Romans


Clément Rosset

Récit d'un noyé


2012
96 p.
ISBN : 9782707322395
11.00 €


Pendant que des médecins travaillaient à me maintenir en vie, à la suite d’une noyade qui aurait dû finir fatalement, j’ai vécu, ou rêvé, ou halluciné, des aventures si extraordinaires que l’idée m’est venue d’en rapporter au moins quelques-unes.

ISBN
PDF : 9782707324597
ePub : 9782707324580

Prix : 7.99 €

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Jérôme Garcin, Le Nouvel Observateur, 11 octobre 2012

Vingt ans après avoir plongé dans la dépression, il s'est noyé dans la Méditerranée. On voit par là que Clément Rosset est notre meilleur philosophe de l'hydrocution. Dans son malheur, du moins l'auteur de « Route de nuit » a-t-il découvert que ces deux violentes immersions en eaux troubles avaient la faculté de le conduire directement au pays des rêves. Or, si la dépression favorisa les pires cauchemars (il se voyait face à un miroir qui ne le reflétait plus), l'état semi-comateux dans lequel il sombra à l'hôpital, juste après sa noyade à Majorque, provoqua au contraire d'extravagantes et parfois hilarantes hallucinations.
Avec ce talent que le plus littéraire et le moins utopiste des philosophes a toujours eu pour raisonner ce qui échappe à l'entendement, rendre visible ce qui est invisible (mystère auquel il consacre également un essai) et rire du tragique, Clément Rosset relate ici certains de ses songes. Il s'imagine, lui le noyé, être privé d'eau. Pour échapper à la torture de la soif, il recherche un mystérieux « Elixir rouge ». Il rencontre des cinéastes et des terroristes néo-mexicains qui appartiennent à une « communauté rebelle » contrôlant l'île Saint-Louis. Des geishas majorquines l'emmènent en Australie après avoir fixé à son poignet un énorme cadenas doté d'un explosif. On lui annonce que les œuvres de Chopin sont des faux et le FBI le met au secret. Un jour, il est sur un quai de Cherbourg, un autre, en gare de Djibouti, desservie par la SNCF. Et quand il ne déjeune pas à Rome avec le jeune Cicéron, il plaide à Bastia pour faire acquitter un violeur. J'en oublie, et en redemande.
Jamais le penseur du « Réel et son double » (on sait qu'il n'a cessé de faire l'apologie du premier et de dénoncer les illusions du second) n'a été davantage romancier que dans ses délires et plus jules-vernien que sur ce lit d'hôpital plongeant tel le « Nautilus » dans la nuit profonde de l'inconscient. Coulé dans un style de la plus belle eau, ce recueil d'échappées oniriques est d'une inventivité et d'une liberté qui inciteraient presque à se noyer afin d'accéder à ce royaume où la logique du pire devient l'illogisme du meilleur et où Schopenhauer, son auteur de chevet, ressemble soudain au Capitaine Haddock.

Roger-Pol Droit, Le Monde, 19 octobre 2012

L'éternité de l'illusion

Clément Rosset chasse les illusions depuis une bonne trentaine d’années. Méthodiquement, il s’ingénie à dissoudre les semblants et les rêves, toues les histoires que les humains se racontent. Sa tâche : nous ramener au réel, à ce qu’il a d’évident et de difficile, pour cause de platitude et de singularité. En outre, ce philosophe chasse nos fantasmagories comme d’autres les papillons : il collectionne nos banales manières de délirer et les épingle dans de petits livres carrés. Après les avoir passées à la teinture d’ironie, il range dans le tiroir des embarras inutiles nos emphases communes et nos boursouflures triviales.
Pour la plus grande joie de son fan-club, Clément Rosset écrit toujours le même livre. Avec des variantes, des inflexions, cela va de soi. Mais ses livres poursuivent un seul et même dessein : opérer une déflation de l’imaginaire et de ses pièges. Digne représentant d’une espèce en voie de raréfaction, Homo philosoficus monoideus, Rosset poursuit son réquisitoire contre nos propensions à parler pour ne rien dire, à croire que nous pensons quelque chose quand nous ne pensons rien, à voir des choses qui n’existent pas… Bref, à doubler le réel, qui n’en demande pas tant, d’une multitude d’hallucinations, ordinaires et trompeuses.
Parfaite surprise
Avec L’Invisible, donc, pas de surprise : armé de Wittgenstein, de Proust et de Goya, notre homme égrène ses standards, scrute nos erreurs sur la musique et les croque-mitaines, avec ce charme nonchalant qui lui est propre. Mais voilà que tout change avec Récit d’un noyé, réunissant vingt cauchemars d’une époustouflante présence. Il y a deux ans, en septembre 2010, l’auteur a failli périr dans une crique de Majorque. Au cours de dix-sept jours à l’hôpital, il a copieusement déliré. Quelques vestiges de ce voyage extravagant forment ce livre inattendu.
Prisonnier d’un étrange pénitencier où les détenus sont indéfiniment privés d’eau, client d’un non moins bizarre salon de coiffure où les hôtesses sont animées des pires intentions, tantôt en cavale, tantôt au cachot, séquestré par les uns, persécuté par d’autres, victime d’attentats, d’escrocs ou de malentendus, en butte à des manucures japonaises et des terroristes néomexicains, le narrateur est ballotté de séquence en séquence sans connaître jamais, et pour cause, le fin mot de l’histoire. Qu’il rencontre Cicéron, qu’il s’occupe des partitions de Chopin, très vite, cela n’étonne même plus.
On aura compris que le plaisir du lecteur est total, la surprise parfaite, l’écriture inventive, les malaises garantis. Rosset s’angoisse et s’amuse tout ensemble, et nous aussi. Avec, en prime, cette brève leçon de philosophie, implicite mais paradoxale : les délires, en fin de compte, sont plus attirants que la platitude du réel. Le double est plus riche, la fantasmagorie plus belle. Ce n’est certes pas une découverte. Mais l’amusant, en l’occurrence, est de voir cette antique fécondité des labyrinthes de l’imaginaire confirmée de manière éclatante par le penseur contemporain qui a le mieux expliqué pourquoi s’en méfier, et comment s’en défier. L’homme qui chasse les illusions est tombé dedans, et s’en est bien sorti. Cicéron et Chopin se réjouissent. Ils ne sont pas les seuls.

 




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