Romans


Tanguy Viel

Paris-Brest


2009
192 p.
ISBN : 9782707320636
14.20 €
40 exemplaires numérotés sur Vergé des papeteries de Vizille


Il est évident que la fortune pour le moins tardive de ma grand-mère a joué un rôle important dans cette histoire. Sans tout cet argent, mes parents ne seraient jamais revenus s'installer dans le Finistère. Et moi-même sans doute, je n'aurais jamais quitté Brest pour habiter Paris. Mais le vrai problème est encore ailleurs, quand il a fallu revenir des années plus tard et faire le trajet dans l'autre sens, de Paris vers Brest.

ISBN
PDF : 9782707326775
ePub : 9782707326768

Prix : 6.99 €

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Marie-Laure Delorme, Le Journal du Dimanche, 11 janvier 2009

Un vrai-faux roman familial où se mêlent le biographique et le romanesque

Les réputations sont faites pour être défaites. Brest passe pour être l'une des villes les plus laides de France. C"est un mensonge. Il faut juste savoir déposer sur ses lots de bâtiments neutres et carrés une fine poussière de mots ronds et denses. Ça s’anime, se nuance, s’arbitre. Et puis sinon, on est en Bretagne, il suffit de lever le nez : ciels bleu-gris à perte de vue. Tanguy Viel est né à Brest en 1973. Il y a vécu douze ans. Il connaît sa ville comme sa poche. Le centre a été détruit durant la Seconde Guerre mondiale puis entièrement rebâti. L’auteur de Cinéma (Minuit, 1999) réussit à construire, autour d’un lieu de naissance à la fois adoré et détesté, une œuvre de pierre à pierre. Ses obsessions d’écrivain se dessinent dans un art subtil du mi-voix. Les codes de la bourgeoisie de province ; la pudeur attachée aux pas de ses personnages comme un chat scotché aux pas de son maître ; le fric ou l’argent ou le pognon ; le mixage du vieux et du neuf ; le foudroiement de l’échec à deux pas de la réussite. On retrouve le tableau dans Paris-Brest : grand roman des vautours et des retours.
Un père dirigeant de foot, une grand-mère et ses millions
Tout est possible. On peut raconter l’histoire, on peut raconter les lieux, on peut raconter l’écriture. On peut aussi passer en revue, sans exiger de garde-à-vous, les différents personnages. Ça donne : la grand-mère empoche 18 millions à quelques encablures de la mort ; la mère ouvre une boutique de souvenirs à Palavas-les-Flots, avant de la fermer aussi sec pour cause de déficit : l’horrible fils de la femme de ménage (forcément) sème la discorde entre les uns et les autres ; le frère dissimule une homosexualité connue de tous ; le père se retrouve démis de ses fonctions de vice-président du Stade Brestois, après avoir creusé un trou de 14 millions. Et le fils, apprenti écrivain, veut raconter tout ça dans un roman familial. Ça sera bien. Plein de petits secrets sordides exposés au vu et au su du monde entier. En bref : une vie bue au goulot par des êtres de fric (les jeunes) ou de frac (les vieux) mais, bon, à la fin, tous avides-cupides quand même.
Un romancier rare par sa maîtrise de l’intrigue et du style
On est chez Tanguy Viel. Les histoires sont de rêveurs à la petite semaine, de bas de laine troués, d’éclairs de couleur, de plans machiavéliques mal huilés. L’auteur de L’Absolue perfection du crime (Minuit, 2001) puise dans les arts (le cinéma sur le bout des doigts) et détourne les règles (le roman policier à sa sauce). Paris-Brest appartient au genre du vrai-faux roman familial. Extraordinaires portraits d’une mère comme une porte de prison, de seconds rôles soudainement propulsés en têtes d’affiche de nos vies, d’une ville de province aux codes incrustés dans la peau. Les traits d’humour torpillent les traits d’esprit. Le bruit de l’ironie énerve maintes scènes comme des glaçons tintant dans un verre de whisky. Une humanité fière et fade. Crevasse entre ce qu’on s’image être et ce qu’on est réellement. On a parfois reproché à Tanguy Viel sa virtuosité d’enfant surdoué. Pas ici. On est dans la « concrétude » des vies moyennes et médiocres, sans aucun déroulement de tapis rouge.
Paris-Brest peut aussi se comprendre, à travers le personnage du narrateur-écrivain, comme une réflexion sur la littérature. Jeu entre le vrai et le faux : qu’est-ce qui est autobiographique et qu’est-ce qui est romanesque ? Jeu entre le droit et le devoir : est-ce qu’on peut détruire des êtres de vie avec des êtres de papier ? Le noir est ici la couleur dominante. Manteau noir, contre-jour, marbre noir, lumière d’orage, air noir, ombre fixe, tourbillon noir. Le fils partira puis reviendra au sein de sa famille. Aucun changement. La peur de l’étranger reste présente. Ils sont visages collés aux carreaux des fenêtres : mais, c’est qui ? On n’est pourtant toujours trahi que par les siens. Tanguy Viel est un romancier rare par sa double maîtrise du style et de l’intrigue. On se laisse envoûter par ses phrases verglacées, son suspense joué puis déjoué, ses silhouettes dépareillées. C’est toujours la même chose. On fait mille détours inutiles puis on est soudain de retour sur les lieux du crime, où tournent dans le ciel des vautours.

Sabine Audrerie, La Croix, 8 janvier 2009

Petits arrangements en famille sur fond d'héritage usurpé et d"identités mal assumées, par l’un des romanciers les plus doués de sa génération

Si le titre évoquait en clin d’œil un gâteau au praliné prompt à écœurer, l’histoire se terminera pourtant avant le dessert. Et avant même le réveillon de Noël annoncé, sur un plat de résistance à la sauce aigre-douce, de ceux que l’on déguste en famille et que les convives auront grand mal à digérer. Louis, fils prodigue, n’était pas revenu chez ses parents depuis trois ans, parti vivre à Paris pour s’arracher à une influence trop pesante. Trois années mises à profit pour écrire un roman dont le fin mot, posé à la faveur de ce retour en Bretagne, ne sera pas celui qu’il croyait. C’est ainsi que Tanguy Viel aime à mener ses intrigues, ménageant le suspens par l’amplitude de ses phrases, la répétition d’adverbes qui crée une urgence et une anxiété, autant que par l’atmosphère si particulière qu’il développe en quelques lignes, maniant les ombres et les éclaircies en un bal de faux-semblant d’où éclate toujours une vérité étonnante.
C’est à nouveau à Brest que l’écrivain a planté son théâtre, pas au grand air vivifiant de l’océan mais dans celui vicié de maisons aux murs de granit épais. Autant dire au bout du monde, dans ce Finistère où ses personnages sont travaillés à la fois par l’appel du large et par le carcan séculaire des usages provinciaux. Et c’est à nouveau l’argent qui sera, dans ce cinquième roman, le nerf de la guerre.
Quelques années auparavant, la grand-mère de Louis avait rencontré Albert au Cercle marin, cantine locale où tout ce que Brest compte d’un peu chic ou qui croit l’être se réunit, une « salle plus vertigineuse qu’un muséum d’histoire naturelle ». Selon un accord passé chez notaire, le très vieil homme lui promit sa fortune en échange de sa compagnie. « Un peu comme un viager… », confiait-on à voix basse. Peu de temps après la grand-mère devint millionnaire et propriétaire d’un grand appartement dominant le port, « cent-soixante-mètres carrés avec vue sur la rade, répétait-elle comme si c’était un seul mot, une seule expression qu’elle avait prononcée des milliers de fois, laissant glisser dessous toutes les images qui allaient avec, c’est-à-dire la mer bleue de la rade, les lunatiques teintes de l’eau, les silencieuses marées d’août, les reflets de la roche et les heures grises de l’hiver ». « En rade » aurait d’ailleurs pu être un bon titre pour cette histoire, tant cet appartement vue-sur-mer bourré de billets de banque allait mener tout le monde au fiasco. Car l’arrangement prévoyait une autre clause, indiscutable : que soit aussi gardée la femme de ménage, madame Kermeur, cheval de Troie de leur malheur annoncé selon la mère de Louis. Très vite obsédée par celle qu’elle considère comme une rivale et une menace, elle va poster son fils en surveillance dans l’appartement du dessous, faisant de lui une sorte de concierge prompt à la prévenir en cas de danger. Du moins le croit-elle, quand lui, mi-obéissant mi-frondeur, est tiraillé entre sa fidélité et l’envie de s’extraire de cet environnement délétère, oppressé par les pas de la vieille dame qui résonnent au plafond comme le battement de son sang. Son « ami », le fils Kermeur, un peu paumé un peu voyou, l’y aidera, l’incitant à faire le ménage par le vide, dans l’appartement et dans sa vie. Louis prendra donc la poudre d’escampette, avec de l’argent mal acquis, certes, mais qu’il aura en quelque sorte blanchi de son hypocrisie, direction Paris et une chambre de bonne avec vue sur le jardin du Luxembourg, d’où il ne reviendra que pour ces fêtes de Noël, son manuscrit sous le bras pour solde de tous comptes.
Tanguy Viel aime les histoires de crime parfait, et il sait les mener avec doigté (on se souvient du hold-up de L’Absolue Perfection du crime ou du kidnapping d’Insoupçonnable. Il fait de Louis un narrateur et un témoin, bientôt acteur et même scribe de son histoire. S’il remporte notre sympathie, le jeune homme est-il pour autant plus valeureux que les autres ? Que ce père exilé après le scandale financier du club de foot qu’il dirigeait, et qu’il n’ose piper mot devant sa femme et sa belle-mère ? Que cette mère plus attentive à défendre sa réputation déjà bien entachée qu’à aimer ses enfants ? Que ce frère qui comme lui a préféré endosser le rôle qu’on lui tendait plutôt que de voler de ses propres ailes ? Chez Tanguy Viel les rapports sont régis par contrats, tacites ou formulés, voire notariés. La petite ville de province est un cadre idéal pour mettre en scène ces affrontements de classe, chacun de ses personnages considérant son prochain depuis son milieu social, avec son vocabulaire et ses codes, et l’illusion parfois d’avoir enjambé le gouffre qui le séparait d’une meilleure condition en jetant dedans quelques billets. « S’acharner des jours en pensant qu’une vie se rattrape en jouant au golf, soupirait le narrateur d’extraction modeste d’Insoupçonnable, (…) sans que nulle part autour, aucun signe de soi ne déborde. » Paris-Brest est le roman d’un face-à-face entre deux mondes, le prolétariat et la basse bourgeoisie, figurés par deux personnages : la mère de Louis et le fils Kermeur, entre lesquels le jeune homme fait le joint sinon l’arbitre, trouvant à chacun des circonstances atténuantes et des chefs d’accusation. Et l’on comprend vite que c’est aux deux facettes de sa propre personnalité, et à ses propres contradictions, qu’il est ainsi confronté. Les masques tomberont, provoquant la ruine, réelle ou fictive, des uns, et la libération d’autres, tel ce père maladroit, qui par un dernier geste, anodin mais émouvant, offrira au roman et à son fils une bouffée d’air frais inespérée.

Isabelle Rüf, Le Temps, samedi 7 février 2009

Tanguy Viel exorcise le roman familial dans une mise en abyme habile. On retrouve dans « Paris-Brest » ses motifs récurrents : la lutte inégale pour l’argent, la trahison, la haine entre les classes.

Ecrire pour effacer le mal

Paris-Brest est une histoire d’allers et retours. Tout part et revient à Brest, au bout des terres, omniprésent dans l’univers de Tanguy Viel. Une ville qui aurait pu renaître de ses cendres dans une belle utopie architecturale. Mais « quelques riches grincheux » n’ont rien voulu céder de leurs privilèges, ils ont gardé pour eux la vue sur la baie et le large. On retrouve dans Paris-Brest les motifs qui sous-tendent les livres précédents. L’Absolue perfection du crime (2001) et Insoupçonnable (2006) : la trahison, les faux frères, le fossé des classes, les efforts dérisoires des pauvres pour s’approprier les privilèges des riches. En revisitant avec une grande rigueur le roman noir, ce jeune romancier (il est né en 1973) construit une œuvre mélancolique, non sans humour. Son écriture va en se dépouillant, toujours aussi efficace, précise, visuelle, d’une remarquable économie.
Il s’agit, dans Paris-Brest, d’un roman familial, à composante autobiographique. Ou plutôt de deux : celui que nous lisons, raconté par un des acteurs, le fils, et, enchâssé comme dans une poupée ruse, celui qu’il a écrit, pour effacer le mal, au cours d’une éclipse parisienne de trois ans. Il y a transposé « des choses sur nous », comme dit la mère. De celui-là, nous ne saurons que ce que le fils nous en dit. L’argent est le moteur de cette histoire. « Pour ma mère, expliquais-je au fils Kermeur, le monde est très simple, le monde est une sorte de grand cercle et au milieu, il y a une montagne d’argent et sans cesse des gens entrent dans le cercle pour essayer de gravir la montagne et planter un drapeau en haut. » Le fils Kermeur est « au centre de l’échiquier », un pion essentiel et menaçant, seul élément extérieur au microcosme familial. La mère, « qui n’aime pas les pauvres », le soupçonne de vouloir s’emparer de la fortune qui lui est arrivée par une voie inattendue. Et comme ils ont un contentieux qui date de l’enfance des deux garçons, elle a de bonnes raisons d’avoir peur.
La grand-mère a conclu un pacte avec un très vieux monsieur rencontré au Cercle marin. Elle l’a accompagné quelques années, jusqu’à la mort. Ce viager lui a rapporté dix-huit millions et l’appartement sur la baie. A la seule condition qu’elle garde à son service la femme de ménage. Or cette femme est la mère du fils Kermeur, ce voyou, ce voleur, que la mère pensait avoir éloigné de son fils. Avec elle, l’ennemi de classe est dans la place. La mère en a des crises de spasmophilie. D’autant plus qu’elle-même est au loin, exilée dans le sud de la France, à vendre, mal, des cartes postales. Car, par un mouvement inverse de la fortune, le scandale a frappé le père, accusé d’avoir creusé un trou de quatorze millions dans la caisse du Stade brestois dont il était vice-président.
Le fils a refusé de suivre ses parents dans le Sud honni. Il loge dans un studio en dessous de sa grand-mère. En contrepartie – tout se paie – il l’accompagne au restaurant du Cercle marin, au milieu des officiers momifiés. Tous les soirs, le fils Kermeur, réapparu, vient sonner à sa porte avec une bouteille. A force d’entendre la vieille dame trottiner au-dessus de leurs têtes au milieu de ses richesses, il vient des questions aux garçons : « Franchement, qu’est-ce qu’elle fait de tout ça, ta grand-mère ? » C’est le fils Kermeur qui l’a dit mais ils y pensaient les deux. Ils seront complices, liés dans le silence.
Qui soupçonnerait un petit-fils ? Il part pour Paris, la moitié du butin dans sa valise. Les parents rentrent en Bretagne profiter des millions de la vielle dame. Trois ans passent. Le fils revient pour Noël. Dans sa valise, un manuscrit a remplacé les billets de banque. Il y expose ces « choses sur nous » soigneusement enfouies par la mère, n’épargnant personne : les secrets d’un frère dont on ne savait rien, la vieille histoire du fils Kermeur, tout un tas sordide de non-dits. La mère lit ce réquisitoire mal caché. Va-t-elle faire une de ces crises qui la laissent sans souffle, la tête dans un sac en plastique ? Non, elle choisit encore une fois le silence et le déni. Absurdement, inutilement. Le fils repart pour Paris, libéré, mettant un point final aux allers et retours dont est tissé son roman familial.

 




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