Romans


Claude Simon

La Bataille de Pharsale


1969
272 pages
ISBN : 9782707303547
23.50 €
90 exemplaires numérotés sur pur fil Lafuma


* Le lecteur retrouve, dans ce récit, des personnages - l'oncle Charles, le modèle, Corinne, Paulou – apparus dans Histoire publié deux ans auparavant. C'est dire qu’il se situe dans le sillage et le prolongement de ce roman magistral. Mais, par la place faite à la peinture et une première évocation de « l’extraordinaire Orion aveugle marchant vers la lumière du soleil levant », il annonce l’œuvre à venir, Orion aveugle (1970) achevé ensuite dans les Corps conducteurs (1971).

« Un homme observe, depuis la terrasse d’un café, la fenêtre d’un appartement, avant de pénétrer dans l’immeuble et frapper de plus en plus violemment à une porte. Il suppose, poussé par la jalousie, la présence à l’intérieur d’une femme et d’un homme, le peintre et son modèle enlacés. Ces deux personnages apparaissent sur des photographies, décrites par le narrateur, qui associe à l’image de son oncle Charles des souvenirs d’enfance. La traduction d’un passage des Commentaires de César, où l’oncle aide le neveu, est associée à des souvenirs de la Seconde Guerre mondiale. Accompagné d’un ami grec, le narrateur recherche le site de la bataille de Pharsale (I).
« Lexique » est une suite de parties intitulées, et disposées selon l’ordre alphabétique : « Bataille », « César », « Conversation », « Guerrier », « Machine », « Voyage », « O » [Zéro]. Autant de mots nodaux où se croisent les fils d’un texte touffu (II).
« Chronologie des événements » entrelace, autour d’un voyage fait en train par O pour la réalisation d’un ouvrage de critique d’art, des scènes qui évoquent ses amours avec le modèle, des moments où apparaît Corinne enfant, des descriptions de tableaux, des descriptions du monde observé depuis le compartiment, des souvenirs de guerre ou d’un voyage en Grèce. Disparate, ce matériau constituera le roman : O s’assied à sa table, devant un dictionnaire et certains objets qui entreront dans le récit qu’il se prépare à écrire. Cette scène finale figure en tête d’Orion aveugle, dessinée à l’encre (III). »
Didier Alexandre

ISBN
PDF : 9782707327956
ePub : 9782707327949

Prix : 16.99 €

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Jacqueline Piatier (Le Monde, 25 octobre 1969)

« Claude Simon publie son neuvième roman La Bataille de Pharsale. Quelque chose pourtant vient de changer dans sa manière. La phrase a tendance à s'alléger et à se raccourcir, les métaphores se font plus rares. Il n'y a plus à la narration ni temps, ni lieu, ni même narrateur privilégiés. L'histoire qui dans Histoire se dédoublait entre l'emploi du temps minutieusement suivi par le narrateur au cours d'une journée et le drame vécu autrefois par un membre de sa famille, l'oncle Charles, ici se démantibule et devient tout juste un élément de la création, parmi beaucoup d'autres, cessant ainsi de donner au texte sa cohérence interne... La dissociation du récit est portée à son comble, cependant que se renforce le mécanisme des associations. Bref Claude Simon se simplifie et se complique tout ensemble. Par de nouveaux procédés, il tend à effacer de plus en plus l'individuel et, avec lui, L’anecdotique, pour ne recréer que la vie dans sa substance même, à partir de ses éléments les plus familiers les plus communs, les plus universels. La Bataille de Pharsale s'ouvre et se referme sur le vol d'un pigeon, qui, L’espace d'une seconde, intercepte le soleil pour l'œil qui le regarde. Quelqu'un est donc là qui enregistre la sensation, et soudain celle-ci prolifère dans une cascade de métamorphoses : L’oiseau devient flèche, la flèche transperce la gorge d'un guerrier, faisant ainsi surgir le motif d'un tableau de bataille. Puis L’arme redevient colombe et se fixe, symbole du Saint-Esprit, au sommet d'un retable. Rendu de nouveau au mouvement, L’oiseau, sorti du néant pour y retourner, évoque par sa trajectoire l'éphémère et insignifiante durée de toute vie humaine.
Après cette ouverture, la scène s'élargit : c'est une place vue d'une fenêtre qui, vue d'en bas elle aussi, reflète le ciel. La bouche d'un métro lance périodiquement son flot de foule. À la terrasse d'un café s'agitent des jeunes gens vêtus à la mode d'aujourd'hui... Tout indique que nous sommes à Paris. Plus tard, le retour d'une scène identique fera allusion, par un curieux lapsus – “ les coups (pour les cours) ont repris à Nanterre ”, – aux événements de mai 1968. Mais, avant cette précision, nous aurons pénétré dans l'atelier d'un peintre, vingt ou trente ans auparavant ; nous aurons été transportés en 1966 sur les routes pierreuses de Grèce, où quelqu'un qui dit “ je ” cherche à identifier le site de Pharsale ; nous aurons retrouvé, enfant, le narrateur d'Histoire, dans le bureau de son oncle Charles, et l'aurons entendu ânonner sur la page du De Bello Civilo où César narre cette bataille ; nous nous serons retrouvés dans un couloir sordide devant la porte close de l'atelier du peintre qu'un jaloux frappe à coups redoublés, imaginant l'acte d'amour qui s'y déroule ; enfin, quelque part entre Mézières et Charleroi, nous aurons assisté à une autre bataille, datant d'une toute récente guerre, et vu un cavalier désarçonné courir le long d'une voie de chemin de fer à se rompre le cœur.
Sur un rythme tantôt lent tantôt rapide, ces images, qui en déploient beaucoup d'autres avec elles, passent, s'effacent, reviennent, s'entrecroisent, s'emmêlent, se télescopent... On dirait une fugue à multiples voix.
“ Oui j'ai cherché une composition musicale ”, précise Claude Simon. De fait, le livre est divisé en trois parties qui traitent d'une manière différente à peu près la même matière. La première, que nous avons tenté de décrire, expose et orchestre les thèmes. La seconde partie intitulée “ Lexique ” développe un certain nombre de motifs commandés par des mots : “ Bataille ”, “ César ”, “ Conversation ”, “ Guerrier ”, “ Machine ”, “ Voyage ”. On les prendrait pour des morceaux séparés – quelques-uns morceaux de bravoure, comme la scène de ce soldat ivre au milieu d'une chambrée, – pour des exercices de style divers, s'ils n'étaient traversés par des rappels de la première partie, et ne s'agrégeaient en définitive à l'ensemble du livre, L’enrichissant d'éléments nouveaux par tout un système d'échos et de répliques.
Les citations de textes, les références à la peinture s'y multiplient. Des toiles de Poussin, de Breughel, de Piero della Francesca, d'Ucello, passent devant nos yeux. Des pages d'Un amour de Swann répondent aux scènes de la jalousie avant entrevues . À travers des extraits d'Elie Faure, Claude Simon esquisse son art poétique. C'est que l'homme ne vit pas seulement des sensations qu'il enregistre, il vit aussi des œuvres d'autrui, art ou littérature, où il retrouve exprimés ses drames, son expérience, ses recherches. Le dernier motif de cette partie parte bizarrement le titre “ O ”, et démontre quasi géométriquement que les échanges sont constants entre le sujet et l'objet, que l'observateur peut devenir à son tour l’observé, et que les choses se modifient suivant l'angle (affectif au visuel) où l'on se place. Il y a un peu de naïveté dans tout cela, et je ne sais quel relent des théories de Tel quel.
La dernière partie s'appelle “ Chronologie des événements ”. Tous les éléments des parties précédentes sont repris dans un ordre différent, qui n'est pas – il fallait s'y attendre – L’ordre chronologique d'une histoire qui irait en se constituant, mais toujours celui de l'association. Se trouvent alors mis sur le même plan et décrits avec la même froideur, la même netteté de trait et dans un éternel présent, les faits, gestes, situations d'un personnage, mais aussi des intérieurs, des tableaux, des paysages et, revenant comme une obsession, la description crue d'une scène érotique interrompue en pleine action. Nouvelle façon de rappeler le thème de la jalousie. Le personnage ici s'appelle O, véritable symbole algébrique, puisqu'il renvoie suivant les scènes – et Dieu merci fort clairement – tantôt à un homme, tantôt à une femme, tantôt au “ je ” multiple du narrateur.
C'est dans cette partie que la phrase de Claude Simon se modifie le plus. Courte, ponctuée, sans métaphores, on dirait qu'elle évacue le lyrisme. Celui-ci reprend discrètement ses droits tout à la fin, quand l'auteur plaque devant nos yeux, dans une page superbe, la frise des cavaliers du Parthénon. Non seulement la sculpture s'anime pour se confondre avec un souvenir de la guerre vécu par celui qui la regarde mais elle s'étire jusqu'au symbole où vient se rassembler le livre : le symbole d'une humanité aux milliers de visages divers et pourtant confondus, qui entre l'amour et la guerre, faces opposées de l'agression, poursuit, de la vie à la mort, sa marche à travers les siècles en laissant dans l'histoire ses traces effritées. »

Claude Mauriac (Le Figaro, novembre 1969)

« Comment a-t-on pu parler d'arbitraire ? Claude Simon écrit de façon somptueuse, mais rigoureuse. La Bataille de Pharsale est, comme tous ses romans, gouvernée. Le désordre apparent des sensations et des souvenirs, s'organise en un tout composé. Ligne après ligne, paragraphe après paragraphe, on ne voit d'abord qu'un grouillement de sons, de couleurs, de mots. Avec le recul, chacun des éléments dont une page est faite prend sa place, dans ce tableau, La Bataille de Pharsale.
Comme tous les romans de Claude Simon celui-ci est d'autre part un chef-d'œuvre de la description obstinée. Quel que soit l'être ou l'objet qu'il observe, L’auteur tente de L’épuiser non dans son inaccessible (et inexistante) objectivité, mais dans son apparence. »

 




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