Romans


Caroline Lamarche

Le Jour du chien

Prix Rossel 1996


1996
128 pages
ISBN : 9782707315649
Disponible en poche aux Ed. Luc Pire, 8 €, ISBN 9782507001230


Un chien court le long de l’autoroute. Des automobilistes et un cycliste s’arrêtent. Cette vision agira comme un révélateur sur ces témoins, accompagnant en filigrane leurs drames intimes. Six personnages en quête d’un chien.

Pierre Mertens (Le Soir, 28 août 1996)

Lamarche : une poétique de la compassion
 
 Vladimir Nabokov disait ne reconnaître qu'un seul pouvoir : Celui de la magie contre la brute... Et j'éprouve comme un signe que Caroline Lamarche ait placé en exergue de son dernier roman une phrase de cet écrivain tutélaire, relative à un chien délaissé...
Le Jour du chien relate la course éperdue, désespérée, d'un animal abandonné, un jour de printemps, le long du terre-plein central de l'autoroute Bruxelles-Paris. Six témoins de son errance vont voir, d'une certaine façon, leur vie bouleversée par cette rencontre. Six personnages en quête non tant d'un chien que de leur propre identité, du secret de leur vie, et que cette vision ne laissera pas indemnes. Comme si, depuis longtemps, ils avaient pris rendez-vous avec elle. Comme si, dans toute vie, il devait y avoir “ un jour du chien ” qui serait aussi celui d'une révélation. D'une initiation. Les masques tombent. Un miroir surgit... On franchit une frontière.
Il y a un camionneur solitaire, des images plein la tête, qui écrit aux journaux et s'invente la famille qu'il n'a jamais eue, pour avoir quelque chose de bien à raconter. II se demande quand il pourra boire le lait du printemps plutôt que le sang des abattoirs. Il y a aussi un prêtre qui ressasse le récit du combat de Jacob avec l'Ange. Il désespère de sa paroisse où tant de tièdes côtoient quelques hystériques... Mais il se souvient d'une femme qui fréquentait la bibliothèque de l'église et s'en retournait les bras chargés de livres (car c'était sa messe, à elle...). Elle ne comprend pas qu'on puisse abattre les saules têtards plantés autour du lieu saint, car une lumière qui venait d'eux sera irrévocablement perdue... Le curé avait du bonheur à la rencontrer, entretenant avec elle des rapports purement littéraires, c'est-à-dire purement liturgiques. Elle représentait le Royaume de Dieu sur la terre. Un jour, elle n'est plus venue.
On rencontre une femme qui, le jour du chien, avait résolu de rompre avec son amant, tant que l'amour lui ruait encore dans le sang mais qui, après avoir croisé le chien, n'a plus eu le cœur à le faire. Après, elle a signifié ses adieux dans une lettre. Elle eût aimé devenir la vestale du chien, de sa déréliction... Moi qui abandonnais, je devenais abandonnée (...). Quelqu'un m'a abandonnée autrefois. Depuis, j'abandonne tout le monde.
Et puis il y a ce jeune homosexuel dont sa fruitière de patronne n'a jamais toléré l'allure, alors qu'il lui confectionnait de si beaux montages de fruits. Autrefois jeté par ses parents, le voici sur la route, à vélo, fou d'orgueil de s'être ainsi sauvé. Qu'il aperçoive seulement le chien – c'est comme un rappel –, et il tombe... (Il a encore le temps de penser qu'il appartient à une génération de jeunes que personne n'attend ni ne sollicite – et ainsi l'introspection psychologique s'ouvre-t-elle sur le social, le temps d'un éclair...).
Il y a, enfin, une mère et une fille. Le père les a “ délaissées ” en mourant d'un cancer. Depuis lors, sa veuve sait que, parfois, il n'y a vraiment rien à faire. Mais Anne, leur fille boulimique, sait, quant à elle, que tout reste à faire, même quand l'espoir disparaît à l'horizon avec la silhouette d'une bête pantelante. On peut même penser que ce chien est une chienne, qu'il s'appelle Anne, et qu'on peut mourir comme elle, en tentant encore de rejoindre l'impossible.
Caroline Lamarche nous vient de la poésie et de la nouvelle. D'où sa capacité d'adopter – lyriquement – tous les points de vue, de distribuer à l'infini son regard sur les choses, et de les enchanter naturellement...
On se souvient de ce chef-d'œuvre de Bresson où l'on voyait un âne porter tous les péchés des hommes, Au hasard Balthazar. Le chien de Lamarche, qui court au hasard, lui aussi, parmi eux, assume une pareille fonction rédemptrice et peut-être les sauve-t-il de façon cathartique... On aimerait ne parler ici que de littérature, et de forme... Mais pourquoi le dissimuler ? À une époque où règne en maître le cynisme (lequel mot détient, étrangement, une connotation canine...), on est heureux de lire un pareil livre si sobrement compassionnel, aussi généreux que cruel, et dépourvu de toute sensiblerie.
La vocation de quelques rares récits consiste à débusquer ainsi un mystère suprême. Quelque chose comme du Tchékhov pour aujourd'hui... Ce n'est pas seulement “ très beau ”. C'est surprenant. 

Patrick Kéchichian (Le Monde, 20 septembre 1996)

Temps de chien
Autour d’une bête égarée, Caroline Lamarche fait converger six personnage en quête d’eux-mêmes.
 
 Le premier roman de Caroline Lamarche est dédié à un chien ; un chien sans nom “ aperçu le 20 mars 1995 sur l’autoroute E411 ”. Au départ une scène datée, réelle – à moins que la dédicace ne soit elle-même un élément de la fiction... Un chien donc, réel ou supposé, courant contre toute prudence sur le terre-plein central d'une autoroute, là où il n'avait que faire, est l'élément fédérateur des six chapitres du livre de Caroline Lamarche.
Six personnes, qui se trouvaient sur l'autoroute “ le jour du chien ”, décrivent, chacune pour elle-même, l'épisode anormal, ou plus précisément se l'approprient. À un moment donné, elles ont stoppé leur véhicule et se sont retrouvées devant l'animal qui courait, zigzaguant parmi le flot des automobiles, mais n'ont pu l'arrêter. Tour à tour, les quidams vont monologuer autour de l'animal qui court, formant une sorte de communauté de hasard. Les voix autonomes vont converger pour dire l'effet de cette image (...)
C'est une voix incontestable et forte, très émouvante en beaucoup de pages, que Caroline Lamarche fait entendre dans les six chapitres de son livre. Avec une sensibilité vive, elle est passée à l'écart de la caricature, du trait grossi, de la rigolade psychologique. Son propos n'en est que plus convaincant. 

 




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