Paradoxe


Pierre Bayard

Aurais-je sauvé Geneviève Dixmer ?


2015
160 p.
ISBN : 9782707328342
15.00 €





Pour sauver de l’échafaud Geneviève Dixmer – l’héroïne du roman de Dumas et Maquet Le Chevalier de Maison-Rouge–, dont je suis tombé amoureux dans mon adolescence, je ne vois qu’une solution : entrer moi-même dans le livre et devenir l’un de ses personnages.
Transporté sous la Révolution, je serai alors confronté à une série de dilemmes éthiques, que la période rend encore plus sensibles (« La fin justifie-t-elle les moyens ? », « Peut-on sacrifier une personne pour en sauver plusieurs ? », « Devons-nous assistance à tous ceux que nous croisons ? »…) et qui peuvent se réduire à la question, aussi déterminante aujourd’hui qu’hier : « Qu’est-il juste de faire ? »

ISBN
PDF : 9782707328366
ePub : 9782707328359

Prix : 10.99 €

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Marie-Laure Delorme, Journal du Dimanche, 1er février 2015

Qu’est-il juste de faire ?

L’auteur poursuit ses "fictions théoriques" en entrant dans un roman d’Alexandre Dumas pour tenter de sauver la femme dont il est amoureux.

La machine à remonter le temps. Dans Aurais-je été résistant ou bourreau? (2013), Pierre Bayard se demandait, en se faisant naître trente ans plus tôt, comment il se serait comporté pendant la Seconde Guerre mondiale. On pouvait appréhender le texte comme une tentative de rejoindre le père, le fils partant sur ses traces. Dans Aurais-je sauvé Geneviève Dixmer ?, Pierre Bayard se demande, en se faisant vivre sous la période révolutionnaire, s'il aurait pu sauver la femme dont il est amoureux. On peut appréhender le texte comme une tentative de revivre son adolescence, âge où le cœur bat la chamade. On est, à chaque fois, confronté à des choix éthiques cruciaux, dans une période où les valeurs sont en crise. L'univers de Pierre Bayard reste le même à travers des textes différents les uns des autres. La prépondérance donnée à l'humour ; la désacralisation de la culture ; la place laissée à l'interprétation du lecteur ; la narration d'un parcours riche en rebondissements ; la certitude qu'on ne peut pas toujours conclure. La zone grise aussi, qui n'est pas celle des valeurs morales mais celle des incertitudes comportementales. Pierre Bayard met en place un dispositif littéraire donnant à réfléchir sur les problématiques d'éthique et, particulièrement, sur le conflit de loyautés.
Éthique des principes et éthique des conséquences
Le dispositif littéraire est posé. Geneviève Dixmer est l'héroïne royaliste du Chevalier de Maison-Rouge (1846), d'Alexandre Dumas et d'Auguste Maquet, adapté par le réalisateur Claude Barma en feuilleton pour la télévision (1963). L'adolescent Pierre Bayard (né en 1954) est alors tombé amoureux de Geneviève Dixmer, incarnée par l'actrice Anne Doat, dont la vie est en danger sous la Révolution française. Elle connaîtra, d'ailleurs, une fin tragique. Premiers grands émois amoureux et découverte d'un chef-d'œuvre littéraire. L'auteur de Comment parler des livres que l'on n'a pas lus ? (2007) entreprend donc, aujourd'hui, d'entrer dans Le Chevalier de Maison-Rouge pour tenter d'éviter l'échafaud à Geneviève Dixmer. Pierre Bayard prend la place du républicain Maurice Lindey et garde son nom et sa personnalité. Le "personnage-délégué" devient ainsi le héros du Chevalier de Maison-Rouge. Le personnage de Pierre Bayard arrive à Paris, sous la pluie, durant la nuit du 10 mars 1793. La France s'apprête à basculer dans la Terreur. Il n'est pas prêt à toutes les compromissions pour sauver la femme dont il est amoureux. Il se trouvera donc confronté, à chaque étape de son parcours, à une question universelle : "Qu'est-il juste de faire ?"
Pierre Bayard place en exergue d'Aurais-je sauvé Geneviève Dixmer ? une phrase extraite du Laboratoire des cas de conscience, de Frédérique Leichter-Flack (Alma, 2012). Les deux écrivains partent du même point de vue : la responsabilité du non-engagement. Les ravages causés par la figure du témoin passif ont été innombrables au regard des tragédies de l'Histoire. On est donc ici, d'emblée, dans la mobilisation. Le personnage de Pierre Bayard prend de multiples décisions en ayant à cœur qu'elles soient les bonnes pour sauver Geneviève Dixmer et qu'elles soient conformes à des principes supérieurs de vie. Il faut qu'il choisisse, dès la première rencontre, entre idéal républicain (honneur) et femme aimée (amour). Pierre Bayard remet en scène, tout du long, deux grands courants de la philosophie morale. L'éthique des principes (on se décide en fonction de principes déterminants et intangibles) et l'éthique des conséquences (on prend aussi en compte les conséquences auxquelles leur stricte obéissance conduit). Ils sont incarnés, entre autres, par Kant, d'un côté, et par Locke, de l'autre. Les deux philosophies s'affrontent, notamment, sur la justification ou non de la torture. Les deux courants condamnent la torture, mais certains mettront en avant qu'on peut éviter des morts par l'obtention d'un renseignement sous la torture. Le Chevalier de Maison-Rouge met en narration les ravages de l'éthique des conséquences.
Les caricatures de Mahomet par "Charlie"
Pierre Bayard continue de créer des dispositifs littéraires pour étudier son propre comportement. "La seule chose qui nous reste face à cette inéluctable défaite qu'on appelle la vie est d'essayer de la comprendre. C'est là la raison d'être de l'art du roman" (Le Rideau, Milan Kundera). On peut se plonger dans son texte de plusieurs façons : relecture du Chevalier de Maison-Rouge de Dumas et Maquet ; essai philosophique sur l'éthique ; roman original de cap et d'épée ; réflexion sur la société d'aujourd'hui. Le conflit entre "éthique des principes" et "éthique des conséquences" est ainsi actuellement au centre des débats sur la publication des caricatures de Mahomet par Charlie Hebdo. Car en choisissant la Révolution française, Pierre Bayard choisit une époque où les valeurs sont mises à mal, où la peur de l'autre règne en maître, où chaque mot doit être pesé au trébuchet de la condamnation. On se retrouve plongé au cœur des concepts de la "pente glissante" (l'engrenage), de la doctrine du "double effet" (une action a plusieurs effets, positifs et négatifs), du principe de "charge d'âme" (on est responsable des êtres croisés sur notre route) ou de comportements humains amenant la déshumanisation de l'Autre (la fin justifie-t-elle les moyens?)
De "Ma sorcière bien-aimée" aux principes kantiens
Pierre Bayard est un homme d'éthique, pas un homme d'idéologie. Il nous rappelle ainsi, comme Frédérique Leichter-Flack, que la littérature est le lieu de la complexité. Elle est en cela une école de l'humilité. On passe, grâce aux chefs-d'œuvre de la littérature, du général au singulier. "La réflexion éthique n'est pas le lieu des solutions, elle est celui de leur absence, et donc de la souffrance psychique." Le conflit de loyautés, forme courante de conflits de principes, est omniprésent dans le roman de Dumas et Maquet. Comment choisir entre le désir et le devoir (Maurice Lindey)? Comment choisir entre le mari et le frère (Geneviève Dixmer)? Comment choisir entre la politique et l'amitié (Roger Lorin)? Les paramètres sont nombreux et les conséquences imprévisibles. On découvrira que la figure la plus remarquable du Chevalier de Maison-Rouge est celle de l'ami. Roger Lorin est guidé par une seule valeur dans le labyrinthe sans issue de la Révolution française : sa loyauté envers son ami, Maurice Lindey. Il incarne ainsi l'idée de la "charge d'âme".
Le plaisir de lecture est évident dans Aurais-je sauvé Geneviève Dixmer ? On passe du feuilleton américain Ma sorcière bien-aimée aux principes érigés par Kant ; on passe de The Kugelmass Episode de Woody Allen au consul portugais Sousa Mendes. Pierre Bayard rend un magnifique hommage à la littérature en rappelant que notre part inconsciente considère les personnages de fiction comme des personnages réels. Ils peuvent contribuer à forger notre imaginaire collectif à travers les siècles ; ils peuvent contribuer à sculpter notre propre vision du monde contemporain. Ils le font. La littérature d'hier aide à penser le monde d'aujourd'hui.

 

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Poche « Double »

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Pour une nouvelle littérature comparée, in Pour Éric Chevillard, (Minuit, 2014)



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