Essais


Tanguy Viel

Icebergs


2019
128 pages
ISBN : 9782707345745
14.00 €


Icebergs est une série de promenades dans les allées d'une pensée qui tourne et vire, une pensée à vrai dire obsédée par les formes qu'elle peut prendre. Cette nature inquiète qui l'abrite se demande surtout comment les autres, tous les autres, ont fait avant elle. Alors elle enquête, elle arpente les rayons des bibliothèques, elle se promène sur internet, elle se renseigne sur la vie des écrivains, elle s'assied sur un banc – autant de manières pour elle de résoudre l'énigme de son expression rêvée, ici présentée en courts essais « arctiques », parties visibles et flottantes de la pensée.

ISBN
PDF : 9782707345769
ePub : 9782707345752

Prix : 9.99 €

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Matthieu Mégevand, Le Temps, samedi 19 octobre 2019

Le bouillonnement intérieur des esprits créateurs

Fasciné par la capacité des artistes à donner forme à ce qui les anime, Tanguy Viel consacre un essai lumineux à quelques-unes de ces figures hors norme

Ce monde intérieur, immense, grouillant, qu’on pourchasse comme autant de moulins, qui ne cesse de nous fuir et que l’on nomme « pensées » : voilà ce que Tanguy Viel, dans Icebergs, tente, non pas de circonscrire – c’est impossible – mais d’examiner, auprès d’hommes tout obnubilés par l’énigme de leur propre existence et de ses obsessions. Au gré d’un cheminement poétique et disparate, qui reflète la forme même de son objet, l’auteur nous emmène dans les abris (cabanons ou cathédrales) inventés par certains pour contenir ou déployer ce que Charles Du Bos appelait « la pensée nue et grelottante ».
On croise alors Aby Warburg, qui entre deux crises psychotiques constitue une immense bibliothèque – 60 000 volumes – agencée selon ses seules affinités et qui lui permit de donner corps, à travers les mots des autres, à son bouillonnement intérieur. On suit quelques diaristes, célèbres ou méconnus : Maurice de Guérin, le Genevois Henri-Frédéric Amiel qui, avec son journal de 16 000 pages, ne semble avoir trouvé comme solution que de laisser couler via l’encre ce que son âme noueuse ne cessait de produire. Mais qui est loin, dans ce domaine, d’âtre le plus prolifique, puisqu’on découvre également l’existence de Robert Shields, suprême cinglé parmi les cinglés, révérend anglais qui a écrit de 1971 à 1997, un journal de 37 millions de mots, soit six fois plus que celui d’Amiel, constitué d’observations systématiques de ses moindres faits et gestes, et ce toutes les cinq minutes. « 7:30-7:35 Nous avons changé la lumière au-dessus de la voûte parce que l’ampoule était grillée. »
A ceux qui ont osé demander à Robert Shields un motif, une raison, la moindre bribe d’explication quant à cet innommable projet, celui-ci répondrait seulement : « Je ne sais pas, c’est une obsession. Je le fais, c’est tout. »
MONTAIGNE, JOYEUX ET LIBRE
Tanguy Viel s’attarde encore sur des figures plus connues, le Facteur Cheval, bien sûr, dont le palais constitue peut-être l’exemple le plus probant d’une domestication de la pensée créatrice, entièrement consacrée à son projet, année après année, une décennie après l’autre, sans jamais faillir, jusqu’à parvenir à son aboutissement.
Mais le personnage qui retient au fond le plus l’attention de Tanguy Viel, celui qui est le mieux parvenu à « négocier avec ses puissances mentales », c’est Montaigne. Laissant vaquer son esprit – ce « cheval échappé » -, l’auteur des Essais nous entraîne dans « l’arrière-boutique de lui-même » et déroule une pensée à la fois curieuse et familière, nonchalante et virtuose. Lire Montaigne, c’est accéder à un esprit défait de ses amarres, joyeux et libéré, qui a su, sans flétrir ni s’annihiler, « aller à saut et à gambade ».
Le magnifique essai de Tanguy Viel fonctionne ainsi comme autant de portes qui s’ouvriraient sur le for intérieur d’écrivains, d’artistes, ne révélant rien de la mécanique – à jamais voilée – à l’origine de leur œuvre, mais poussant seulement à admirer, s’étonner, (s’inquiéter,) s’émerveiller de ce que l’esprit humain peut, par une étrange et impérieuse nécessité, produire.

 



Marine Landrot, Télérama, 30 octobre 2019

Que veut dire écrire ? Dans le sillage de ses pairs, l’auteur de Cinéma ausculte son métier. Et, ce faisant, compose un texte exaltant.

Il a beau se faire tout petit comme « un poisson, mais plutôt même comme une algue », rappeler que son prénom lui vient peut-être des Tangi, "ces bêtes mystérieuses et attirantes qui peuplent les esprits oisifs " dans les histoires celtes, se désoler de cette manière qu’a « l’âme de revenir toujours au même endroit sans être allée bien loin », Tanguy Viel nous emmène par cet essai dans les replis les plus lumineux de son intelligence. Écrire sur l’écriture, la tâche est par essence source de vertige, l’outil risquant le dérapage à tout instant, à trop vouloir se travailler lui-même. Mais l’auteur y parvient, porté par l’instinct sûr de ses tournures d’esprit et de phrases, qui le mènent à flâner en profondeur dans ses pratiques de lecteur et de créateur.
Sans se rendre compte qu’il offre lui-même cet « abri provisoire où consister un instant » dont tant de livres lui ont tenu lieu jusqu’à présent, Tanguy Viel s’inscrit dans une chaîne humaine d’écrivains qu’il admire et dissèque, pour en comprendre l’abyssale ardeur et la force de salut chez tous ceux qui les fréquentent des yeux. Pour l’avoir expérimenté personnellement, il sait que la littérature vient tenir chaud à la pensée « nue et grelottante » du lecteur errant, et que certaines phrases peuvent apparaître dans la page comme un « miroir chiffré de nous dans lequel reconnaître, certes illusoirement mais quand même, le mouvement fixé de soi ».
La familiarité de son ton, fraternel et loyal, assortie à la précision intellectuelle de son écriture, éminemment pointue, fait de ce livre un refuge accueillant propre au ressourcement et à l’élévation. Y séjournent entre autres Virginia Woolf, Sigmund Freud, Montaigne, Maurice Blanchot, Antonin Artaud ou Christine de Pisan, et l’on repart chez soi ragaillardi, rayonnant des citations glanées dans les fossés, heureux d’avoir « fortifié le cœur de soi pour tenir le pas gagné et s’avancer dehors ».


Camille Laurens, Le Monde, 31 octobre 2019

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Lire l'article d'Eric Loret, "Ecrire, à quoi ça sert ?", En attendant Nadeau, 5 novembre 2019




 




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