Romans


Éric Laurrent

Dehors


2000
224 pages
ISBN : 9782707317025
13.15 €
25 exemplaires numérotés sur Vergé des papeteries de Vizille


Ces derniers temps, Léon Brumaire paraît éprouver quelques difficultés dans l’élection tout à la fois d’une femme unique et d’un domicile fixe.

ISBN
PDF : 9782707330659
ePub : 9782707330642

Prix : 9.49 €

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Tiphaine Samoyault (Les Inrockuptibles, 11 avril 2000)

Homme d'extérieur
En baladant son héros de ville en ville, de quartier en quartier, Éric Laurrent livre avec Dehors un roman circulaire servi par une langue riche et rare.
 
« Dehors commence comme Je m'en vais de Jean Echenoz mais se termine sur “ je reviens ”, ce qui n'est pas pareil. Roman initiatique à sa manière, il dessine une boucle de l'extérieur à l'intérieur, du départ au retour, figure lisible dans le chiffre 33, âge de son personnage. Éric Laurrent manie d'ailleurs habilement les formes circulaires, imposant ici le principe balzacien du personnage reparaissant : Léon Brumaire, comparse dans Remue-ménage, son précédent roman, est devenu le héros quand ceux qui en étaient les personnages principaux, Félix Arpeggione et Romance Délie, se promènent à présent en arrière-plan. De petites notations du narrateur achèvent d'établir cette composition cyclique : “ Félix, qu'on connaît bien ” ou “ Ça non plus, on ne la pas oublié ”. Les passions durent le temps d'un livre, elles se succèdent de livre en livre. Ainsi Léon Brumaire ne semble s'adapter à aucune permanence : ayant quitté son appartement avec deux valises, il se retrouve un beau matin de septembre – voici l'automne suggéré par son nom – à la fois SDF et SFF, sans domicile fixe et sans femme fixe, au chômage de surcroît. En quête des deux premiers, il erre de quartier en quartier, de Paris à Clermont-Ferrand, de chambre de bonne en hôtel trois étoiles jusqu'à ce qu'une exaspération de ses crises d'allergie le conduise à l'hôpital où il retrouve enfin Eva, quittée à l'orée du roman. Le travail ne paraissant guère l'intéresser, on se demande parfois comment il vit, comment il arrive à s'offrir des repas au restaurant et de luxueuses chambres d'hôtel, mais on délaisse bien vite ces basses considérations économiques pour se concentrer sur d'autres types d'échanges : après tout, si les personnages de roman travaillaient, ils auraient moins de temps pour autre chose et les péripéties en souffriraient. On ne s'étonne guère que le genre ait triomphé à l'âge des rentiers ! Les autres échanges sont évidemment sexuels mais aussi locatifs et sentimentaux : on le sait, il n'y a pas de désir sans troisième terme. Pourtant, c'est surtout la langue qu'atteint la circulation des signes. Par un processus d'écriture d'une richesse extrême, Éric Laurrent semble toujours remplacer la chose par son nom, puis son nom par sa définition ou par la description, en sorte que la chose revient, épaissie et troublante. Cette écriture du donné et de l'acquit agit par déploiement minutieux des phénomènes : “ Car la contemplation amoureuse est toujours ainsi faite que, à la myopie qui en caractérise les premiers temps – clarté de l'être aimé et flou de l'arrière plan –, se substitue en quelques mois une manière d'hypermétropie : c'est la vision de près qui nous est peu à peu difficile, l'objet de notre attention se brouille tandis que, dans le lointain, des formes se font distinctes. ” Dans le trajet alterné de l'œil du rapproché à l'éloigné, du présent immédiat au passé proche, qu'un jeu sur les temps vient habilement amplifier, le monde surgit par effets d'anamorphoses. On a parfois l'impression que la matière sort des objets et nous saute au visage. Ainsi de la description du parc André-Citroën (“ Des charmilles cubiques et des jardins sériels le bordent d'un côté, et des façades de verre sur lesquelles se froissent des azurs, ondulent les houppiers et se distordent les immeubles opposés le surplombent de l'autre ”), de l'évocation d'une cafetière électrique ou des plis aux draps faits par les corps. La précision scientifique et l'abondance de mots rares n'ont pas pour fonction d'étaler un savoir, même si la capacité heuristique du roman est ici honorée, mais de renforcer le déplacement virtuose des éclairages et l'épaisseur, la largesse du monde représenté. Tout est ainsi soumis à la dissection, la phrase longue – dont la première offre un magnifique exemple – enroulant à la fois l'information événementielle, sa perception par le personnage et la mécanique de sa présence. Le résultat en est toujours surprenant, souvent très drôle, parfois cacophonique. On comprend en tout cas que dans ce monde saturé la fuite recherchée de manière récurrente par Léon Brumaire s'avère difficile, voire impossible, et que la fin du roman reconduise au dehors, c'est-à-dire à la situation hors texte qui le précède. L'important reste que l'écrivain ait matérialisé un univers menacé de se dissoudre, qu'il nous ait embarqués dans une topographie différente et dans un ordinaire transfiguré. »

Norbert Czarny (La Quinzaine Littéraire, 1er mai 2000)

« (…) Roman d'amour, roman sur l'amour tel que le vivent les trentenaires, Dehors est aussi un roman du temps présent. Des sans-papiers aux employés fictifs, des publicitaires branchés aux ophtalmologues socialistes atteints de strabisme. Laurrent manque rarement le cadre. Toute l'atmosphère d'une époque passe dans ces pages légères, souvent drôles et grinçantes. On se rappelle que dans Remue-ménage, Félix Arpeggione bénéficiait grâce à sa mère d'un emploi fictif à la mairie ; on le retrouve au siège d'une grande entreprise pétrolière, à la Défense, où il travaille à peine plus.
Mais ce don d'observation, Laurrent le traduit dans les détails vestimentaires, comme s'il avait contemplé toutes les vitrines de sous-vêtements et de robes à Paris. Un personnage, c'est d'abord une série de produits de beauté placée en apposition avant que quelque trait physique n'apparaisse. On pourrait parler de radiographie d'une époque que ses objets désignent plus que des visages, des gestes ou des mots. Encore que les mots, leur absence ou leur trop-plein sans saveur disent aussi cette “ ère de la communication ”. Tout cela est signé, parfois de l'auteur même, autrefois “ élève (collège du Stade, avenue de la Libération, Cournon d'Auvergne) ”, dont les héros se servent des livres pour se laisser des messages rageurs, et qui dit “ Je ” pour rappeler qu'il est bien aux commandes. Le retour d'Arpeggione pourrait n'être qu'un artifice : les mésaventures du couple qu'il forme avec Romance Délie servent de contrepoint à ce que vivent Eva et Léon, et le vaudeville qu'il joue avec Elisée sous-tend l'intrigue de Dehors. »

 




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