Romans


Jean Echenoz

Lac


1989
192 pages
ISBN : 9782707313041
23.00 €
99 exemplaires numérotés sur Vergé des papeteries de Vizille
* Réédition dans la collection de poche double


Franck Chopin n'est pas de ces hommes qui ont eu très tôt un but dans la vie. Nulle vocation chez cet individu sinon celle de vétérinaire, vers dix ans, lorsqu'il aimait tellement soigner les petits mammifères, puis à vingt ans celle de chef de la révolution mondiale (Marx, Engels, Lénine, Chopin) – ensuite plus rien. Ensuite il va faire des études de sciences, qui le ramèneront à s'occuper des animaux – mais son objet d'étude est devenu l'insecte, la mouche plus précisément, qui est un genre qu'on ne soigne pas. Et quatre ou cinq fois dans sa vie, il a disparu deux mois ; comme il connaît peu de personne, on ne s'est pas trop inquiété.
Ces quatre ou cinq fois-là, personne au monde que le colonel Seck n'a su où il était. Le colonel Seck est l'officier traitant de Frank Chopin qui, outre ses travaux scientifiques, est également un fonctionnaire du renseignement à quart de temps, une sorte d'agent dormant qu'on réactive de temps en temps. Autant dire qu'il est un innocent, comme à peu près tous les espions, malgré ses vastes connaissances des théories et des techniques. Il n'est qu'une taupe, puisque c'est le mot, une taupe assez myope enfouie dans le sol natal. Or s'il n'était que myope jusqu'à ce jour d'averse, lorsqu'il rencontre Suzy Clair sur les Champs-Élysées, dès lors c'est absolument aveugle qu'il devint.

ISBN
PDF : 9782707324818
ePub : 9782707324801

Prix : 5.99 €

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Vincent Landel (Magazine littéraire, novembre 1989)

Attention, écrivain méchant
 
« Méchant, Echenoz. Envers un genre précis : le roman policier ; envers le genre humain en général.
Pauvres polars. Jamais, depuis Cherokee et jusqu'à cet énigmatique Lac, on ne leur avait fait subir autant de sévices. Imaginez des intrigues abandonnées sitôt posées, des complots d'espionnage pervertis par un narrateur que tout cela, au fond, assomme, et qui, plutôt que de vous donner la clef de l'énigme, va se planter devant la gare du Nord pour en relever la date de création – 1894 – ou se désoler devant un aquarium que quinze poissons soient “ morts pour rien ”.
Où cela nous mène-t-il ? En aucune région connue. Avec un rythme de free jazz, deux images syncopées, trois clins d'œil à Chandler, Jean Echenoz, en quatre romans, a réussi à se forger une esthétique parfaitement originale qui relève de la transmutation de déchet. Lâchez-le dans les allées du siècle, il ira droit aux caniveaux. Mais les feuilles mortes qu'il y glanera auront des yeux, des airs de paquebot échoué, une ossature de squelette et une odeur d'empyreume. Le narrateur vous décrira le tout en regardant un de ses pieds, et il dira : “ C'est intéressant ”
Raconter Lac relèverait de l'inconscience. Un inventaire de ce qui y clapote à la surface et grenouille dans les fonds devrait suffir. À la surface : un espion flegmatique, Franck Chopin, chargé d'espionner un important homme politique dans un hôtel de luxe planté au milieu d'un lac. Entomologiste, Chopin utilise des mouches, sur le métasternum desquelles il greffe des micro-ordinateurs. Mais la technique est désuète : les mouches s'envolent par la fenêtre, ou ne recueillent que des borborygmes ; sans compter “ qu'on se fatigue de l'espionnage, très vite : c'est qu'il y a des longueurs, des corvées dans ce métier ”.
Autour de ce fil rouge qui entrelace la politique des blocs et les mœurs de la Psychoda alternata, dite mouche des éviers, gravitent l'épouse d'un agent double qui a coutume de baptiser ses organes (Simon pour l'estomac, Judas pour le foie, Pierre et Jean pour les poumons), un agent triple et un très secret chef de service saisi par la tripe, qui recueille les rapports de Chopin dans une usine à viscères emplie du fracas d'une poignée de casseurs de têtes.
Ce ne serait rien encore si, pendant que le film d'espionnage se déroule, une autre bobine ne se mettait en marche, un autre écran ne s'allumait, qui donne à voir, comme sur un palimpseste, quelques extraits de Some came running, des graffiti d'amoureux, le ciel troué d'un vol Paris-Niamey, le va-et-vient d'une pomme d'Adam, bref tout un florilège de sortilèges quotidiens qui rappellent au lecteur qu'il a beau lire un roman, le monde n'a pas cessé de tourner pour autant.
Mais le monde selon Echenoz tourne bizarrement. C'est un univers où les trois règnes, minéral, végétal, animal, ont pris le pouvoir. Où, comme chez Ponge, les choses, les fleurs, les bêtes, parlent, songent, réfléchissent. Des éléphants descendent “ à pied ” la rue Saint-Denis, des plantes vertes et des meubles “ échangent des regards ”, des téléphones “ respirent ” à côté de “ yaourts silencieux ”, des gouttelettes de pluie “ se syndiquent en une grosse goutte pour gaiement dévaler ensemble un pare-brise ”. Il y a même un aspirateur “ tenu en laisse ”, des huîtres “ terrorisées ” et des rayons de soleil “ sceptiques ”. Et, au bas d'un chapitre, cette chute : “ Présence d'un fût. ”
Cet anthropomorphisme délirant édicté par un humoriste à sang froid débouche, en douceur, sur le fantastique. En quoi Echenoz n'est pas aussi éloigné du roman policier qu'une première lecture le laisse supposer : le roman noir a toujours côtoyé le fantastique, c'est le règne de l'incertain du doute, que le dénouement seul rend rationnel – relire Simenon. Même s'il en saccage volontiers les emblèmes, Echenoz conserve l'esprit du genre.
Aucun vestige, en revanche, dans ces constats d'une objectivité vertigineuse, du Nouveau Roman, à quoi Jean Echenoz, mais aussi Jean-Philippe Toussaint (La Salle de bain) et Patrick Deville (Longue vue) – ils éditent tous aux Éditions de Minuit – ont été apparentés, sous la malencontreuse étiquette de “ nouveaux nouveaux romanciers ”. Quoiqu'un radical dédain de la psychologie, ici, se fasse jour, doublé d'une nette propension à “ sonder les rognons ” plutôt que les cœurs et les reins, la drôlerie d'Echenoz, pour qui le style, c'est le yaourt, apparaît bien plutôt comme un énorme pied de nez adressé aux émules de Robbe-Grillet. Pas tendre envers les aïeuls, la jeune génération. Mais combien picoreuse.
Pas tendre, surtout, envers le genre humain, qui se voit relégué à la toute dernière place dans l'échelle des règnes, loin derrière la pâquerette et le singe. Car si, dans Lac, les aspirateurs s'élèvent à la dignité humaine, L'homme, lui, descend désormais du collecteur de poussière. Ravalés au rang de primates, voire de choses, les personnages se déhanchent comiquement – c'est le meilleur du livre –, “ reproduisent les rebonds de jeunes singes dans un baobab ”, s'évaporent “ comme des galets tombant dans l'océan ”, pèlent des bananes comme “ éternellement l'anthropoïde le fera ”. Passent quelques salariés “ lâchés sur les trottoirs pour y chasser leur nourriture, parfois y déployant leurs parades amoureuses ”, des ouvriers “ transportant de longues psychés sans se regarder dedans, sans plus vouloir s'intéresser à la réflexion de leur personne, de leur travail et de tout ce qui s'ensuit ”, sans oublier un médecin prescrivant des grains à “ des épouses jabotantes et baguées ”.
En clair, Balzac, aujourd'hui, ce n'est plus possible. Il n'y avait déjà plus de héros : il n'y aura même plus de personnages. Nouveau type d'aphaniptère, L'homme s'efface devant un décor-roi qui vibre, songe et se déploie comme une présence tutélaire. Il ne faut pas entendre autrement le choix du titre, ce lac autour duquel s'agite une sotte humanité éprise d'espionnite. De tout ce qui est décrit dans le roman, c'est l'élément le plus inutile et le plus puissant, L'œil du cyclone, le point de vue de la chose, la parfaite présence : une matière pensante – rêve de l'auteur, qui rejoint une obsession commune à la physique moderne et à la poésie. Le salut est dans l'objet. C'est du moins la solution que proposent depuis cinq ans les “ gens de Minuit ” à l'impasse où se trouve le roman, qui sera parodique, tourné vers ses propres ridicules, ou ne sera pas. C'est la faute à Balzac. Balzac qui eût été bien étonné de voir l'écrivain du XXe siècle en humoriste cherchant l'extase dans la beauté... d'un caillou.
Est-il nécessaire, pour qui n'a pas le goût du palimpseste, de déchiffrer ce roman migrateur ? Seule certitude : Jean Echenoz n'appartient pas à la famille des laborantins bâilleurs. C'est un liftier joueur posté aux commandes d'un ascenseur fou. En bas on rit, en haut on rêve à un monde sans hommes, où des canaris adressent des mots d'amour sans fin à des aurores boréales. Au lecteur de choisir son étage. On recommande l'ascension.

Jean-Louis Ezine (Le Nouvel Observateur, 14 septembre 1989)

Echenoz prend la mouche
Lac est un diabolique roman d’espionnage, en même temps que la parodie la plus achevée du genre. Chapeau !
 
« Encore que le hanneton naisse familièrement dans les plumiers, la mouche, la mouche en général, est trop rarement célébrée des écrivains. La zoologie favorise l'éléphant, s'attarde à la pieuvre, au lapin domestique, au veau breton, ou s'intéresse à la cause improbable du hornbostel, un rongeur en voie de disparition (il se nourrit exclusivement de pieds de chaise Louis XV).
La mouche est beaucoup plus commune. Bien que de mœurs singulières, elle n'inspire pas la même curiosité. Alphonse Allais lui-même, qui a pourtant fait le tour du bestiaire, étudié l'amour chez les tortues syriaques comme de ferrage des chevaux dans les pampas d'Australie, approfondi dans ses aspects ]es plus ornithologiques la question des chapeaux féminins au théâtre, ne dit rien, jamais, de la mouche. Maurice Genevoix, dans La Boîte à pêche, ou encore René Fallet, dans Les Pieds dans l'eau, ont certes mis l'animal en exergue, mais toujours du bout des doigts, toujours au bout de la ligne. La mouche mérite un meilleur sort. C'est ce qu'a bien compris Jean Echenoz. De Jean Echenoz lui-même, né à Valenciennes ou à Orange (c'est selon), on ne sait rien, presque rien. Sinon qu'après des études de chimie organique à Lille, et probablement de contrebasse à Metz, il a écrit trois romans (dont l'un, Cherokee, a même obtenu le prix Médicis en 1983), une nouvelle, et que, la quarantaine venue sans grand bruit, il reste – chiche confession de sa part – “ assez bon nageur ”. Son cinquième livre s'intitule d'ailleurs Lac, et on y voit un quidam (ses romans sont remplis de quidams de toute espèce) tenter de mettre au point une nouvelle nage, une dérivée de l'indienne à battements latéraux. Mais enfin, L'essentiel est ailleurs. L'invention que la postérité retiendra concerne la mouche.
Franck Chopin, le héros (le quidam en vue, disons) de Lac, est entomologiste, attaché au Muséum d'Histoire naturelle, mais attaché lâchement : un petit tour au labo de loin en loin, deux ou trois articles par an, aucun compte à rendre. Les muscidés, c'est la vraie sinécure. Chopin est un spécialiste catalogué de la mouche des éviers, depuis certain article dans les Annales de parasitologie sur “ les conditions expérimentales de la performance en autonomie de vol chez la psychode ”. La punaise des lits ; la mite des vêtements, le pou des corps n'ont au demeurant plus de secret pour Franck Chopin, à qui tout documentaire sur les papillons de la Chine méridionale apporte rêve et détente (“ Bombyxa Formose, nul destin n'est plus doux ”). Voilà pour la couverture. Car le roi de la mouche est en réalité une taupe, un espion que l'on réveille, parfois. Son supérieur, le colonel Seck, qui fume des cigares profilés comme des balles de shrapnel, apprécie beaucoup ses services, lesquels consistent principalement à implanter d'infimes microphones sur le sternum des mouches, et à les larguer en nombre chez l'ennemi. Une opération délicate, assez comparable au réglage du radar sur les modèles réduits de Messerschmitt ou de Spitfire au 1/72. Mais Chopin est un virtuose, de ses doigts. Il ferait danser la polonaise à n'importe quel insecte.
L'espion idéal devant être imperméable au sens de sa mission, Chopin ignore, en blasé consciencieux, quel quidam et à quelle fin il doit auditionner, par le truchement de ses bourdonnantes petites concierges. Le lecteur passionnément attaché à ses basques n'en saura guère plus jusqu'au dénouement de l'affaire, laquelle semble liée à la fois à l'arrivée récente d'un haut fonctionnaire étranger sur le sol parisien, et à la disparition, six ans auparavant mais jamais élucidée, d'un diplomate français, un certain Oswald Clair dont Franck Chopin, suivez-nous bien, est l'amant de l'épouse. Bon, on n'en dira pas plus pour ne pas vendre la mèche – ni la mouche, dont Ie vol buissonnier fait vrombir la phrase, et battre les petits ailes du suspense jusqu'à la dernière page. Car l'intention parodique dont l'auteur a génialement coiffé ce récit d'espionnage ne contrarie en rien l'action qui s'y développe, tout archétypale qu'elle soit. Les choses s'y passent donc dans le noir, et comme toujours en pareil cas, au dix-huitième rang du Pathé-Champigny. On use du carbone blanc, on déjoue les filatures par le zigzag, on immisce un cheveu dans l'entrebâillement d'une porte d'armoire, on saute du taxi dans une bouche de métro en moins de temps qu'il n'en faut pour tourner la page, “ et toutes ces conneries ” (dixit Chopin). Seuls les espions sont fatigués, passablement abîmés même, pour la plupart : il s'agit d'un genre très ancien, inauguré par Edgar Poe et donc, voilà. L'équipe du colonel Seck compte ainsi un chauffeur unijambiste, un docteur strabique, un aquarelliste préretraité, et le grand chef qui manipule tout ce monde depuis son bureau Charles X, dans la pénombre de ses doubles voilages au point de Tulle, fume les stocks d'un tabac que la Régie ne produit plus depuis longtemps. Franck Chopin lui-même présente, dans l'intimité, une estafilade au genou (Baccarat, 1957) et un métacarpe raide (Canton, 1980). Cimetières, abattoirs, chantiers de démolition, le décor est à l'avenant. Jean Echenoz, lui, qui promène de livre en livre l'étonnement navré de qui relèverait d'un knock-out, est au meilleur de son talent dans ce pastiche. Avant de disparaître une nouvelle fois dans le rond noir de son humour, comme font Loopy the Loop et Woody Woodpecker à la fin de l'épisode : that's all, folks ! »

Bertrand Poirot-Delpech (Le Monde, 15 septembre, 1989)


Ellipses
 
« (…) Supposé que le nom d'Echenoz ne vous dise rien, ne vous rappelle pas les désopilances du Méridien de Greenwich (1979), de Cherokee (1983), de L’Équipée malaise (1986) ou de L’Occupation des sols (1988), vous risquez de penser, à cause de la jaquette, que Lac, hum !, vous laissez ça aux intellos, aux coupeurs de métonymies en quatre. À fortiori, si vous êtes amateur de polars et de romans d'espionnage qui divertissent sans risque de migraine aucun.
Or justement, c'est cela, Lac : le contraire d'un produit de laboratoire, de la fiction pour rien, qui mériterait de circuler sous photo plastifiée avec pin-up pour cabine de semi-remorque, et Luger en évidence. À lire en TGV ou sur Air-lnter aller-retour dans la journée !
Chopin est entomologiste et myope. Les mouches, que le reste de l'humanité extermine rageusement, il les cultive, les nourrit, les bichonne, un peu comme Michel Simon ses mimosas dans Drôle de drame. Comme pour Simon, il s'agit de ce que les gens du renseignement appellent une “ couverture ”. Un officier traitant, colonel et africain, L'a recruté et l'a convaincu de lester ses mouches avec des mini-micros.
Voilà pour un des fils conducteurs de Lac. Il y en a d'autres : une certaine Suzy, mieux que pulpeuse, distraite, marrante, comme on aime les jeunes femmes depuis la Karina des films de Godard, mal situables, lunatiques, chez qui l'horreur des grands mots n'a pas tué les gros sentiments, gros au sens de nounours.
Suzy avait un mari, quelque chose comme secrétaire d'ambassade, toujours fourré dans ces conférences techniques dont on dirait qu'elles n'ont d'autre souci, dès leur ouverture, que de rédiger un obscur communiqué final. Elle l'avait ce mari, car il a disparu un beau jour, voilà six ans, sans laisser la moindre trace, pas même de ces cartes postales anodines dont il ponctuait ses déplacements. Le reverra-t-on ? Vous le saurez en lisant le livre, la critique n'étant pas là pour faire comme cette ouvreuse célèbre des Boulevards qui se vengeait des spectateurs trop chiches en pourboire en leur murmurant – na ! – la clef de l'énigme...
Si Lac se lit tout seul et joue les bandes dessinées, pourquoi, direz-vous, en faire l'analyse approfondie dans un quotidien du soir réputé pensant ?
C'est qu'Echenoz (sans que les lecteurs du premier degré aient à s'effaroucher : la contrebande est indécelable !), c'est qu'Echenoz fait mieux que nous divertir le temps d'un film d'aventures. Sa façon de raconter fait de lui, je pèse mes mots, L'héritier de Giraudoux, de Queneau, de Blondin et d'Orsenna,
Je m'explique. Le narrateur de Lac ne se contente pas de multiplier les rebondissements sans se prendre au sérieux, Des morceaux de réalité sont saisis dans les mailles et les miroitements de ses descriptions pour rire. La banlieue, par exemple, est présente avec une intensité qui renseignera les historiens du futur sur l'urbanisme parisien des années 80. Elle le fera mieux que les photographies, parce que les odeurs rôdent autour des fouillis de formes, les destins s'y faufilent, et les mœurs s'y impriment, comme sur les murs en démolition où restent accrochés des lambeaux de papiers peints usés à la tête des lits, des porte-savons suspendus, et autres vestiges de gestes quotidiens fossilisés.
Lac porte également témoignage sur la façon décousue de parler et de se taire, à la même époque – la nôtre. Les producteurs de cinéma seraient bien avisés de repérer l'aigu des répliques, dont la cocasserie moderne rappelle celles de Mordillat et de Belletto. On est là devant un nouvel art du dialogue. À noter que la ponctuation traditionnelle en est de plus en plus évacuée. On ne lit plus : “ Elle lui dit deux points ouvrez les guillemets Bonsoir tu ne crois pas que tu exagères ”... ; mais : “ Elle lui dit bonsoir tu ne crois pas que point ”.
Les savants nous expliqueront un jour d'où vient cet essor de l'ellipse drolatique : sans doute de la télé, de la radio, des transports en commun, de la vie même, qui ont réduit la parole à des séquences qu'on ne se soucie plus d'organiser, à des chorus (Echenoz est connaisseur de jazz). L'énumération des cassettes écoutées en voiture ou au Walkman par les personnages fait son apparition parmi les indices psychologiques, limités jusqu’alors aux vêtements, aux attitudes, aux marques de parfum ou d'auto.
En fait, la psychologie, si elle est devenue un sujet de conversation, a cessé d'être un adjuvant du romanesque et un outil de romancier. Les âmes ont moins d'importance que les choses, telles qu'on les trouve inventoriées chez Perec plutôt que dans le Nouveau Roman. Lac fixe, comme en fraude, des paysages de murs antibruits, de tripailles à Rungis, des flashes sonores de motrice aux passages à niveau, des débilités de jeux télévisés, des consistances de saucisses...
La minutie descriptive est un procédé courant chez les auteurs de polars ; vous savez, le côté : il planta le canon glacé de son 7,45 dans la blouse de soie grège... Mais ici, le détail dénote une finesse d'observation et une finalité particulières. Il survit au déroulement de l'intrigue abracadabrante, et vite oubliée.
J'ai deux petits griefs à formuler, oh ! minuscules. Puisque nous évoluons dans un réseau de précisions implacables, il ne semble pas exact qu'un train aperçu à la gare Saint-Lazare aille à Brest (page 50), le port breton étant desservi exclusivement par Montparnasse. Plus sérieux : L'emploi fréquent de relatifs neutres, là où seraient préférables, selon moi, des relatifs accordés ; par exemple : “ au bout de quoi ” pour au bout duquel (p. 166), “ à mi-chemin de quoi ”, pour à mi-chemin duquel (p. 54), “ L'avenue le long de quoi ” pour le long de laquelle (p. 107)...
Vétilles, bien entendu ; et défendables. Elles n'affectent en rien un art de l'ellipse chargé d'intelligence et de charme, notamment pour les scènes d'intimité. Je pense à la page 87, où la hâte qu'éprouve un couple de se rejoindre est suggérée par celle qui saisit des baigneurs courant à l'eau.
D'autres raccourcis restent en mémoire : sur la qualité de l'air et de la lumière “ ce matin-là ”, sur le contenu stupide des courriers publicitaires, sur les propos de café saisis au vol, genre “ si tu voyais le ton sur lequel tu me parles ”...
Ellipse sans centre, dansante, joueuse, sans autre objet qu'une ressemblance avec la vie, fascinée, fascinante.

Antoine de Gaudemar (Libération, 14 septembre 1989)

Jean Echenoz fait mouche
Un agent secret entomologiste, des gorilles qui lisent des BD, un colonel qui flambe au poker : Lac est un vrai faux roman d’espionnage où l’on retrouve l’univers entre deux eaux de l’auteur de Cherokee.
 
« Lorsqu'il pleut sur les Champs-Élysées, les hommes se réfugient dans les halls d'exposition des grandes firmes automobiles qui jalonnent l`avenue. Devant les modèles, fauves sculptés “ opales dans leur écrin ”, ils “ tournent en silence sans trop oser toucher ”. On ne sait pas si Jean Echenoz partage cette fascination, mais il aime la décrire.
Dans Lac, L'agent secret Franck Chopin roule dans “ un pâle coupé allemand carrossé Karmann-Ghia ”. Vito Piranese, un subalterne, le suit dans “ une petite Ford automatique pourpre ”. Le colonel Seck, lui, travaille dans une grosse Opel dont “ l'odeur à l'intérieur de l'habitacle était l'accord parfait du rhum des îles avec le bois des îles et le déchet de havane ”. Quant à “ la longue auto noire ” de Maryland, le boss, “ il faut aller fouiller les étendues immenses au-delà de l'Atlantique et du Dniepr pour découvrir des limousines de ce format ”.
Franck Chopin n'est pas tout à fait un agent comme les autres mais il connaît la musique. De son état, il entomologiste spécialisé dans l'observation des mouches. Il travaille au Muséum, sans acharnement : “ Nul horaire car nulle femme dans sa vie car toujours indécis, Carole étant toujours trop ce que Marianne ne serait jamais assez. ” Deux ou trois fois par an, il écrit un article. L'un des plus remarqués, “ L’Esquisse d'une typologie des éperons chez les ectoparasites des grands vertébrés domestiques ”, concernait le petit taon aveuglant.
Pour sa part, Franck Chopin n'est qu’une petite taupe. Un peu endormie. Entre deux articles, on le recontacte pour une modeste mission : filature, écoute, courrier. Du renseignement à mi-temps, à la petite semaine, en somme. Son officier traitant, le colonel Seck, il l’a connu en Algérie, pendant la guerre, et c'est lui qui l'a recruté, après : “ Il traversait un petit Sahel à cette époque et les propositions du colonel ne tombaient pas si mal, hautes en couleurs dorées sur tranche et finement émaillées d'une pointe de chantage : elles feraient une convenable oasis, il avait accepté. ”
Son statut d'intérimaire n'empêche pas Franck Chopin d'user d'une grande ingéniosité. Sa trouvaille : fixer des mini-émetteurs sur le ventre des mouches et lâcher les insectes dans les appartements à surveiller. Et puis, L'entomologie n'est pas sans rapport avec l'espionnage. À passer sa vie à observer des spécimen dans des cages de verre on acquiert quelques utiles réflexes : acuité des sens, patience, concentration goût du détail et de la vérification, art de l'inventaire et du rapport circonstancié. Franck Chopin ne sait-il pas distinguer, du premier coup d'œil, un touriste du Wisconsin d'un autre du Schleswig-Holstein, et reconnaître d'emblée, dans une soirée mondaine, deux radiologues de Douai, un professeur de culture générale aux Beaux-arts, trois étudiants camerounais ?
Pourtant, quand il rencontre Suzy Clair, née Suzy Moreno – “ les plus belles jambes de Paris-surface ”, Franck Chopin n'y voit que du bleu : “ L'amour à première vue, le souffle manque et vogue la pression artérielle, aïe mon cœur se déchire ay ay je suis brisé. ” Il est loin de se douter que la piste sur laquelle vient de le lancer le colonel Seck va croiser le sillage de cette femme “ plus éclatante que la plus explosive hôtesse de chez Maserati ”. Pour ne pas nuire au plaisir du lecteur, disons seulement que le mari de Suzy, Oswald Clair, expert aux Affaires étrangères, a disparu. L'intrigue se nouera et se dénouera dans une résidence luxueuse et retirée, fréquentée incognito par des clients riches et puissants, et dont l'adresse ne figure dans aucun annuaire : “ le Parc Palace du Lac ”.
Lac est le quatrième roman de Jean Echenoz. Le premier, Le Méridien de Greenwich, paraissait il y a tout juste dix ans. Le second, Cherokee, obtenait en 1983 le prix Médicis. Pour ses quarante ans, en 1987, L'auteur publiait L’Équipée malaise. On retrouve aujourd'hui dans Lac tout ce qui fait l'univers entre deux eaux de Jean Echenoz : romans d'aventure, d'action, polars, espionnage, tout cela à la fois et quelque chose d'autre, d'un peu décalé. Quelque chose qui pourrait être une subtile parodie de tous les genres.
Les espions de Lac sont en effet tous assez minables ; ils n'ont pas de moyens ils bricolent ; ils suivent les consignes à la lettre, se fixent rendez-vous de manière abracadabrante dans des lieux qui ne le sont pas moins et ne songent tous qu'à une chose : décrocher. Il n'est pas sûr que les espionnés soient du gros gibier, plutôt du menu fretin : leurs secrets n'ont pas l'air colossaux et leurs gorilles aiment surtout les échecs et les BD. Quant à l'échange final, il ne se déroule pas à Check Point Charlie mais sur un lac artificiel de banlieue.
Jean Echenoz profite même des escapades de ses héros, n'hésitant pas à les abandonner en pleine conspiration pour de minutieuses, d'entomologiques descriptions des halles de Rungis, du cimetière de Thiais ou des zones commerciales des villes nouvelles. Mais lui qui disait apercevoir la mer par-dessus les toits de Belleville ne voit à la surface du lac qu'un décor où “ nulle forme sur nul fond ne faisait sens, tout était flou ”. Comme le colonel Seck, qui a gagné son appartement au poker, Jean Echenoz aime cacher son jeu. Il “ aime hésiter sur le sort des cartes ” : “ comme j'aime les retourner, ce que j'aime les abattre ”. Et il n'arrête pas de gagner.

Claude Prévost (L’Humanité, 20 septembre 1989)

L’espionnage savamment tenu à distance
Sur un coussin d’air poétique
 
« Les ingrédients du genre sont connus, ses recettes éprouvées : “ patrons ” discrets, d'allure insignifiante, agents, doubles de préférences, qu'on peut retourner, une ou plusieurs dames capiteuses, un toubib véreux, ou bizarre, des tas de comparses ni chair ni poisson, et puis pistolets à silencieux, appareillages sophistiqués, rendez-vous insolites, palaces feutrés, “ caches ” minables dans des banlieues fatiguées, voitures luxueuses, noires si possible, véhicules plus miteux pour tromper l'ennemi, toujours «“ à l'Est ”, enlèvements, coups tordus, règlements de comptes.
Dans Lac, Jean Echenoz nous offre toute la lyre. De quoi nous faire trouver insipide le prochain John Le Carré, annoncé à son de trompes. Voyons plutôt... Suzy Clair vit seule avec son fils, six ans. Rencontre Franck Chopin, chercheur au Muséum (spécialité : les mouches), malchanceux avec les femmes. Idylle. Le mari de Suzy, Oswald, fonctionnaire aux Affaires étrangères, a disparu. Suzy reçoit de temps à autre des visiteurs, qui ont l'air de savoir. Tiens, tiens... Or Chopin travaille, par intermittence, pour les “ services ” français ; son officier traitant, le colonel Seck, le charge de surveiller Vital Veber, dignitaire étranger de passage, descendu au Parc Palace du Lac (banlieue verte), flanqué d'un chiffreur longtemps anonyme et de deux “ gorilles ”, homme et femme, jeunes, beaux, musclés. Chopin s'installe au Palace, où veillent déjà deux collègues, disons un et demi, L'aquarelliste Mouezy-Eon et le Dr Belsunce, médecin de l'hôtel, qui émarge depuis peu au budget italien (ça paie mieux) mais ne refuse pas un coup de main, à l'occasion.
Bref, le dispositif est en place. Chopin espionne Veber en introduisant dans sa chambre des mouches de son élevage sur le métasternum desquelles il a greffé des micros miniatures. Il rend compte au colonel, en des endroits divers, pavillon des abats à Rungis, cimetière de Thiais, appartement du 16e que l'officier vient de s'offrir (avec ses gains à la roulette) et où travaillent bruyamment d'énergiques plombières. Je passe sur les péripéties, nombreuses, cavalcadantes, un ballet bien réglé. Comme il est dit page 73, “ on se fatigue même de l'espionnage, très vite ”.
On ne se fatigue jamais de Lac, pour bien des raisons. La première tient à l'humour : L'intrigue est constamment mise à distance, raillée, subvertie. Voilà par exemple “ la procédure classique de dissuasion des filatures ” utilisée par Chopin pour aller à un rendez-vous : “ Et je te saute du taxi devant l'entrée d'un métro, puis d'un autre taxi dans un autre métro, et je te bondis dans la rame au dernier moment, je te rebondis sur le quai juste avant la fermeture des portes et je traverse et retraverse l'immeuble à double entrée, puis l'autre, et je reprends un taxi qui me laisse à cinquante mètres de l'allée dérobée où je parviens en nage, hors d'haleine et certain que tout ça ne sert à rien. ” Le “ suspense ” est lézardé par des “ écarts ” cocasses et même franchement loufoques, depuis les noms mêmes des protagonistes jusqu'aux situations où ils s'emberlificotent : imaginons une Série noire filmée par Mack Sennett...
Les métaphores, nombreuses, renchérissent sur le burlesque. Exemple : “ (...) Bientôt, on distinguait le large corps vieux rose du Parc Palace, tassé sur lui-même et légèrement voûté, rassurant comme un milliardaire bon. ” Ou encore, à lire au énième degré : “ Serré dans son puissant poing noir, un Colt Diamondback chromé luit de tous ses feux, unique éclat dans le demi-jour comme un solitaire brille sur le fourreau d'une femme fatale. ” Dans tous les cas de figure, le style d'Echenoz se distingue par un mélange peu commun de verve caustique et de retenue, d'“ understatement ” à l'anglaise. Une sonnerie de téléphone, des pin-up punaisées sur un mur, un bus parisien, une séance de cinéma ou de zapping télévisuel, des écoliers sur un trottoir enneigé, une malle en osier, le dos nu de Suzy, une banane qu'on pèle, un drap froissé après l'amour, un parfum d'after-shave, des gouttes de pluie sur un pare-brise, un bar à Valenton, des femmes de ménage en pleine activité dans un hôtel, un homme affligé de strabisme, les sons émis par un revêtement d'autoroute sous les pneus d'une voiture, une banlieue l'après-midi en semaine – tout est prétexte à déployer une écriture qui, sans cesser de planer sur son coussin d'air poétique, se nourrit d'irrévérence et de désinvolture pince-sans-rire.
Quelques échantillons encore : “ C'était un matin frais de grande banlieue, l'air vif était léger comme une salade, sec et limpide comme du vin blanc, il découpait très nettement les façades et se posait en douceur sur les toits ” – “ Une pianiste mûre y officiait, permanentée au millimètre, teinte et laquée au jet. Gisement opulent de fausses perles et dents, elle écossait le refrain de « September Song » quand il entra ” – “ Près des portes un groom aidait une vaste cliente à enfiler sa fourrure : quoique dressé sur la pointe des pieds, il procédait avec souplesse et savoir-faire, comme s'il montait une tente en même temps qu'il langeait un nourrisson. ” Le plaisir de lire est fait pour une bonne part du plaisir de la découverte : dans Lac, on est sans cesse surpris, emporté, ravi. On découvre ce qu'on croyait connaître, le square Louis XVI, la rue de Rome, un hall d'exposition de firme automobile sur les Champs-Élysées, la gare du Nord à l'heure de midi. Echenoz est un remarquable peintre du décor moderne. Mais il va au-delà du décor. On en jugera à ce tableau, rien moins que “ neutre ” : “ Le plus proche centre commercial est une esplanade cernée de tours fuligineuses entre lesquelles balance une odeur vive et fade de pourriture plastique, parente de celle qu'émet plus d'un supermarché. Loin d'enjoliver le tableau, les rares taches de couleur, les vagues saillies ornementales qui ont apaisé, peut-être, la conscience de l'architecte soulignent au contraire le poids des lieux comme une musique parfois décuple un silence lourd au lieu de l'effacer. Dans le même souci décoratif, on a cru pertinent d'installer une fontaine au milieu de la dalle, façon de sphinx moderniste qui vomit sans mollir un étroit ruban d'eau plate, et des femmes contournent cette fontaine, chargées de filets de vivres, et les hommes qui les suivent lisent en marchant leur quotidien directement ouvert au hippisme ou aux offres d'emploi. Tous ont l'air fatigués d'affronter ou de ne plus pouvoir affronter quelque chose – mais c'est peut-être une impression, raisonne Suzy, c'est peut-être moi – à l'exception du pharmacien, petit homme efficace et vif barré d'un rai de moustache, bien épanoui sur cet humus riche en produits tranquillisants. ”

Patrick Grainville (Le Figaro, 1989)

« Echenoz nous parachute dans un univers purement littéraire, délesté des angoisses existentielles et fondamentales. Le viscéral n'est pas son truc. Il fuit le roman à l'estomac, la tripe et le pathos, les transes de la passion et la trouille de la mort. On ne peut s’identifier à ses héros. C'est reposant. On assiste plutôt à un exercice de voltige, à des cadrages fluctuants, à des volutes de pure grâce littéraire. »

(Télérama, 1989)

« Lorsqu'on lit Lac ou Le Méridien de Greenwich, Cherokee, L'Équipée malaise ou la brève merveille de L’occupation des sols, on a l'impression de pénétrer dans un univers parfaitement fluide, léger, joueur, qui va se dissoudre lorsque le livre sera terminé. Mais il n'en est rien. Non seulement le plaisir subsiste et la mélancolie, et un goût neuf inimitable, de la langue, mais, des mois plus tard, rencontrant une personne, découvrant un paysage sous une lumière inhabituelle, vivant une situation étrange ou incongrue, vous vous direz : “ Tiens, c'est du Echenoz ! ” Ce qui est la marque certaine d'un grand écrivain. »

Pierre Lepape (Le Monde, 24 mars 1990)

« Un grand écrivain, on ne sait pas très bien ce que c'est. Surtout quand il est vivant. Surtout quand il appartient à une époque qui a tellement peur de ne rien valoir qu'elle use les mots jusqu'au superlatif et qu'elle est prête à promettre le Panthéon à tout ce qui arbore trois onces de talent. La prudence s'impose. Et les géomètres littéraires, dont c'est le métier de mesurer le génie d'écrire et de comparer les tailles des postulants à la gloire, ne sont plus du tout d'accord sur les instruments à employer.
Dire de Jean Echenoz qu'il est le romancier le plus marquant des années 80 ne devrait donc pas passer a priori pour un jugement de valeur, à charge ou à décharge. C'est simplement le constat qu'entre cet écrivain de quarante-quatre ans (dont le premier livre, Le Méridien de Greenwich a été publié à la veille de cette décennie) et la réalité de son époque – l’imaginaire fait évidemment partie de cette réalité, à moins que ce ne soit le contraire – existent des connivences et des sympathies si fortes que s'il fallait raconter cette époque, c'est avec les livres d'Echenoz qu'on le ferait.
Cela annonce peut-être que les hommes d'écriture sont, contre toute attente, en train de faire la nique aux hommes d'images dans l'expression de l'imaginaire réaliste. On peut saisir les années 50 dans les photos de Doisneau, les années 60 dans les films de Godard, les années 70 dans les peintures de Warhol. Pour les années 80, c'est Echenoz et ses quatre livres, Cherokee (1983), L'Équipée malaise (1986), L'Occupation des sols (1988) et Lac (1989). Ces années-là, les hommes et les femmes, les paysages, les objets et même les animaux ont ressemblé à des phrases de Jean Echenoz. »

 




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