Romans


Jacques Serena

Isabelle de dos


1989
128 pages
ISBN : 9782707312822
14.20 €


Lorsque Chris est revenu, après tout ce temps, Isabelle était assise dans la cuisine, à manger un yaourt. Elle lui a juste ouvert la porte et s'est réinstallée, sans plus guère s'occuper de lui. Elle dit qu'elle est seule à la maison : sa mère, Simone, est allée visiter l'abbaye de Sénanque, avec Philippe. Isabelle est ensuite montée se coucher et Chris a aperçu par terre, dans la chambre, une boite d'allumettes ; pourtant, Isabelle ne fumait jamais. Chris n'a rien dit.
Il gagne sa vie en gravant des bracelets de cuir sur les marchés. C'est un univers solide, bruyant et animé, peuplé de collègues et de clients – qui sont souvent des clientes.
Un pied dans chacun de ces deux mondes, Chris veut savoir pourquoi Isabelle lui tourne le dos.

‑‑‑‑‑ Extraits d’un entretien avec Jacques Serena ‑‑‑‑‑

Dans Isabelle de dos, le narrateur, Chris, écrit la chronique quotidienne et lucide d’une relation amoureuse meurtrie par une tromperie. Il plane comme une envie de régler des comptes avec soi-même.
À l'origine, Isabelle de dos était un journal qui n'était même pas destiné à être publié. Je n'avais rien compris à cette histoire qui m'était arrivée, et j'adore ce que je ne comprends pas. J'ai commencé à écrire : “ Lundi, elle a dit ça, et puis elle a fait ça ”, c'était vraiment pour y voir clair. Et puis je me suis pris au jeu, à fouiller les comportements, sans rien ajouter. Ce qui ne m'a pas marqué n'y figure pas, ce que je n'ai pas compris y est, tel quel. Je sais que des lecteurs ont des explications à propos de l'attitude d'Isabelle, je les écoute avec attention puisque moi je n'ai pas de solutions pour mes personnages. Mais de toute façon, ce ne sont pas les explications qui m'intéressent, c'est le sens, le sentiment. Toute explication massacre le sens. Et il n'y a pas de sentiment faux.
 
Le style d’Isabelle de dos diffère de vos deux autres romans : des bouts de phrases comme un souffle court, un ton plus détaché, plus distant.
J'ai écrit ce livre comme ça, et je l'ai très peu retouché. C'est peut-être parce qu'il a été conçu dans l'urgence, sur des coins de table pliante – l'époque, je n'avais pas de logement fixe. J'étais sur les marchés, je déménageais sans cesse, je dormais parfois dans ma voiture ou dans des chambres de bonne. À ce moment-là, Je n'étais même pas sûr que l'écriture serait mon moyen d'expression. C'était à usage vraiment très, très personnel.
 
Dans Isabelle de dos, Chris écrit que sa vie est un “ drame sans intérêt ”. Vos personnages ne se font guère d ‘illusion sur la valeurs de leur existence.
Mais parce que les raisons pour lesquelles nous sommes censés nous lever le matin ont perdu tout intérêt ! Il serait peur-être temps que les discours politiques, par exemple, en tiennent compte. Pour moi, il est symptomatique que les hécatombes, les drames ne fassent plus broncher personne et que, par ailleurs, dans un livre, Eugène Savitzkaya, par exemple, puisse briser le cœur du lecteur ou provoquer des élans d'amour extraordinaires en parlant d'un simple coup de tisonnier. Il faudrait se demander si nous n'avons pas perdu quelque chose d'essentiel, qui se trouve encore dans les livres. Je me suis cru insensible jusqu'au jour où j'ai lu Savitzkaya.
 
En somme, les “ drames sans intérêt ” de vos personnages peuvent être beaucoup plus forts que n'importe quel sujet des informations télévisées.
Ce qui peut paraître triste – comme le fait qu'Isabelle a manifestement couché avec un autre – ne l'est pas forcément. Personnellement, c'est l'une des plus belles choses qui a pu m'arriver. J'étais soudain capable de pensées horribles et magnifiques. J'aimerais savoir que de telles pensées traversent aussi ces personnes qui s'agitent sur les plateaux de télévision, ces types auxquels on ne peut plus croire. J'aimerais voir un député-maire avouer qu'il a parfois de drôles d'idées quand il regarde sa fille. Je lui prêterais soudain une tout autre oreille, je le prendrais au sérieux. Moi-même, par l'écriture, je me suis énormément débarrassé de mes hontes. Je n'allais pas crever avec tout ça... Je n'ai rien à cacher, je ne veux surtout pas de vie privée.
Propos recueillis par Richard Robert, Les Inrockuptibles n°53 (février 1994)


 




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