Romans


Marie Redonnet

Diego


2005
192 p.
ISBN : 9782707319265
14.70 €


Je ne suis plus en prison, j'ai quitté Tamza et je viens d"arriver en France. Mais l’angoisse est toujours au fond de moi. Je me répète :  Je suis un homme libre . Je sais bien que ce n’est pas vrai. Je suis arrivé en France sans visa. Je suis un clandestin. Je n’ai pas passé la douane. Je ne suis pas enregistré sur le territoire français. Je suis libre tant que la police ne me demande pas mes papiers. Je ne peux pas vivre en France normalement. Je dois y vivre comme un clandestin.

Jean-Claude Lebrun, L’Humanité, jeudi 8 décembre 2005

Dans le grand mouvement de renouvellement des écritures romanesques, au milieu des années quatre-vingt, Marie Redonnet s'était signalée par la candeur appuyée de ses récits. En des endroits improbables, le plus souvent réduits à quelques traits caractéristiques, des figures aux noms d"apparence saugrenue se trouvaient lancées dans des quêtes obsessionnelles. La simplicité affectée n’était évidemment pas synonyme de superficialité. A chaque fois remontait dans ces histoires l’ardeur des pulsions qui commandent l’humain. Marie Redonnet a fait paraître aussi du théâtre, des contes et de la poésie. Ses deux plus récents livres remontaient à l’an 2000 : un essai, Jean Genet, le poète travesti, et un roman, l’Accord de paix, certes encore dans sa manière, mais qui témoignait d’une ouverture thématique lors du cratère sulfureux de l’intime. Diego vient aujourd’hui confirmer cet élargissement du champ narratif.

La romancière y évoque l’itinéraire de Diego Aki, un clandestin venu du Sud, après des années de détention dans son propre pays. Fils et neveu de deux couturières en révolte, les  Rouges , il avait fait partie d’une organisation révolutionnaire appelée le Mouvement. Après sa condamnation, sa mère s’était suicidée et la jeune femme qu’il aimait s’en était allée voir ailleurs :  elle ne croyait qu’aux solutions individuelles . Toutes deux portaient le nom d’Ama. Il ne lui était resté que sa tante Lili. Quand il avait été enfin libéré, il avait pris la direction de la France et accosté, une nuit, sur une petite crique discrète. Il avait ensuite gagné une localité de la banlieue parisienne, où un proche l’avait hébergé avant de le confier à un certain Aigle d’or, qui l’avait logé dans un wagon désaffecté et lui avait procuré un travail de veilleur de nuit. Cette première partie de parcours, en soi relativement commune, prend cependant tout de suite la tournure singulière propre aux récits de Marie Redonnet. La dureté du réel s’y donne à voir, mais appréhendée d’une façon qui métamorphose cette traversée en une manière d’itinéraire initiatique. Ainsi Diego loge sur une voie à partir de laquelle, des années auparavant, des enfants avaient pris la direction de l’Allemagne. Les damnés changent, mais la damnation perdure. On pourrait alors tomber dans le pathos ou la pose compassionnelle, sauf que l’écriture joue ici le rôle de garde-fou. On suit certes Diego dans différentes démarches. On le voit maintenant venir faire le veilleur de nuit dans un hôtel de passe pour travestis du  quartier des Perles , dans le dix-huitième arrondissement de Paris. On assiste aux manœuvres d’approche du gentil épicier Ali, ambassadeur avenant des réseaux islamistes. On le trouve en grande difficulté après le meurtre d’un locataire de l’hôtel par un client. Sauf qu’aucune sentimentalité ne vient imprégner ce récit, qui s’en tient à un relevé des paroles et des gestes essentiels. Ce que reflète très exactement la phrase de Marie Redonnet, réduite à quelques éléments simples, à une structure uniforme, avec un verbe basique, souvent un simple auxiliaire, toujours au présent, sans possibilité d’expansion ou de digression. De ce style naît un univers élémentaire, aux allures de décor théâtral kitch, habité par des personnages dont l’épaisseur, comme au demeurant l’histoire, se laisse seulement deviner.
Mais le clandestin n’est pas arrivé complètement sans bagage : dans son pays, il avait fréquenté l’école des pères et s’était pris de passion pour le cinéma et la littérature ( je ne savais pas qu’il y a dans les livres une nourriture sans laquelle on dépérit ) ; dans un camp du désert, il avait aussi appris les gestes de la lutte armée et du terrorisme. Il a maintenant renoncé à ceux-ci et conçoit l’unique projet de faire de sa vie un film. On doit y voir Samir, son alter ego dans le scénario, en train de refaire son propre parcours. C’est ainsi que le clandestin voit le jour, porté par une inattendue chaîne d’amitié. Épilogue paradoxal pour celui qui n’a pas d’existence légale et ne devient visible que par l’art. Si le périmètre thématique s’est élargi au contexte contemporain, la logique qui fonde l’œuvre de Marie Redonnet continue de fonctionner à plein. Absence d’épanchement de l’écriture, verbes usés avant d’avoir servi, petites phrases ternes. Tout un art de dire plus en disant moins.

 




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