Romans


Claude Simon

Les Corps conducteurs


1971
232 pages
ISBN : 9782707303554
25.35 €
90 exemplaires numérotés


* Pour la collection « Les Sentiers de la création » (Éditions Skira), Claude Simon composa, en 1970, Orion aveugle, qu'il reprit et développa ensuite dans Les Corps conducteurs. Un fragment de ce roman, « Propriété des rectangles », différent du texte définitif, parut dans le numéro 44 de Tel Quel en 1971.

« Dans l'enfer bruyant, minéral et brouillardeux d’une cité américaine, un homme malade remonte une avenue. Sa progression pénible lui impose maints arrêts, pendant lesquels son regard se pose sur le monde environnant (vitrines, bouche d’incendie, téléphone public, affiches...). Un homme malade se rend chez un médecin ; après une longue attente angoissée, il entre dans le cabinet où le praticien l’ausculte et lui découvre une douleur aiguë à l’abdomen. Le regard du patient se pose sur le monde environnant (mobilier, photographie). Le contexte favorise des descriptions anatomiques et physiologiques, comme dans une scène où un couple d’amants s’aime, la nuit, répétant les gestes et les pauses lisibles dans la constellation d’Orion. Un voyageur, de l’avion qui le mène en Amérique centrale, regarde l’espace environnant. Est-ce le même homme qui, malade, assiste à un congrès d’écrivains, que l’on retrouve à une table ronde, et qui observe, dans des journaux, les annonces de programmes de cinéma ? Des guérilleros, jaillis de ces photographies, marchent péniblement dans la forêt tropicale et répètent l’aventure tragique des conquistadores sortis d’un timbre-poste. Un homme visite un musée, voit le Chahut de Seurat et le Paysage avec Orion de Nicolas Poussin, Le géant aveugle, d’une marche pénible, s’avance vers le soleil levant. Un à un, les conquistadores et les guérilleros meurent, les orateurs s’endorment ; les amants se séparent ; Orion n’atteint pas la lumière du soleil levant ; l’homme malade rejoint sa chambre d’hôtel et s’effondre, inanimé. »
Didier Alexandre

ISBN
PDF : 9782707325839
ePub : 9782707325822

Prix : 17.99 €

En savoir plus

Anne Fabre-Luce (La Quinzaine littéraire, 1er mai 1971)

« Comme l'indique le prière d'insérer qui accompagne le dernier roman de Claude Simon, quelque chose a changé, en effet dans la direction de son écriture depuis La Bataille de Pharsale et cette modification est encore plus sensible si l'on compare Les Corps conducteurs avec Histoire ou La Route des Flandres. Un extrait des Corps conducteurs, paru récemment dans la revue Tel Quel (n°44, hiver 1971), sous le titre “ propriété des rectangles ”, dénonçait déjà un agencement différent des articulations associatives qui forment habituellement le style si particulier de la prose de Claude Simon.
Pour tenter d'analyser ce changement, on pourrait peut-être dire que dans Les Corps conducteurs, il semble que toute la matière romanesque se trouve fortement contractée surtout du point de vue temps, de manière à atteindre la ductilité la plus grande possible entre les associations qui se trouvent “ mises en jeu ”. La métaphore qui fonctionnait auparavant comme “ flash-back ” liée à des réminiscences longuement modulées, tend à devenir un pur “ flash ”, c'est-à-dire une sorte d'instantané ou une série de fulgurances qui contractent le temps du récit au lieu de l'étirer. Les “ corps conducteurs ” dont les parcours et les court-circuitages incessants visent à rendre un vécu totalisé, peuvent aisément se dénombrer : un homme malade consulte un médecin, fait péniblement le trajet qui le sépare de son hôtel dans une grande ville du continent américain – La Havane sans doute – visite entre temps un musée et assiste à un congrès d'écrivains. Toujours en proie à de violentes douleurs, il s'assied un moment dans un jardin public et revit sa traversée du continent en avion. À plusieurs reprises, il tente de joindre par téléphone une femme avec laquelle il a passé une nuit.
C'est sous le signe de l'éblouissement et du vertige – du genre de ceux qui le saisissent lorsqu'il se trouve à un moment dans un bar ou lorsqu'il attend la venue du médecin dans son cabinet – que Claude Simon tisse tous les “ fils ” du malaise auquel son personnage est en proie. Ce sont les spasmes de la douleur qui traversent son cops, qui font surgir les associations ou les brèves réminiscences. Les visions du monde qui l'entoure sont indissociables des pulsations douloureuses qui l'étreignent – tels les méandres des rivières vues pendant son voyage en avion et qui se “ nouent ” aux organes de l'écorché vif dont ils regardent les viscères en attendant le médecin, ou les cigares allumés des congressistes qui lui rappellent, comme dans un vertige, l'acte amoureux de la nuit précédente avec la femme qui refuse désormais de le revoir.
Cette écriture semble adopter une orientation que l'on pourrait appeler à la fois totalisante et viscérale parce qu'elle vise à suivre au plus près les pulsations physiologiques d'un organisme humain en proie à une crise. Elle rappelle à deux titres différents deux thèmes traités par Le Clézio : celui de la douleur (“ Le jour où Beaumont fit connaissance avec la douleur ” dans La Fièvre, 1965) et par son cadre, ce récit évoque la jungle d'asphalte des grandes villes modernes dans laquelle l'homme erre, comme pris dans une agonie indéfiniment recommencée (Le Livre des fuites, 1969).
La simultanéité des sensations, des souvenirs, et des perceptions organiques ou objectives font de ce livre un long éblouissement, une intense nausée au cours de laquelle le corps en péril voit tourner le monde autour de lui dans une fulgurante et inexplicable présentification qui semble devoir précéder l'anéantissement de la conscience.
On pourra aussi y voir un admirable exemple de ces visions dites “ crépusculaires ”, particulières aux agonisants, au cours desquelles l'ensemble actualisé de la matière psychique et les contenus déjà distanciés du monde extérieur refluent soudain dans un chaos ultime qui est à la fois celui de l'origine et celui de la fin.
Renonçant, semble-t-il à l'articulation habituelle de ses récits avec un personnage familial servant de relais au jeu des associations, Claude Simon paraît maintenant viser un présent pluriel, dont l'enjeu serait la description totalisée de quelques instants dans le vécu de la conscience et dans celui du corps. Ces instants-éclairs, fonctionneraient alors comme les foyers ponctuels, à la fois rayonnants et mortels d'où surgissent toutes les temporalités convulsées par le rythme même de la vie organique, se gorgeant du monde et l'expulsant tout à la fois, avec, quelque part, accourue du fond des cieux, l'énigmatique et radieuse constellation d'Orion, saisie comme la copulation fondamentale de la vie et de la mort, très haut au-dessus de l'enfer des villes et des hommes dans un ciel à jamais inaccessible. »

Jacqueline Piatier (Le Monde, 1971)

« Les Corps conducteurs, ce sont d'abord ces vues new-yorkaises qui reviennent avec insistance. Mais c'est aussi le continent américain tout entier dont la partie sud apparaît, vue d'avion, avec son épaisse forêt vierge, ses déserts, les méandres de ses fleuves puissants, ses luttes révolutionnaires évoquées par les écrivains.
Bien que la lanterne magique fasse alterner dans un éternel présent ces images typiques avec des vues d'intérieur impossibles à situer et à dater, et nous place soudain sans transition devant des guerriers revêtus de cuirasse qui haranguent, la croix en main, des peuplades emplumées ou nous jette sur une piste que remonte une colonne de soldats harassés, quelque chose se passe dans le livre : sur cette rectiligne avenue new-yorkaise, un homme malade se traîne le long des boutiques, obligé par une forte douleur interne à s'arrêter tous les cent mètres, là sur une bouche d'incendie, puis dans un bar, puis sur le banc d'un square, avant de regagner sa chambre d'hôtel où il s'affale sur la moquette...
Les images sont décrites dans des phrases simples, précises, soumises à la syntaxe normale et qu'on dirait presque froides tant elles collent à l'objet au mouvement qu'elles font apparaître sur l'écran mental du lecteur. L'effet produit est néanmoins oppressant. Est-ce l'angoisse du malade qui se communique à nous ? Est-ce cette vue plongeante sur un monde marqué par l'injustice, la domination, L’exploitation, jamais dénoncées cependant ? Est-ce plus fort que tout, ce sentiment du temps qui s'écoule inexorablement, rendant dérisoire la trace infime laissée par toute vie humaine où s'entrecroisent ces fils de l'amour, de la politique, de voyage, de l'art. de l'étude, de la maladie et de la mort ? Il y a là un tour de force. »

 




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