Romans


Éric Laurrent

Ne pas toucher


2002
192 pages
ISBN : 9782707317797
12.15 €
30 exemplaires numérotés sur Vergé des papeteries de Vizille


Placé en garde à vue au lendemain même de son mariage, Oscar Lux charge son homme de confiance, Clovis Baccara, de veiller sur son épouse Véronica. Dans la suite nuptiale d’un palace situé sur les hauteurs de Los Angeles, tous deux vont donc attendre sa libération. Or, une garde à vue étant reconductible, la venue d’Oscar tarde. Et plus les jours passent, plus il semblerait que Clovis Baccara peine à observer la règle qu’il s’est fixée : surtout ne pas regarder la jeune femme, la toucher encore moins.

ISBN
PDF : 9782707330673
ePub : 9782707330666

Prix : 8.49 €

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Norbert Czarny (La Quinzaine Littéraire, 1er mars 2002)

Formes et figures
 
« Sous ses dehors amusants, légers, le roman est comme les précédents, une description de notre monde contemporain. Clovis n’a pas toujours été le vassal de Lux. On le voit en junkie dans un hôtel misérable de la rue de Ménilmontant. Il a tout du vieillard sur le point de trépasser quand il rencontre Lux, sortant de prison, ayant besoin de se refaire. Les deux hommes s’entendent parfaitement et ses “ facultés cognitives ” et “ talents intellectuels ” font de Clovis un spécialiste du blanchiment d’argent sale. Laurrent pratique l’allusion et la périphrase pour décrire cette activité dont on sait aujourd’hui combien elle profite du système économique et des marges qu’il écarte largement. On s’amusera de cela comme de son évocation des emplois fictifs dans Remue-ménage. L’écriture riche et précise de Laurrent décrit des circuits, des milieux, tout un monde en somme né sur les ruines du mur de Berlin : la pénétration à l’Est a transformé le système économique. On s’amusera plus encore de la galerie de personnages qui gravitent autour de Lux et Baccara. Ainsi de Maurizio, le chauffeur à face camuse d’ancien boxeur qui parle de “ fastivités ”, “ planitude ” et des “ bras d’Orphée ”. Le romancier aime les mots jusque dans leur déformation.
Ce roman est aussi une histoire d’images et de cadres. Fuyant à Los Angeles, Baccara croit échapper aux regards de son chef, de la police, de tous ceux qui pourraient le rechercher. Or il est prisonnier d’un cadre, l’hôtel de luxe, la suite dans laquelle il n’a pas de lit, tout près de la chambre qu’occupe Véronica. Et pire, il est sans cesse filmé ; de là viendra sa fin tragique. Elle est en fait annoncée par les nombreuses scènes dans lesquelles lui ou d’autres s’observent dans les miroirs. L’apparence physique est une constante dans cet univers où “ il ne faut pas toucher ”. On essaye de s’éviter, on se frôle, l’excitation tient à un rien, mais d’abord on se voit et on se montre. “ Lux ” et “ Baccara ”, comme l’éclat lumineux et la brillance du cristal : les noms parlent. Les lieux aussi : Los Angeles est en ce sens la capitale de Narcisse, et sa plage le lieu vers lequel convergent tous ceux qui n’existent que par leur look. »

Jean-Claude Lebrun (L’Humanité, 14 mars 2002)


Plus qu’un jeu virtuose

« (…) Le fidèle Clovis se trouve donc chargé d’y chaperonner la jeune épousée, en attendant la fin de la garde à vue. Malgré les abîmes de troubles qui l’ont tout de suite saisi devant cette beauté parfaite, il est fermement résolu à “ ne pas toucher ”. Suivant en somme le vieil interdit, qui permet à la famille de tenir, à la société de ne pas exploser. Pas vraiment étonnant de la part de ce Clovis qui a acquis, avec la fortune, une immense culture et semble connaître comme sa poche la mythologie grecque, côté nymphes mais également côté Atrides. Tout cela dit à la façon de… Racine, lui-même grand expert en la matière : “ De ce fol amour qui touchait sa raison une lâche complaisance nourrissait le poison. ” Éric Laurrent explore le cheminement multiforme de ce désir, les voies inattendues qu’il emprunte pour assiéger Clovis. Plus difficile d’en venir à bout que des opérations boursières qu’il mène depuis la chambre commune : l’hôtel n’avait pas d’autre disponibilité. Tentation de tous les instants. L’on quitte la sphère de la marchandise, l’on touche enfin à l’humain. Tel un héros racinien, partagé entre l’impératif catégorique du devoir et sa passion, Clovis exhale ensemble son émerveillement et sa douleur.
Cette inhumaine déchirure appelle un langage à son exacte démesure : les mots communs, trop usés, n’y suffisent pas. Nulle préciosité ici, mais la recherche d’un vocabulaire rare, seul capable de dire cet état d’étrangeté à soi-même, dans lequel une passion violemment bridée vous jette. Le travail littéraire par excellence, retrouvant par ses voies propres ce qui bouillonne dans les tréfonds. Avec de nécessaires reprises de souffle. Fulgurances d’humour ou images inattendues. Telle remarque de l’obsédante jeune femme ne suscitant par exemple “ aucune réaction chez Clovis Baccara que l’éclosion d’un phylactère vierge au dessus de sa tête ” : la BD et ses bulles appelées à leur tour à la rescousse. Éric Laurrent joue, au sens propre, sur tous les tableaux. Sa prose apparaît à la fois savante et sensuelle, loin de tout formalisme gratuit. Elle rappelle ces sublimes blasons du corps féminin, qui ont éclos au XVIe siècle. Des chefs-d’œuvre de suggestion et de recherche langagière. Ce n’est certainement pas non plus par hasard qu’il a choisi de citer en épigraphe Pétrarque, maître au XIVe siècle de la poésie amoureuse. Rien qui ne soit concerté au millimètre chez Éric Laurrent, décidément l’un des plus virtuoses de nos jeunes écrivains. »

Fabrice Gabriel (Les Inrockuptibles, 19 février 2002)

Plaisir des yeux
Un homme enfermé avec une femme sublime et interdite : le romanesque torpillé par Éric Laurrent.
 
« Ne pas toucher : d’accord. Mais ne pas se priver pour autant d’aller y voir, là, derrière le titre si tentant du nouveau roman d’Éric Laurrent. Et tout est là, dans le sixième livre (déjà) d’un écrivain excessivement doué pour la déconnade rococo et passablement obsédé par la plastique, des femmes comme des tableaux. Tout ce qu’on aime, en tout cas : les délires et coquetteries dans la précision lexicale, les ellipses narratives et les descriptions merveilleusement inutiles, l’humour et ses ruptures de ton, surtout, ces jeux de miroir de la fiction qui se regarde, souvent précieuse, parfois triviale (tantôt Proust, si l’on veut, et tantôt San Antonio).
L’auteur sait y faire, pour nous embarquer dans les raccourcis à rallonge de son intrigue en trompe-l’œil : un mafieux richissime se marie avec une beauté hyperbolique, se fait arrêter la veille de son voyage de noces et demande à son associé, pour ainsi dire son fils, de veiller sur la jeune épousée.
Tel est le supplice de Clovis Baccara : jouer à l’ange gardien d’une femme sublime, dans le décor de rêve d’un palace de Los Angeles. Ne pas toucher : ne pas trahir. (…) »

Daniel Martin (Magazine littéraire, février 2002)

« La situation est boulevardière. Le roman ne l’est pas. Pour mille raisons. La première est la qualité d’écriture de Laurrent, sa façon de mener l’action jusqu’à son terme, sans réserve aucune. Une autre est le propos qu’il tient sur le désir. Le désir des mâles, si rarement écrit. Un désir, ici, soumis à l’interdit et donc inassouvi, décuplé de ce fait…
Mais après ? bien obligé de se dire qu’il ne s’arrête pas là, Laurrent. Et que tout autour de Clovis il est aussi question de désir, de ces désirs tels qu’on les aime aujourd’hui, qu’il faut assouvir au plus vite en payant, pour des plaisirs éphémères, marchands, dépréciés par la répétition et l’impatience. »

Jean-Claude Lebrun, Portrait d’Éric Laurrent pour le Conseil général de Seine-Saint-Denis.


À propos d’Éric Laurrent

« Éric Laurrent s’est donc déterminé pour une écriture qui cherche moins à aborder de front les problèmes du monde qu’à opposer des visions originales de ce monde et des êtres qui le peuplent. Un projet qui recèle une incontestable dimension poétique. De la même façon que ses livres abritent des tableaux cachés, ils tiennent en effet dissimulés un certain nombre de formes métriques, singulièrement des alexandrins repérables au rythme qu’ils donnent à la phrase. À la cadence d’une demi page par journée, ses récits saturés de références se forment lentement, dans une perpétuelle invention d’images, dans des chocs de sons savamment programmés, où l’on entend par exemple résonner de façon inattendue une bande-son, nourrie à des œuvres classiques ou carrément contemporaines, comme celles de John Cage. Une autre fois, ce sera l’un de ces tubes d’un été, dans un casino. Ou le grondement de basses qu’on imagine volontiers techno, lors d’une fête branchée, dans le XVIe. Car mine de rien ces récits captent énormément des ambiances qui nous habitent et nous façonnent. Une sorte de Bonjour tristesse virtuose, dans lequel on aurait appris à sourire, à pratiquer l’ironie et l’autodérision. Bien plus que dans une littérature documentaire aujourd’hui proliférante, ce pourrait bien être chez des écrivains ayant fait le choix du travail sur la langue et la composition de leurs textes que se trouveront, dans quelques années, les échos les plus représentatifs et les plus fiables des sensibilités et des modes de pensée contemporains. Les œuvres les plus éclairantes sont en effet aussi celles qui ont su rompre avec les éclairages traditionnels, n’hésitant pas à paraître prendre leurs distances avec la réalité. À ce titre, les quatre romans d’Éric Laurrent jusqu’ici publiés (Coup de foudre, en 1995, Les atomiques, en 1996, Liquider, en 1997, et Remue-ménage, en 1999) font déjà partie, avec quelques œuvres de la dernière décennie, des textes capables d’extirper et faire sentir le sens profond du temps que nous vivons. »

 




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