Théâtre


Robert Pinget

L’Affaire Ducreux

suivi de De rien – Nuit – Le Bifteck


1995
96 pages
ISBN : 9782707315403
10.05 €


* L’Affaire Ducreux
Une femme dans la soixantaine, ancienne domestique, est assise à une table. Elle lit une lettre et répond à haute voix aux questions qui y sont posées. Il s’agit du meurtre d’un enfant. Lecture et réponse se font de plus en plus nerveuses, jusqu’au délire. Cette femme est-elle coupable ou folle.
Elle finit par s’effondrer sur la table.

* De rien, est un dialogue à la fois pour la radio et pour le théâtre. Il avait fait l’objet d’une édition à tirage limité chez Maeght.

* Nuit. Première publication aux Éditions de Minuit en 1973.

* Le Bifteck, pièce pour la télévision, écrite peu après la parution de Quelqu’un dont elle s’inspire, a paru dans le numéro 44 de la revue Minuit en 1981.

Agnès Vaquin (La Quinzaine littéraire, 1er décembre 1995)

 Ces quatre pièces parviennent à être toutes différentes, quoique toutes représentatives du microcosme où se déploie l'œuvre. La domestique de L’Affaire Ducreux appartient à la mythologie du village, Fantoine ou Agapa. Elle servait chez ce vieil écrivain maniaque qui a parfois porté le nom de Monsieur Songe. Son maître mort, cette pauvre vieille femme qui en sait trop se bat avec ses remords, partagée entre son dévouement ancillaire et le souvenir de l'enfant mort trouvé dans le bois : “ Le petit Antoine assassiné en pleine forêt par un satyre qui est en fuite. ”. Il s'agit d'une vieille affaire policière récurrente depuis plusieurs livres.
S'ils ne sont pas à proprement parler du village, les commensaux condamnés à partager l'insécable bifteck en portent tous les stigmates ; ils sont vieux, laids, sales, nostalgiques, aigris, fielleux. Au sein de la minable communauté que constitue leur pension de famille, I'air est irrespirable. Les femmes sont particulièrement pénibles. Doit-on crier à la misogynie ? Misanthropie serait plus juste. Le vieux couple, le couple usé est une cible de choix. Tout comme chez Samuel Beckett et tant d'autres, les partenaires se connaissent trop. Ils ont eu tout le temps de se décevoir et de se lacérer sans jamais trouver l'énergie de la séparation. Il ne leur reste que le langage pour se porter quelques derniers bons coups et ils mènent leur guéguerre en rond avec une férocité jubilatoire.
Comparé au couple hétéro, le vieux couple homosexuel va plutôt moins mal. Les partenaires gigognes de Nuit n'échappent pas au taedium vitae. Ils sont symboliquement décalés – l'un veut parler quand l'autre veut dormir –, mais ils ont beaucoup vécu ensemble, au sens plein du terme. Sous leurs regards croisés, l'un dessinait pendant que l'autre écrivait. La littérature a été leur passion commune. C'est ainsi que, pour la dernière fois, Ben lit, pour Al et sur sa demande, la fin déchirante de Don Quichotte, où Cervantès raconte les adieux du Chevalier à Sancho Pança, citation sublime qui fait de cette pièce une chambre d'échos.
À mesure que l'âge descend, la vieillesse et la mort se font obsédantes. Confrontés à ce tourment, les personnages de Robert Pinget sont sans défense. Ils n'ont plus grand-chose à se dire, plus de plaisir à se faire. Ce que dit le catéchisme ne leur est d'aucun secours : comment aimer les autres quand on ne s'aime pas soi-même ? Ou qu'on s'aime trop ? “ Où s'arrête l’amour de soi requis pour celui des autres ? ” Si A. se jette sur B. par besoin pathétique de lui parler “ de rien ”, la contradiction n'est qu'apparente. On n'a plus à soi que l'essentiel et, si on le situe en deçà et au-delà des mots, on est bien obligé de parler pour ne rien dire.
“ B. – Tes paradoxes m'embêtent. On était parti pour ne rien dire.
A. – Qu'est-ce qu'on a dit ?
B. – Moi, rien. Mais toi...
A. – Moi, tu veux savoir ? Je peux revenir sur tout ce que je viens de dégoiser et affirmer le contraire, en toute vérité. ”
Robert Pinget ne se soucie guère de psychologie ni de social. Ou ses personnages sont des marionnettes, ou ils gardent l'anonymat, mais force est de constater combien ces petits textes, chacun selon ses modalités, se prêtent à la mise en voix ou en image. Les trois premiers sont quasiment des sketches et tous s'inscrivent dans une tradition déjà ancienne qui préfère la qualité à la quantité, le général au particulier, la fable à la réalité, toutes manières ardues de peindre la condition humaine et d'en illustrer la douleur. 

 




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