensée s’expose, on balaye vite les objections. Il convient de les poser cependant pour montrer comment il les renverse. Le premier reproche qu’on pourrait adresser à sa méthode tient au choix des œuvres, unanimement considérées comme mineures, et pas au sens où Deleuze l’entendait, c’est-à-dire lié au sentiment de la minorité : au contraire, ici, elles sont mineures dans le contexte des œuvres majeures. Il n’y a guère de risque pris à critiquer L’Olive ou L’Amour.
La deuxième objection, qui va au-delà de la première, formulerait les dangers du subjectivisme pour l’évaluation du texte littéraire : je dis que cette œuvre est ratée parce que je la trouve ratée pour telle et telle raison. La troisième exposerait les dangers du relativisme qui pose des décrets comparatistes : tel texte est défaillant car il est inférieur à tel autre. Plus grave, le quatrième reproche tiendrait dans l’exposition chez lui d’une conception extrêmement normative de la littérature, ayant peur de l’excès ou de la raréfaction, du trop peu et du trop plein, d’une conception méthodique, même, où de simples recettes améliorent et corrigent ce qui a été fait.
En même temps, c’est parce que Pierre Bayard fait tomber, par effet de jeu mais aussi de pensée, ce dernier argument contestataire, qu’il propose une réflexion neuve et passionnante. Au moyen du renversement des perspectives, il donne à lire en miroir les raisons de notre attachement à la littérature, le difficile équilibre des chefs-d’œuvre, l’indécidabilité des beaux textes. Il montre ce que peut avoir de fragile la création littéraire, soumise aux aléas de la vie intérieure des écrivains, au contact variable qu’ils ont avec la langue. “ Or toute œuvre littéraire nous représente inconsciemment, ou, si l’on veut, parle essentiellement de nous. ” En allant jusqu’au bout de son argument relativiste, Bayard finit par poser que ce que nous mesurons, en trouvant qu’une œuvre est ratée, c’est notre propre ratage. Double miroir, donc, que ces échecs ponctuels, qui en disent assez long sur la complexité de notre relation à l’art, que peu d’analyses ont jusqu’à présent aussi bien montrée. »
Rencontre
- À l'occasion de la parution de Aurais-je été sans peur et sans reproche ? Le chevalier Bayard et moi.
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