Romans


Claude Simon

Triptyque


1973
228 pages
ISBN : 9782707300850
24.00 €
90 exemplaires numérotés sur pur fil Lafuma


En peinture, on appelle “ triptyque ” une œuvre composé de trois volets.
Si les actions ou les personnages mis en scène peuvent avoir entres elles et entre eux des liens plus ou moins étroits (par exemple plusieurs épisodes d’une même légende), d’autres fois les sujets de chacun des volets sont différents. Mais, ainsi ou autrement, l’ensemble de l’œuvre constitue un tout indissociable, et par l’unité de la facture, et par la façon calculée dont se répondent d’un volet à l’autre et s’équilibrent les différentes formes et les différentes couleurs.
La composition de Triptyque s’inspire de ces principes. Trois “ histoires ” (une noce qui tourne mal, la noyade accidentelle d’une enfant, un fait divers dans une station balnéaire) s’y entrelacent, se superposent parfois, se nourrissent l’une de l’autre et, finalement, s’effacent…

ISBN
PDF : 9782707325853
ePub : 9782707325846

Prix : 16.99 €

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Madeleine Chapsal (L’Express, 5 février 1973)

« Certains morceaux sont d'une extrême crudité : un valet de ferme culbute une servante sur un tas de foin, et les détails anatomiques et physiologiques de l'opération sont donnés avec tout autant de précision visuelle que lorsqu'il s'agit du corps d'une charrette, du bâti de la grange ou du rais de lumière venu de la lucarne où se pressent deux têtes de gamins rieurs.
En fait, cette scène – si c'en est une – n'a aucune signification qu'on puisse qualifier par exemple d'érotique, pas plus que n'est champêtre, ailleurs, ce morceau où deux garçons, munis de cannes à pêche, taquinent la truite.
Ce sont des images, au sens le plus plat du mot, puisque le couple de la grange est vu, à certains instants, sur une illustration, de même que les enfants du pont sont représentés sur un puzzle.
On n'est pas plutôt entré dans ce passage qu'on y trouve une autre affiche, une autre photo, comme autant d'ouvertures par lesquelles, grâce à un jeu de l'écriture, on va pouvoir sortir du morceau pour déboucher dans l'un de ceux du thème précédent – qu'on avait récemment quitté de la même fulgurante façon.
Ce passage surprenant et continuel de l'image fixe au monde animé, c'est, en somme, le principe du cinéma, où les images immobiles de la pellicule se mettent à bouger grâce à la vitesse de la projection, comme un livre se met en mouvement par le seul acte de la lecture pour devenir mobile.
Triptyque, le dernier et le plus nouveau livre de Claude Simon, est un mobile sans autre signification que le jeu parfaitement libre, comme on le dit d'une roue ou d'un pignon, de ses différentes parties entre elles.
Libre, parce que complètement détaché de toute relation avec une quelconque action quotidienne possible. Non seulement il est impossible de “ raconter ” Triptyque, mais aussi de le représenter : les personnages, on l'a dit, sont tout aussi bien de vagues figurines dessinées et sans psychologie, et il ne peut pas y avoir d'histoire, puisqu'il n'y a pas de déroulement repérable du temps
En effet, tout est toujours au présent, tout se passe toujours “ maintenant ”, c'est-à-dire à l'instant où telle ligne est écrite ou lue – le reste faisant partie non plus du passé ou de l'avenir, mais d'une réserve qui, à l'appel du regard, peut à tout moment venir occuper l'espace présent, comme les surfaces non regardées d'un tableau ou d'un triptyque.
Les thèmes de Claude Simon, on le sait, sont d'une simplicité si rigoureuse qu'elle touche à la banalité. Décrit-il une mouche se posant sur une feuille de papier et se frottant la tête avec ses pattes, c'est “ la mouche ” ; de même pour une vache qui bouse, une femme allongée sur un lit, une noce, une peau de lapin suspendue au soleil, on a déjà vu, on sait – ou presque. Et c'est dans ce presque, dans cet écart qui subsiste toujours, infime, entre une image, une perception, et ce qui semble être sa répétition, que se place ce que l'on nomme le plaisir. Dans le décalage entre ce que l'on a éprouvé et ce que l'on éprouve à nouveau que se trouve le plaisir. »

Dominique Rolin (Le Point, 5 février 1973)

« Certains assurent que le Nouveau Roman est mort. Parfait. Déchirons une étiquette sommaire qui n'a jamais signifie grand-chose puisqu'elle s'applique à des écrivains aussi divers que Butor, Sarraute, Robbe-Grillet, Duras, Sollers. Reste leurs livres ; chacun existe à sa manière. Tous en tout cas ont rendu manifeste une voie de sang rouge de la littérature commencée bien avant eux, parallèle à la voie de sang gris cherchant les sources d'un travail neuf.
N'oublions pas que Joyce publiait Ulysse pendant que brillait sur le podium Anatole France à la barbe lustrée d'académicien. Faulkner et Dos Passos étaient contemporains de Roger Martin du Gard et Saint-Exupéry. Le temps, essayiste féroce, remet en place des valeurs qui n'ont rien à voir avec les gros succès d'une époque.
Parmi ces hommes obstinés et discrets, Claude Simon poursuit une recherche exemplaire que Triptyque illustre une fois de plus. L'écrivain du Vent (1957), de L'Herbe (1958), La Route des Flandres (1960), Le Palace (1962), Histoire (1967), atteint une perfection technique exceptionnelle. Il a travaillé son roman avec la minutie jouisseuse d'un peintre hollandais du XVle. Personne ne sait comme lui décrire un pont, une rivière, des arbres, des corps, les ombres, les poils, les transparences, les humidités, les sons, les silences.
Le récit est bâti autour d'un thème unique, celui du coït. Dans le champ de son regard aussi souplement enregistreur qu'une caméra. Claude Simon déroule un paysage mi-citadin, mi-rural où les jours et les nuits, les saisons, les temps s'interpénètrent en une sorte de grand puzzle sexuel. Plusieurs actions apparemment isolées s'animent et se figent, sans autre point commun que celui d'une écriture admirablement neutre, luisante et dépouillée. Un couple fait l'amour dans une grange, épié par deux garçons. Un second couple fait l'amour débout, contre le mur de brique d'un cinéma, au fond d'une impasse. Dans une cuisine, un écolier se masturbe en examinant les chutes d'un film où l'on voit une actrice nue sur un lit, dans la chambre d'un palace. Une vieille égorge un lapin, puis le saigne avant de l'écorcher.
Ces fragments de fiction, tantôt fixes tantôt bougeants, passent sans cesse de l'image à la réalité en train de se vivre. Une carte postale se creuse, devient espace, perspective, puis drame muet, livre, tableau, film, affiche, avant de retrouver son impassibilité première.
Voyeur forcené, donc paisible, lent et têtu, Claude Simon ne laisse aucun repos à son lecteur en l'entraînant malgré lui dans un mouvement de lecture où le va-et-vient se fait de plus en plus spasmodique et précipité. On oscille entre le dehors et le dedans, le futur et le passé, l'immobilisme plan des objets ou leur pénétration frénétique. Tout se passe comme si l'on assistait, par une succession de contrepoints vibrés, au processus d'un orgasme qui serait entièrement contenu dans le champ du livre, dans le champ du monde. Pas un plan n'échappe à cette fatalité : la nuit possède le jour et le jour la nuit : L’été pénètre l'hiver la ville couvre la campagne, ignorant l'intervalle conventionnel des alinéas chaque phrase mâle viole chaque phrase femelle.
Ainsi se recompose la géographie naturelle d'un roman dont l'inquiétante rigidité, la robustesse volontairement privée d'air et de sens, et la magnifique application charnelle confirment la maîtrise sans défaut d'un regard qui sait. »

Jacqueline Piatier (Le Monde, 1973)

« C'est encore cette fois-ci un coup de maître. La recherche de Claude Simon s'y radicalise au point de donner l'impression d'un renouvellement dans sa manière, qui reste pourtant plus que jamais celle d'un visuel et d'un peintre extraordinaıre.
Faire tenir dans un livre, dans une oppressante simultanéité, trois paysages aussi différents, aussi contrastés qu'un hameau de campagne tout ruisselant d'eau et de lumière, une luxueuse plage méditerranéenne où les palaces étalent leurs insolentes volutes, les ruelles sombres et sordides de quelque banlieue industrielle du Nord, faire courir sous ce triple décor le fil tenu de trois histoires trois banals faits divers, où l'esprit des lieux et des habitants se reflète ; puis couper, fragmenter, dissocier ces ensembles, les donner en vrac, comme les gigantesques puzzles de Dubuffet, et composer avec ces fragments une œuvre qui frappe par son unité, telle est la difficile gageure que remporte ici Claude Simon. »

Claude Mauriac (Le Figaro, 1973)

« Plus que d'un puzzle il s'agit de pellicule en vrac dont le montage complexe révèle, sous le désordre apparent, un ordre subtil. Livre fait de films, films qui font le livre. Films soit projetés dans deux cinémas, L’un dans cette banlieue proche d'une gare, L’autre dans une remise campagnarde. Soit regardés en transparence, sur fonds de verdure, par les gamins qui en possèdent quelques images. Ainsi ces enfants qui sont dans un film regardent-ils un fragment de film. Les jeunes mariés de la séquence citadine sont à la fois devant le cinéma où passe le film situé sur la Côte d'Azur et dans le film annoncé par une seconde affiche pour la semaine suivante à l'entrée de la salle.
Travellings arrière ou avant, panoramiques. La caméra se substitue au regard des spectateurs, qu'ils soient dans le film, qu'ils regardent le film ou qu'ils lisent le livre. Le metteur en scène et l'auteur ne font qu'un. Les éléments cinématographiques sont à mesure transformés en matière littéraire. »

 




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