Romans


Eugène Savitzkaya

Exquise Louise


2003
80 pages
ISBN : 9782707318305
40 exemplaires numérotés sur Vergé des papeteries de Vizille
* Réédition dans la collection de poche "double" n° 75


Toutes les dents de Louise n'ont pas été comptées, ni ses cheveux et sa courbe de croissance n'a pas été analysée. Une petite fille grandit sur l'écorce de la terre qui projette une partie de son cercle sur le disque lunaire reflétant le soleil dans la grande nuit des astres, des gaz et des poussières.

Rencontre entre Eugène Savitzkaya et Stéphane Michalon (Librairie L'Arbre à lettres, Paris 5e)
 
Forte déjà d'une vingtaine de titres, l'œuvre de l'écrivain belge Eugène Savitzkaya demeure mal connue du public français. Exquise Louise offre une belle occasion de la découvrir. Consacré à la fille de l'auteur, ce texte d'une grande perfection formelle, à la fois dense et limpide, fort et délicat, se lit comme les contes de notre enfance : avec émerveillement.

Ce livre fait écho à Marin mon cœur, qui était consacré à votre fils. Ce sont deux textes très proches dans leur inspiration. Qu'est-ce qui vous a poussé à les écrire ?
J'avais cette volonté de marquer d'une pierre blanche la naissance de mes enfants. C'est une manière de les présenter au monde, de signaler la présence de nouveaux êtres sur la terre. Et aussi de les intégrer dans mon travail, de les inscrire dans une langue. J'aimerais faire cela pour beaucoup d'enfants, mais je ne connais pas suffisamment ceux des autres...

C'est donc une sorte de rite... de baptême ?
En quelque sorte. De nouveaux enfants sont arrivés, c'est une richesse, il faut la dire.

Mais vous avez écrit ce livre, contrairement à Marin mon cœur, longtemps après la naissance de votre fille ?
Louise a douze ans aujourd'hui, mais j'avais commencé à prendre des notes dès sa naissance. Cela se passe toujours de la même manière : je prends des notes, presque quotidiennement. Et puis, au bout d'un moment qui peut être plus ou moins long, je relis ces carnets, ces feuilles éparses, et des directions se dessinent, qui me suggèrent une suite, un prolongement. Je me remets alors à écrire et cela donne un livre.

Marin mon cœur mettait en scène des nains et des géants ; dans Exquise Louise, on croise des fées, des princesses, des sorcières... On est assez proche de l'univers, du merveilleux du conte.
Oui, il y a sans doute une influence du conte, du conte russe en particulier. Ma mère était russe et mon père polonais. Quand j'étais enfant, ils me racontaient un tas d'histoires dans ces deux langues. J'avais la tête pleine d'histoires qui venaient d'ailleurs. Depuis, j'ai pas mal travaillé sur le conte, notamment lors d'un séjour en Russie. Cela a pu influencer l'écriture de Louise.

Ici, les rapports traditionnels de domination entre parents et enfants semblent inversés : la princesse Louise prend un malin plaisir à soumettre à ses volontés les  tyrans domestiques  que sont les adultes...
Bien sûr. Il y a chez les enfants une force, une détermination, une ferveur qui nous dépassent complètement. C'est l'énergie qui fait grandir et avancer. Dès qu'un enfant naît, on prend conscience qu'il s'agit d'un être autonome, qu'il n'a pas besoin de nous pour vivre et respirer. Dire  mon enfant , c'est toujours un peu faux : les enfants, on les fait naître, on tente ensuite, maladroitement sans doute, de les aider, mais ils n'appartiennent qu'à eux-mêmes.

L'enfance semble un état que vous regardez avec fascination – voire une certaine nostalgie ?
Oui, je suis resté assez proche de mon enfance, et la naissance de mes enfants, leurs gestes, leurs attitudes, m'ont rappelé beaucoup de choses. Il y a eu un réel rafraîchissement de la mémoire. Au fond, ce livre est un cadeau de Louise, c'est elle qui m'a permis de l'écrire.

C'est un livre d'une grande douceur, contrairement à la plupart de vos ouvrages où la violence, la mort, le pourrissement sont omniprésents. Le fait d'être père a-t-il fait évoluer votre regard sur le monde ?
Peut-être. Disons que Marin et Louise sont, en quelque sorte, des livres  de repos  : je rétrécis le champ, je me concentre sur mes enfants, je les regarde vivre, et ça me fait du bien. J'en ai délibérément écarté le malheur, tout ce qui pouvait être néfaste. Je voulais les laisser baigner dans une eau tranquille.

De l'enfance, vous avez conservé une capacité à vous émerveiller de tout ce qui vous entoure, les choses de la nature en particulier. Il y a chez vous une attention extrême au monde concret, matériel, qui exclut pratiquement, dans vos livres, tout ce qui est d'ordre psychologique.
Oui, il n'y a que le matériel, le sensible, ce que je peux toucher qui me préoccupe. C'est peut-être l'héritage d'une enfance passée à la campagne, qui m'a donné beaucoup d'occasions d'exercer mon observation. Je ne m'ennuie jamais. Je n'ai aucune propension à  déprimer , comme disent les gens. Tout m'intéresse et me requiert : la structure du globe autant que les plus petites choses. Tout est structure, tout part de minuscules éléments, d'alvéoles, de cellules...

Cet imaginaire du corps, de la nature, cette fascination pour les processus biologiques et physiologiques – naissance, croissance, décomposition – est quelque chose que l'on retrouve dans tous vos livres.
Ce n'est pas l'aspect scientifique des choses qui m'intéresse le plus. L'explication scientifique est toujours une grille, une manière de voir le monde à travers des grilles. Si je me passionne pour les choses de la nature, pour les processus naturels, c'est que j'y cherche quelque chose de plus général, qui pourrait passer par des mots, servir de structure verbale. Quand j'observe une plante ou un arbre, ce qui m'intéresse, ce ne sont pas tant les données botaniques que la structure que m'offre l'arbre, celle que m'offre l'écorce... J'aimerais en tirer une substance qu'il soit possible de mettre en mots.

Vous parlez en poète. Seriez-vous d'accord pour dire qu'Exquise Louise est plus proche de la poésie que du roman ?
La question du genre est une question que je ne me suis jamais vraiment posée. Quand je reprends mes notes, je m'applique à donner au livre une forme, sans trop me soucier de savoir à quoi elle ressemble. Et ces notes contiennent beaucoup de livres potentiels, qui n'existeront sans doute jamais. Louise est peut-être de la poésie, ou ce qu'on voudra d'autre :  Roman , c'est juste l'étiquette.
Propos recueillis par Judith Roze dans Page (avril 2003)

ISBN
PDF : 9782707322111
ePub : 9782707322104

Prix : 5.99 €

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Judith Roze (Page, Avril 2003)

 Si, entreprenant Eugène Savitzkaya sur son dernier livre, vous le trouvez peu disert, parlez lui de jardinage : là, il est intarissable. Les légumes que produit son potager – un jardin ouvrier près de Bruxelles, où il cultive aussi quelques dahlias, soucis, tournesols et roses trémières – lui inspirent des tirades attendries. On dirait que, non content de les soigner et de les nourrir, il passe de longs moments à les regarder pousser. Comme Louise. Louise, dont “ les oreilles grandissent aux aguets du moindre froissement de feuille ” ; Louise, dont chaque doigt “ se conduit comme s'il était l'élément principal d'un bouquet, tige exceptionnelle parmi les autres ”... Cette divine enfant, qui “ a encore le visage fripé d'une grand mère ”, est arrivée un jour sans crier gare, bien décidée à tout chambarder dans ce monde “ organisé par des paltoquets et des pleutres dont la tension provoquée par la crispation des fesses se ressent durement à l'échelle planétaire ”. Depuis, elle accomplit chaque jour des prodiges, commande aux astres et aux éléments, au vent et aux arbres, aux abeilles et aux chevaux, donne vie aux choses inanimées. Louise “ tient la porte du temps ” : “ Elle est déjà toute à l'heure, au bout de l’instant. On n'en saisit qu'un fil, un cil de la mouette dont on n'a entrevu qu'un ongle. ”
Louise est la fille de l'auteur, et ce livre un des plus beaux qu'un père ait écrits sur son enfant. Qu'Eugène Savitzkaya continue donc, en paix, à cultiver son jardin. 

 




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