Théâtre


Marie Redonnet

Seaside


1992
96 pages
ISBN : 9782707314079
12.50 €


C'est la nuit de Noël. Onie, une jeune danseuse qui ne peut plus danser à la suite d'un accident, tombe en panne avec sa quatre-chevaux toute neuve au bout d'une petite route, entre la mer et le lagoon. Elle est venue là rouvrir Seaside Hotel pour Noël. Mais dans ce site perdu et sans nom, elle ne trouve qu'un petit bungalow où vit une toute jeune fille : Lolie. Lend, “ le mari de mère ”, a disparu en barque dans le lagoon, et la grand-mère, endormie dans le rocking-chair de la terrasse, n'arrive pas à se réveiller. Cette nuit de Noël est pour Lolie une nuit de passage : un adieu à l'enfance en compagnie d'Onie qui l'initie à la danse, du jeune homme arrivé à minuit qui l'initie à l'amour, tandis que meurent les êtres chers du passé (la grand-mère et le grand-père), et que les disparus (Lend, et la mère de Lolie) reviennent une dernière fois dans un film muet en noir et blanc projeté au-dessus du lagoon.

Michèle Bernstein (Libération, 23 février 1992)

La Symphonie des adieux

 Comme dans la symphonie de Haydn, chacun finit son air et à son tour s'en va. Mais, au lieu que les musiciens ferment dignement leur partition, soufflent discrètement leur bougie, et s'esquivent sur la pointe des pieds, imaginez ici que les archets grincent et se cassent, que les instruments à vent fassent entendre des couacs désespérés, que les perruques tombent. et que les membres de l’orchestre s’écroulent dans des poses grotesques ou tragiques. Récapitulons : il y a un bungalow au bord de la mer. Une grand-mère dans un rocking-chair, une petite fille. La grand-mère est de plus en plus endormie (la petite fille : “ C'est grand-mère. Elle a eu un arrêt du cœur (...). Vous n’avez jamais vu une vieille femme comme grand-mère morte dans un rocking-chair ? ”) La petite fille arrose d’une eau rare (non, maintenant il n’y a plus d’eau du tout) la bordure d’un enclos stérile que chaque nuit le vent recouvre de sable. Elle y plante des graines qui, bien sûr. ne poussent pas. Non, maintenant, il n’y a plus de graines, c'est la fin. Ces graines inutiles, c'était le cadeau de Noël que, juste un an auparavant, lui avait fait Lend, son beau-père. Nous apprenons bientôt que Lend n’est pas vraiment son beau-père. Elle l'attend. avec un nouveau cadeau de Noël. Bien sûr, Lend ne viendra pas. Noyé. sans doute.
Arrive une jeune femme dans une quatre-chevaux qui tombe en panne. La jeune femme est boiteuse, et boitera de plus en plus jusqu'à ce que sa hanche soit complètement détraquée. Ce boitement n’est pas innocent : la jeune femme est une ancienne danseuse, il signifie une vie brisée. La quatre-chevaux toute neuve n’a pas, elle non plus et vous vous en doutez un bel avenir. Êtres et choses participent du même processus de désintégration par paliers. Mais les personnages de Marie Redonnet sont, si l'on peut dire. optimistes. De chute en chute, se remémorant un passé brumeux que la distance leur fait rêver superbe, ils cherchent, dans leur malheur présent, un arrangement raisonnable, qu'une nouvelle catastrophe viendra aussitôt ébranler. Que dit la petite fille ? Elle se réjouit presque : “ C’est mieux maintenant que la quatre-chevaux est devant le bungalow. Le bungalow fait habité avec l’auto devant. Lend la verra dès son retour, ça lui fera une heureuse surprise. C’est dommage que le moteur soit cassé… ”
Si vous avez déjà lu d'autres livres du même auteur, vous ne serez pas étonnés de savoir qu'il y a quelque part, non loin du bungalow mais comment trouver le chemin, un grand hôtel désert, tout rose qui au bout de la digue resplendit dans la mer bleue. La jeune femme en a les clés, elle veut le rouvrir, c'est le bonheur, c'est l'harmonie, c'est tout ce que personne n’aura jamais. Très évidemment on apprend que le Seaside hôtel est une ruine, qu’il n’en reste plus que la façade, et pas pour longtemps, que la digue aussi a été détruite... C'est un thème récurrent. Aussi que la petite fille. qui vient d'avoir ses règles pour la première fois, sera déflorée sans ménagements par un jeune homme qui passe, perdant dans l'aventure sa seule jolie robe (“ ... Grand-mère a mis toute l'année pour me faire ma robe. C'est peut-être la dernière robe qu'elle me fera, elle a de plus en plus de mal à coudre. ” Dit avant que la grand-mère soit morte. ou du moins qu'on s'en soit aperçu...). Le jeune homme repartira, il la trouve trop petite, treize ans, pas intéressante : c'est elle qui se sent en faute. Mais, désormais, elle est prête pour un avenir de prostitution courageuse et méritante, la seule carrière possible : “ ...ce sera comme avec le jeune homme le soir de Noël. Tous les soirs, ce sera le soir de Noël. Je serai majeure cette fois, et les clients resteront. Les chambres vaudront très cher. Les clients paieront cher, sans discuter. ” Oui. tout cela, sous une forme ou une autre, on a déjà pu le lire.
Dira-t-on, alors, que Marie Redonnet se répète ? Non, elle module, elle construit. Déjà son premier livre, c'était en 1985 Le Mort & Cie, poème en strophes étranges où apparaissaient et disparaissaient tout un petit peuple, c'était ça : avais-je assez cherché – et je n’étais pas la seule – quelle en était la clé, quel système, quel jeu de go ou d'échecs... C`était tout bête, c'était dans le titre, c’était la mort des uns, puis des autres, le schéma des Dix petits nègres, et, quand je le relis maintenant, cela me semble évident. Depuis, avec sa grande faux, Redonnet estropie et décime les maisons, Ies petites filles, les virginités et les espérances.
Il faut aussi que je vous prévienne : Seaside n’est pas un roman. c'est une pièce de théâtre. Mais, contrairement aux autres pièces de l'auteur, les répliques n’y ont pas un rythme théâtral classique, elles s`allongent comme autant de narrations. Je vous en ai donc parlé comme d'un roman. Un tout petit roman, presque une plaquette, ce qui n’a aucune importance car Marie Redonnet n’est pas un petit écrivain. 

 




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