Théâtre


Marie Redonnet

Mobie-Diq


1989
96 pages
ISBN : 9782707311986
7.60 €


Pour Mobie et Diq, vieux couple d'acteurs qui ont échoué à jouer la pièce de leur rêve : Tango, le rôle à jouer est à trouver comme une énigme dans le nom même qui fait leur couple, et qui refait le titre du grand roman de Melville : Moby Dick. L'échec de Tango et le naufrage du Tango – nouveau Titanic – dont ils sont les seuls rescapés grâce à une veille barque font de Mobie et Diq la réincarnation burlesque et poétique d'une époque grandiose dont il leur faut, à leur insu, retenter l'aventure et risquer le sens : lui à la barre, affrontant les éléments, elle, perdue dans son rêve de grossesse. Et ainsi sept jours durant, dans la vieille barque chargée du vieux coffre, sur la mer sans bateau où se projettent les images – la baleine noire et morte, l'île mystérieuse – de leur étrange quête. Dans cette histoire de naufrage, la question est bien de savoir ce qui est perdu, et ce qui est sauvé ou trouvé, quant au terme de leur odyssée Mobie et Diq rencontrent la baleine blanche

* Cette pièce a été créée au Théâtre de la Bastille, à Paris, le 17 janvier 1989, dans une mise en scène d’Alain Françon.

Raymond Bellour (Magazine Littéraire, février 1989)

La baleine blanche
 
 Pas de mythes sans animaux. C'est du moins ce que disent la Bible, Lévi-Strauss, les Grecs, Melville et Michaux. La mythologie blanche de Marie Redonnet vient de trouver son animal tutélaire, multipliant l'image de la baleine fabuleuse de Melville et divisant son nom pour créer les deux personnages de sa nouvelle fable.
Tout l'art de Marie Redonnet tient dans sa phrase, pauvre, élémentaire, faussement détachée, et la circularité obsessionnelle qui lui permet de construire, comme par des menus bonds successifs mais grâce à un nombre infini de retours, reprises, réitérations, un monde minimal, qui semble tenir par la grâce d'on ne sait quel dieu (…)
Tir et Lir ressort clairement, côté scène, de cette éthique de l'hyper-pauvreté qui touche à une sorte d'essence de l'échange et de la survie. Une chambre. Un couple de vieillards grabataires, Mab et Mub. Ils vivent au rythme des lettres que leur envoient chaque lundi leur fils et leur fille. Quand Tir et Lir meurent, symétriquement, l'un, à l'armée, des suites d'une jambe amputée, l'autre, prostituée, d'un mystérieux microbe (toute la pièce tient dans l'effet progressif, par lettres, de ce double événement), les parents s'éteignent ; et les répliques finales miment, dans leur rythme même (tout est là), cette fin (“ C'est bientôt fini ?/ Oui, bientôt/ Je préfère que ça finisse dans la chambre. Nous avons reçu beaucoup de belles lettres./ Oui, beaucoup de belles lettres. Elles sont toutes là./ Et tu en as écrit de bien belles, Mub./ Merci, Mab./ Je n'oublierai jamais tes lettres. Je m'en souviendrai jusqu'à la fin. C'est déjà la fin, Mub ?/ Oui, Mab./ Alors, adieu, Mub./ Adieu, Mab ”).
Dans Mobie-Diq, en apparence, la situation est plus pauvre encore. Lui, Diq, elle, Mobie, un vieux couple à nouveau, dans une barque, en pleine mer, après un naufrage dont ils sont les seuls survivants. Et pourtant, cette fois, c'est tout un monde qui se met à vibrer, comme une poudre d'or qui viendrait habiller cette même essentielle pauvreté. Que s'est-il passé ? Tout simplement (mais c'est beaucoup) une intégration, pour la scène, du matériel sensible qui s’est peu à peu agrégé, dans les trois romans de Marie Redonnet, à ces structures sèches sans lesquelles il ne serait rien. Un matériel qu'on imagine très enfoui, à la fois culturel et personnel (mais quelle différence ?), venu des contes, des légendes, des livres, comme des fantasmes les plus intimes du “ mythe individuel du névrosé ” ; mais qui finit, et c'est là l'essentiel, grâce à un art d'une grande abstraction, une qualité rare de transmutation, par être dénué de toute intériorité psychologique et capable, dès lors, de s'ouvrir à une sorte de mythologie privée : tout bonnement, un monde à l'aube de sa création. Un monde élémentaire, blanc, d'autant plus proprement magique.
Ainsi Mobic et Diq dérivent-ils une semaine durant dans leur barque, entre mer et ciel, au gré des éléments qui se parent de toutes les nuances possibles (soleil, vent, nuit, neige, calme plat et tempête), elle, Mobie, vivant d'un même coup sa grossesse et sa ménopause, lui, Diq, hallucinant un bateau qui passe comme double du Tango naufragé, tous deux revivant à la lueur de l'événement les instants élus de leur vie antérieure, confondant leur voyage de noces et leurs noces d'or, la barque où ils célèbrent leur rencontre sur un lac et celle qui les porte sur la mer, filant les ingrédients épurés du roman d'aventures (Ie coffre, l'île, la cabane, oh Stevenson), et métamorphosant enfin la baleine de Melville dont ils portent le nom. Trois fois, la baleine affleure, pour préparer son triomphe mythique : baleine entrevue par Mobie, qui la pressent comme elle croit sentir son ventre, baleine morte qui empeste, recouverte d’oiseaux, baleine-cauchemar de Diq qui les sépare l'un de l'autre et les noie. Et enfin arrive la baleine blanche, immense, vieille comme la mer et dans laquelle, comme Jonas, ils ont (peut-être) disparu. Dans leur barque dans la baleine, dans la nuit de la mort transmuée, la “ nuit inoubliable ” qui justifie tout, s'élève enfin, “ juste pour la fin ”, le solo de violoncelle jusque-là toujours interrompu, mais dans “ une autre interprétation ”. Car chez Marie Redonnet, comme dans les mythes, tout est toujours double. 

 




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