« Double »


Marguerite Duras

Détruire dit-elle


2007
Collection de poche Double , 144 p.
ISBN : 9782707320117
8.80 €
* Première publication aux Éditions de Minuit en 1969.


Dans cet hôtel à l'orée de la forêt, trois clients qui ne se connaissent pas, silencieux, solitaires : élisabeth Alione, Max Thor qui la regarde, et Stein qui regarde Max Thor. Plus tard viendront Alissa Thor, puis Bernard Alione…
Fulgurant comme l'amour, silencieux comme la mort, grave comme la folie, âpre comme la révolution, magique comme un jeu sacré, mystérieux comme l'humour, Détruire dit-elle ne ressemble à rien.Marguerite Duras (1914 - 1996) a publié Détruire dit-elle en avril 1969. Ce sera, la même année, le premier film qu'elle réalisera entièrement. Anne Villelaur dans Les Lettres françaises écrivait que " Détruire dit-elle est le plus étrange des livres de Marguerite Duras. Il ressemble à une cérémonie dont nous ignorerions le rituel et suivrions néanmoins, fascinés, le déroulement ". Et Maurice Blanchot dans L'Amitié : " Détruire. Comme cela retentit : doucement, tendrement, absolument. Un mot - infinitif marqué par l'infini - sans sujet ; une œuvre - la destruction - qui s'accomplit par le mot même : rien que notre connaissance puisse ressaisir, surtout si elle en attend les possibilités d'action. C'est comme une clarté au cœur ; un secret soudain. Il nous est confié, afin que, se détruisant, il nous détruise pur un avenir à jamais séparé de tout présent ".

ISBN
PDF : 9872707324436
ePub : 9782707324429

Prix : 8.49 €

En savoir plus

Maurice Blanchot (L’Ephémère, 1969)

« Est-ce un livre, un film ? L’intervalle des deux ?… Quelque chose disparaît ici, apparaît ici, sans que nous puissions décider entre apparition et disparition, ni décider entre la peur et l’espérance, le désir et la mort, la fin et le commencement des temps, entre la vérité du retour et la folie du retour. Ce n’est pas seulement la musique (la beauté) qui s’annonce comme détruite et cependant renaissante : c’est plus mystérieusement à la destruction comme musique que nous assistons et prenons part ? »

Pierre Dumayet (Le Monde, 5 avril 1969)

Lu par Pierre Dumayet, commenté par Marguerite Duras :

« Dans un hôtel que l’on soupçonne d’être une maison de repos, trois personnes qui ne se connaissent pas. L’une d’elles est une femme. Sa table est près de la baie, aussi peut-elle en déjeunant voir le tennis, Ie parc et la forêt, qui le prolonge.
Elisabeth est constamment regardée par un homme seul, Max Thor. C’est un professeur d’histoire assez particulier. Comme il pense que l’histoire est la science de l’avenir – et que l’avenir se dérobe, – il se tait pendant ses cours et ses étudiants s’endorment. C’est ainsi qu’il a rencontré sa femme, Alissa : c’était une étudiante endormie. Il l’a réveillée, croit-il.
Max Thor, dans cet hôtel, est constamment regardé lui-même par Stein.
Rien ne se passerait entre eux – eux trois – si Stein, un soir, ne parlait à Max Thor.
Marguerite Duras :
Si Stein n’avait pas choisi Max Thor pour parler. Stein c’est l’impudeur. Rien ne lui est interdit : il n’a même pas besoin d’oser. Il peut.
L’important étant de dire, celui qui “ fait dire ”. Stein, est le maître.
Arrive Alissa. Arrivent aussi, le même jour – mais pour repartir le soir, – le mari et la fille d’Elisabeth Alione. Elisabeth pleure en silence. Alissa, qui lui tourne le dos, devine qu’elle pleure : “ détruire ”, dit-elle. Que veut-elle détruire ? Est ce là la forêt qu’elle vient de regarder ? Est-ce Elisabeth Alione ?
— La forêt qu’est-ce que c’est ?
(Silence.)
L’inconscient ? On me l’a dit.. Ou tout ce qu’Elisabeth se cache. Tous les mensonges la forêt les avale. Toutes les choses avortées s’y engloutissent.
— Le déjeuner terminé, Stein apparaît : “ Vous ne m’avez pas dit qu’Alissa était folle. ” Pourquoi dit-il cela ? Comment devons-nous le comprendre ?
(Silence, puis :)
C’est l’équivalent de : “ Vous ne m’avez pas dit qu’on pouvait aimer Alissa. ”
La folie, en effet, est ici la capacité d’être équivoque : d’avoir plusieurs sens ou – si l’on préfère – le même sens pour plusieurs personnes. Ainsi, parlant à Elisabeth de son mari, Alissa dit : “ Si vous l’aimiez, si vous l’aviez aimé, une fois, une seule, dans votre vie, vous auriez aimé les autres, Stein et Max Thor. ”
Quelques heures seulement après l’arrivée d’Alissa, Ies clients de l’hôtel peuvent voir Stein poser sa tête sur les jambes de la jeune femme, les caresser, les embrasser, tandis que Max Thor, le mari, dit : “ Comme il vous désire ! comme il vous aime ! ”
C’est comme s’il lui disait : “ Comme je vous désire ! comme je vous aime ! ” Ce que Stein éprouve pour Alissa, c’est le désir absolu.
Si elle était filmée, cette scène, éclairée ainsi, pourrait passer – et celles qui suivent – pour une manifestation en faveur du libertinage. Et pourtant, il n’en est rien, bien que Stein, Max Thor et Alissa finissent par faire passer dans leur camp Elisabeth Alione, et, presque son mari.
— Le libertin est intéressé, Stein non.
Je suis d’accord
Ainsi, entre Alissa et Stein, il y a aussitôt une complicité totale ; ils sont de la même race : ils sont “ fous ”. Et si Max Thor leur obéit avec bonheur c’est parce que Stein, avant l’arrivée d’Alissa, I’a initié, lui a fait perdre – en quelques mots échangés – I’habitude d’être à soi et par conséquent d’avoir avec les “ siens ” des rapports de propriétaire. Max Thor, Stein, Alissa ne possèdent personne. Ils “ n’ont ” plus. Ils “ sont ”.
— Il me semble que ce ne sont pas des sentiments qui relient entre eux Alissa, Max Thor et Stein. C’est une attention démesurée.
Oui, Détruire, dit-elle est un roman physique.
Militante du non-avoir, Alissa n’a que dégoût pour Elisabeth : elle veut l’emmener dans la forêt. Pour l’y tuer ? Pour la détruire ? Elisabeth est en effet l’ennemie : celle qui “ a ” un mari et que le mari “ a ”.
À ce moment du livre on peut trembler pour Elisabeth. Mais à tort. Un ennemi n’a pas besoin d’être tué. Il suffit de lui laver le cerveau pour en faire un allié, un “ fou ”.
Lorsque son mari Bernard vient la chercher, Elisabeth Alione est passée de l’autre côté, dans leur camp. Et, bien qu’il soit un solide garçon, il suffit à Bernard d’une partie de cartes étrange – on y joue sans connaître les règles, probablement parce qu’elles n’existent pas – pour se sentir fléchir. Mais pas assez pour rester.
— Depuis la rencontre de Stein, qu’est devenus Alissa ?
Une inconnue d’une étendue très grande, ouverte, poreuse à l’air, à la musique, à l’amour. Tout circule à travers Alissa.
— Qu’était donc Max Thor avant Stein ?
Un homme englué dans le vieux monde.
— Et maintenant qu’est-il ?
Il est comme Alissa, comme Stein, sans références et sans mémoire.
— Ce ne sont pas des hommes d’aujourd’hui ?
On m’a dit que c’était des “ mutants ”.
Sans références et sans mémoire ? Max Thor l’enseignait déjà : leur histoire est leur avenir uniquement. Du fond de la forêt détruite pour eux, accourt une musique qui remplace leur mémoire. C’est l’art de la fugue.
Et là est le danger : n’est-ce pas seulement une fugue inconsciente que réussissent Alissa, Stein et Max Thor ? Qu’importe ! j’ai lu ce livre comme Stein regarde Alissa. Avec la même et totale curiosité. »

Anne Villelaur (Les Lettres françaises, 1969)

« Détruire dit-elle est le plus étrange des livres de Marguerite Duras. Il ressemble à une cérémonie dont nous ignorerions le rituel et suivrions néanmoins, fascinés, le déroulement. Comme l’indique le titre, c’est peut-être l’idée de destruction qui s’impose le plus directement à nous, et encore à condition que détruire ne signifie rien de brutal, de violent, d’explosif, mais soit plutôt synonyme de miner, saper, corroder... Il y a, bien entendu, dans l’œuvre de Marguerite Duras, nombre d’éléments qui portent en germe Détruire dit-elle. Mais l’essentiel serait plutôt dans un glissement, un décalage dans les mots ou dans l’image qui étaient parfois sensibles dans Moderato cantabile ou dans Le Ravissement de Lol V. Stein et qui, ici, nous entraînent dans un univers de folie, ou plutôt d’insidieux dérèglement mental : chaque mot, chaque geste pris séparément ont l’apparence de la logique, mais c’est l’enchaînement qui donne l’impression que l’esprit chavire. »

 




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