M. D.

Michel Nuridsany (Le Figaro, 2 septembre 1983)

Yann Andréa : un document exceptionnel

Un document exceptionnel, bouleversant - ou un cauchemar. L'histoire d'une descente aux enfers. D'une mort et d'une résurrection.

 En apparence, ce livre est le récit d'une simple cure de désintoxication, difficile sans doute (et même dramatique) mais assez banale en soi... Oui, mais voilà il s'agit de M. D. M. D., I'auteur ne nomme qu'ainsi l’écrivain-cinéaste célèbre dont il est question ici, qui prépare la réalisation de Savannah Bay et corrige les épreuves de La Maladie de la mort. Les initiales sont transparentes mais elles ont sans doute leur utilité : respectons-les.

M. D., donc entre dans un hôpital à Neuilly pour y subir une cure. Brûlée par l'alcool et bien qu'elle répète : “ Je ne suis pas malade, je suis simplement alcoolique ”, elle est mise à un régime extrêmement sévère et brutal parce que nécessairement accéléré. La souffrance, les difficultés sont dites avec une acuité attentive et douce, ainsi que la lente émergence de l'enfer. Tout cela est fait de petits riens, de notations et de silences. Mais ce qui donne tout son prix à ce superbe récit c'est que M. D. est M. D., que ce livre, écrit par un proche présent à chaque minute du jour qui non seulement connaît parfaitement M. D. mais l'aime et vit en accord étroit avec elle, est un document unique, troublant, passionnant sur un grand écrivain dans un moment de crise d'abandon et même de délire puisque souvent dans ce récit fiction et réalité et obsessions se mêlent.

“ Au début et à la fin, on entend la voix de l'écrivain. Elle dit : J'ai relu mon texte, je ne sais pas s'il faut le publier, je crois que c'est encore trop écrit. ” On I'observe dictant à Yann Andréa, I'ami, le confident, l'intime, celui dont M. D. dit : “ Il n'y a que vous qui me liez au monde ” et qui n'existe que par et pour M. D.

“ Vous ne parlez pas, écrit-il, vous allez jusqu'à votre table de travail et là vous restez assise face au parc, pendant des heures. Et puis brutalement vous dictez. Je suis toujours prêt, je tape immédiatement. Il vous arrive de vous endormir, j'attends. Vous reprenez à l'endroit du mot laissé. ”

Mais au centre du livre, c'est M. D. tout entière, la femme, I'être de chair et de sang qu'on voit dans ses hésitations face à l’hospitalisation nécessaire, dans sa lucidité, dans ses peurs et ses dégoûts, dans ses faiblesses et sa force et ce qui remonte de l'enfance. Qui s'analyse : “ Ce que je viens de subir c'est épouvantable, c'est comme si on vous mettait de la dynamite dans le corps et que ça n'explose jamais. ”

Tandis que M. D. lutte contre la mort, renaît à l'écriture, le récit s'écrit sans qu'elle le sache, minutes précises, précieuses, tenues par un témoin qui est aussi le protagoniste du drame, un protagoniste volontairement effacé mais dont le beau livre dessine en creux, comme malgré lui, le portrait sensible avec sa générosité, son amour sans bornes, attentif, sa patience et sa douceur.

J'ai beaucoup aimé ce beau livre d’amour où la mort rode, ce livre plein de craintes et de tremblements où le style, comme par osmose, reproduit la scansion particulière de la voix d'un écrivain que nous connaissons plus intimement après avoir lu ce livre terrible et d'une certaine manière radieux.