« Double »


Claude Simon

Histoire


2013
432 p.
ISBN : 9782707322784
9.50 €
* Première publication aux Éditions de Minuit en 1967.


Jacqueline Piatier, Le Monde, 26 avril 1967

Claude Simon publie aujourd'hui son huitième roman, qui paraît être son maître livre par l'ampleur et la sûreté de la technique. Histoire est, d'une façon plus générale, un très grand livre, très beau, très riche, très dominé, qui sans doute fera date dans la littérature romanesque de notre temps.

Tout, la vie, la mort, la vie constamment doublée par la mort, l"individu avec ses drames personnels mais aussi l’homme avec ses besoins essentiels, l’histoire avec ses grandes secousses, guerres ou révolutions, le monde enfin, la « vaste terre bigarrée… », il y a tout dans ce livre qui renouvelle en même temps le récit romanesque, son optique, sa composition et son matériau, la phrase.
Un homme, le narrateur, qu’on suppose au tournant de la cinquantaine, se retrouve dans la maison de famille où il a passé son enfance. Il y est revenu seul, en proie à des embarras d’argent qui le forcent à vendre quelque meuble et à hypothéquer quelque terre. C’est l’emploi d’une de ses journées, que seules privilégient ces opérations financières, qui va nous être conté. Trame banale s’il en fut, puisqu’on saisit le héros d’abord dans le demi-sommeil plein de pensées et de rêves qui précède son lever, et qu’on le suit au fil des douze chapitres, dans son cabinet de toilette, dans la rue où il rencontre un vieil ami de sa famille, à la banque où il va contracter un prêt, au restaurant où il déjeune, dans sa maison derechef pour négocier avec une antiquaire, au bord de la mer dans la villa de son cousin à qui il va demander une signature, sur la route du retour qui le ramène de la côte à la ville, la nuit tombée, au café où il s’attarde pour passer une soirée solitaire, cependant qu’une réunion électorale se tient à l’hôtel de ville, enfin chez lui, pour la troisième fois, au moment où le sommeil va s’emparer de lui, dans la récapitulation orchestrée de ses pensées et de ses actes du jour. Comme structure, un roman à la Joyce, les douze heurs de la vie d’un homme sans qu’aucun événement particulièrement romanesque, voire poétique les marque.
Histoire donne donc la vie à une dizaine de personnages. Si sporadiques que soient leurs apparitions, ils possèdent des caractères très marqués qui se dégagent de leurs silhouettes, de leurs paroles et de leurs habitudes. Les plus épisodiques sont poussés jusqu’au type : la garce séduisante (Corinne), l’homme bouffi d’argent et de graisse (Paulou), le « politicien moyen » (Lambert), un ancien camarade de classe du narrateur dont l’intolérable médiocrité apparaît dès le collège… Les parents sont moins typés soit parce que le narrateur ne les a pas connus, soit parce que les aimant il ne les a pas jugés. Ils évoquent des modes ou des âges de la vie : la mère, l’existence surannée, vide et captive des jeunes filles 1900 ; le père, officier de marine ou de troupes coloniales, la grande époque de la colonisation ; la grand-mère, toujours entourée d’un cercle de vieilles reines, la vieillesse avec ses dégradations caricaturales et ses geignements de tristesse.
Parmi ces personnages, il en est un qui grandit soudain jusqu’à concurrencer sur le devant de la scène le narrateur lui-même. À un moment du roman, et pour de nombreuses pages, il se met à parler à la première personne comme s’il y avait substitution de héros. C’est l’oncle Charles sur qui repose tout le romanesque - au sens traditionnel du mot.
Mais on n’a rien dit du livre, de sa beauté, de sa force, de son originalité, en le ramenant à ces deux squelettes d’histoire qui cheminent parallèlement, l’une en pointillé, l’autre au trait noir, ayant entre elles des correspondances, des symétries et probablement plus que cela. C’est la manière dont tout est vu et dit qui soulève comme un ferment cette pâte presque ordinaire et qui la magnifie.
Tout, chez Claude Simon, passe par les sens, si bien qu’à part quelques excellents dialogues qui ont la vérité des propos enregistrés sur le vif tout se ramène à des descriptions : des objets, des paysages, des scènes dont sont rendus simultanément les bruits, les odeurs, les qualités tactiles, la lumière qui les baigne, l’atmosphère. À la limite, à cause de tant d’impressions sensorielles superposées, on pourrait dire que Claude Simon ne décrit pas mais qu’il fait exister. L’œil, pourtant, prédomine. La vie, saisie immédiatement ou rappelée à la mémoire, tend à se transformer en tableau, tandis que le tableau, lui, s’anime, comme si on entrait dedans. Le monde, en effet, n’est pas seulement vu en direct ou à travers le prisme du souvenir. Une place très grande est accordée à toutes ses représentations figurées : peintures, photographies, cartes postales, timbres, billets de banque, auxquels s’ajoutent encore toutes sortes d’images fugitives : reflets, taches de soleil, ombres chinoises.

Histoire a obtenu le prix Médicis en 1967.

ISBN
PDF : 9782707325457
ePub : 9782707325440

Prix : 9.49 €

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