Romans


Julia Deck

Viviane Elisabeth Fauville


2012
160 p.
ISBN : 9782707322401
14.50 €
premier roman
25 exemplaires numérotés sur Vergé des papeteries de Vizille, 42 €






Vous êtes Viviane Élisabeth Fauville. Vous avez quarante-deux ans, une enfant, un mari, mais il vient de vous quitter. Et puis hier, vous avez tué votre psychanalyste. Vous auriez sans doute mieux fait de vous abstenir. Heureusement, je suis là pour reprendre la situation en main.

ISBN
PDF : 9782707328083
ePub : 9782707328076

Prix : 6.99 €

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Véronique Rossignol, Livres Hebdo, 6 juillet 2012

Métropolitaine

Pas besoin de faire des cachotteries : on connaît Julia Deck. Pour nous, collaborateurs de Livres Hebdo, c'est simplement Julia, la pigiste franche et pince-sans-rire, qui met en page nos articles et avec qui on peut parler livres, librement. Julia, ses goûts assurés, son ironie, sa nonchalance… On connaît donc Julia, secrétaire de rédaction, mais Julia Deck, romancière, on l"a découverte il y a quelques semaines à peine, surprise d’abord, puis admirative après avoir lu son premier roman, sous la couverture enviée des éditions de Minuit, où elle figure cette rentrée en très bonne compagnie auprès d’auteurs maison qu’on ne présente plus.
Mené en souplesse mais d’une plume sûre, originale, Viviane Elisabeth Fauville, est – on le soutient sans crainte d’être taxée de copinage connivent – un roman drôlement réussi. Dans un Paris pointilleusement décrit, il piste une femme bien intégrée, mère d’un bébé de quelques mois, fraîchement quittée par son mari, qui tue son psy et attend qu’on vienne lui demander des comptes. Une très vieille idée – comment vit-on avec le poids d’un crime impuni ? – que l’auteure a reprise et (beaucoup) retravaillée jusqu’à bâtir une épatante intrigue. Le choix du métier de la victime ? « Il m’a paru une évidence », dit-elle. C’est Irène Lindon, directrice des éditions de Minuit, qui a trouvé le titre. « La première qui a vraiment lu. » Et la seule d’ailleurs à qui Julia ait envoyé le manuscrit. Bonne fée exigeante, l’éditrice s’est penchée sur le berceau de ce texte qui n’était pas le premier, son auteure ayant déjà commis un roman il y a trois ans, envoyé à trois éditeurs, refusé par lettre type et remisé (définitivement, assure-t-elle) dans un tiroir. Entre-temps, notre Julia a gagné sa vie de plein de manières, toutes plus ou moins directement liées aux livres et à la littérature, dans la continuité de ses études de lettres modernes à la Sorbonne, assorties d’une spécialité édition. Ainsi fut-elle successivement lectrice de littérature étrangère à New York et à Paris, dans la communication d’entreprise sur le Web pendant six ans (« Horrible, j’étais tellement frustrée ») puis, après une formation dans une école de journalisme, pigiste pour différents supports, une activité dont la souplesse a l’avantage de garantir un bien primordial pour elle : du temps pour écrire. Du temps en l’occurrence pour « essayer plein de trucs », dont faire un plan qui ne marchait pas. Pour arpenter son Paris natal en piétonne, dans tous les sens, vérifiant les noms de rue, les itinéraires de métro, repérant des façades d’immeubles, pour, deux ans et plusieurs versions plus tard, parvenir à animer avec un ton juste ce personnage qui traverse une grave crise d’identité, et prend l’eau peu à peu. A se mettre dans la tête d’une femme dont la personnalité se fissure et se disloque sans bruit. La romancière précise qu’un passage en fac de psycho, il y a quelques années, l’a un peu aidée dans la description de certains symptômes. De fait, le décalage progressif avec la réalité, cette suite de comportements jamais franchement délirants mais légèrement vrillés, est très finement observée. Plus que l’illogique de la folie, c’est bien sa logique que Julia D. reconstruit, sa cohérence interne.
Fille unique. Au-delà de ce portrait de femme en morceaux, le roman a été également l’occasion de creuser le thème des relations mère-fille et, plus sous-jacente, plus personnelle pour Julia, fille unique née d’une mère anglaise, traductrice et grande lectrice, et d’un père français, plasticien, la question de la langue maternelle. « Quelle est ta langue maternelle quand tu te retrouves à maîtriser ta deuxième langue mieux que la première ? »
En plaisantant, Julia dit qu’elle trouve très complexant ces auteurs qui affirment en interview que leur éditeur n’a pas touché une ligne à leur texte. Elle n’a pas de gêne à avouer qu’elle doit beaucoup à la lecture précise et sans concession d’Irène Lindon, une « interlocutrice irremplaçable ». « Elle m’a dit ce qui ne fonctionnait pas, mais pas ce qu’il fallait faire. » Exactement ce que l’apprentie romancière avait besoin d’entendre. Aussi, après leur première rencontre, Julia a repris sa copie. Tenant compte de certaines critiques, laissant d’autres de côté, elle a simplifié, fait quelques changements de structure. Elle a enlevé du « gras » et supprimé « des choses que je croyais littéraires et qui étaient juste lourdingues ». A la suite des premiers refus, elle se souvient avoir pensé : « Si la prochaine fois, ça ne marche pas, j’arrête. Je n’avais pas envie d’empiler les manuscrits non publiés. » Elle a bien fait de persévérer.

David Caviglioli, Le Nouvel Observateur, 23 août 2012

La dame de Minuit

Elle publie son premier roman dans l'une des maisons les plus prestigieuses des lettres françaises. Il se murmure déjà que cet ouvrage dans lequel une quadragénaire tue son psychanalyste pourrait être un des chocs de la rentrée littéraire...

« Maison trop sérieuse, trop austère et rigoureuse, essence de la vertu littéraire, trop bien pour moi.» C'est avec cette cascade d'épithètes définitives que Jean Echenoz a expliqué pourquoi, en 1979, il n'avait pas envoyé son premier manuscrit aux Editions de Minuit.

Trente ans plus tard, tandis qu'Echenoz est devenu la vitrine de la maison, Julia Deck se trouve dans la même situation. Elle a quitté son travail de chargée de communication (elle officiait chez Gaz de France, Nestlé ou Total); elle est désormais secrétaire de rédaction pour divers journaux, « à la pige, pour avoir le temps d'écrire ». Elle prépare des colis postaux pleins d'une première tentative romanesque sur laquelle elle a passé deux ans et demi. « Je n'ai pas osé l'envoyer à Minuit. » Elle l'expédie à trois adresses moins intimidantes que le 7, rue Bernard-Palissy. « J'ai reçu trois refus, trois lettres types. Puis je me suis demandé : ''Où ai-je envie d'être éditée ?'' Ca peut paraître bête, mais ça a été un déclic, ça m'a permis de trouver une forme qui me ressemble et qui ressemble à ce que j'aime lire. » Ce qu'elle aime lire : Toussaint, Gailly, tous deux chez Minuit. Et Echenoz, surtout : « En 1999, j'ai lu '' Nous trois ''. Un choc. Pour la première fois, j'ai eu l'impression qu'on me parlait, que ça se passait dans mon monde. » Elle retourne à l'écriture, armée d'une histoire qui l'obsède depuis des années : « Une femme tue un homme. Malgré les indices qu'elle laisse derrière elle, personne ne comprend que c'est elle. »
Cette histoire porte désormais un nom : « Viviane Elisabeth Fauville ». Le nom d'une quadragénaire bourgeoise en déroute, qui un soir enfonce un couteau de cuisine dans l'estomac de son psychanalyste. Ce manuscrit, Julia Deck ne l'envoie qu'à Minuit, qui n'a pourtant pas publié de premier roman depuis des lustres. On est en mai 2011. Trois jours après, elle reçoit une lettre d'Irène Lindon. Elle est invitée à se rendre rue Bernard-Palissy, dans ce petit immeuble cabossé et anonyme où, sous l'égide de Jérôme Lindon, le père, mort en 2001, se sont croisés Duras, Robbe-Grillet, Butor, Sarraute, Deleuze ou Bourdieu. Elle découvre l'escalier étroit qui accueille le visiteur et qui mène au bureau étrangement spacieux d'Irène Lindon. Observée par une bibliothèque qui résume à elle seule une certaine idée de l'excellence littéraire, elle s'entend dire : « Je vous préviens : je vais vous dire des choses désagréables. » « Elle était bienveillante, mais impitoyable, se souvient la jeune romancière. Je suis sortie sonnée. »  Irène Lindon : « J'ai été impressionnée par son écriture. Le texte en revanche n'était pas complètement abouti. On peut toujours publier un roman tel qu'on le reçoit, mais c'est dommage : on gagne toujours à rendre une écriture plus fine et plus concise. » Au fil des mois, le manuscrit mincit, les passages trop didactiques, sur la psychanalyse notamment, disparaissent. « Viviane Elisabeth Fauville » passe par cette fameuse centrifugeuse beckettienne qui évacue le gras, jusqu'à l'obtention de cette matière dense et sèche qui, seule peut-être, mérite l'appellation de littérature.
Julia Deck fait maintenant partie de la famille la plus fermée et la plus prestigieuse des lettres françaises. Les libraires que notre camarade Anne Crignon a interrogés cet été ont unanimement célébré cette nouvelle venue de « l'école Minuit». Dans le paysage littéraire actuel, son roman détonne : il ne fait pas 800 pages et il n'est pas consacré à une célébrité. Il est une pure fiction, ce qui ne veut pas dire que l'exercice est vain. Bien au contraire : Viviane Elisabeth Fauville est le nom qu'il faudra donner à la dépression cauchemardesque qui saisit la bourgeoisie depuis que ses certitudes s'écroulent, alors que tout l'intérêt d'être bourgeois est justement de pouvoir compter sur des certitudes solides. Cette héroïne du siècle naissant est déjà séparée de son mari quand on fait sa connaissance. Le mariage n'est plus qu'une vieille coutume qu'on perpétue sans y croire, comme ces remèdes de grand-mère qu'on suit à la lettre malgré leur inefficacité. Viviane Elisabeth Fauville est responsable de la communication des Bétons Birons, entreprise où, comme dans toutes les entreprises, l'entrée dans la quarantaine fait de vous un personnage vieillissant qui a cessé d'être désirable.
Quand le travail et le mariage perdent leur sens, que reste-t-il à la bourgeoise ? Il reste les enfants, l'ordre social et la psychanalyse, dernière religion en vigueur : trois valeurs qui volent en éclats lorsque Viviane Elisabeth Fauville regarde son psy expirer sur le sol ensanglanté de son cabinet du 5e arrondissement. Suit une errance dostoïevskienne dans le centre parisien : entre deux dépositions hésitantes à des flics de plus en plus suspicieux, la meurtrière occupe ses journées à suivre les proches de son analyste, se cachant sous des portes cochères, créature invisible faite pour se camoufler dans la grisaille haussmannienne de la capitale, pendant que son bébé dort, assommé par les tranquillisants que son psy lui prescrivait. Le lacanisme, le couple, l'argent : Julia Deck prend tous les éléments du mélodrame parisien et les dynamite avec une minutie presque comique. Seule Viviane Elisabeth Fauville reste debout dans ce champ de ruines, perdue dans un brouillard médicamenteux mais protégée par sa folie. « J'ai lu pas mal de manuels de psychopathologie, explique l'auteur. Je voulais que sa démence soit rigoureuse. »  On la félicite : elle a réussi à éviter que son livre pue la documentation. Elle poursuit : « Mais ces manuels étaient ennuyeux. Alors j'ai lu Beckett. Personne ne parle mieux de la folie que lui : il se place à l'intérieur du chaos, il lui rend une cohérence. » Beckett, une autre gloire de Minuit. Décidément, Julia Deck fait de la littérature maison.

Jean Birnbaum, Le Monde, vendredi 7 septembre 2012

Touché au mort

Le 1er septembre, une psychothérapeute est morte après qu'un de ses patients, un schizophrène de 28 ans, l'eut étranglée à son cabinet. Cinq jours plus tard, c’est-à-dire aujourd’hui, une jeune femme, Julia Deck, publie un premier roman qui relate la mise à mort d’un psychanalyste par une de ses malades. La coïncidence apparaît d’autant plus sidérante que ce type de passage à l’acte est rare. Mais le fait divers comme le roman viennent rappeler que les médecins de l’âme se tiennent sur une ligne de front qui les expose à la folie, ordinaire ou dangereuse. Ils s’y trouvent livrés à des feux croisés, désir et haine, séduction et destruction.
Le tour de force de Julia Deck consiste à installer son lecteur dans la tête de la meurtrière, dont le nom est aussi le titre du livre, Viviane Elisabeth Fauville (Minuit, 160 p., 13,50 €). D’emblée, nous sommes captifs de ses failles, nous entendons les voix qui lui disent des choses banales, mais saturées de paranoïa : « Si l’on avait un tant soit peu cherché à soulager votre mal au lieu de vous y plonger, vous n’en seriez peut-être pas arrivée là »… Là ? A ce point de non-retour dont le récit révèle peu à peu les coordonnées ravageuses : Viviane vient d’accoucher ; et de divorcer ; et de tuer son psy ; en pleine séance ; avec un couteau de marque ; cadeau de mariage ; offert par sa mère.
Dès lors, Julia Deck entremêle les fils de deux enquêtes à travers les rues de Paris : celle de la police sur l’entourage du médecin, et celle de la littérature sur les confins de l’humain. Son polar fêlé nous fait découvrir une mère aussi haineuse qu’indulgente, un mari en souffrance, et un bébé qui, comme tout le monde ici, ne demande qu’à s’exprimer. Ainsi la plume de Julia Deck reconstitue-t-elle cette scène sanglante, innommable, où la folie s’inscrit à même les corps. Gare à ceux qui s’aventurent à lui faire face. Ils risquent de se trouver touchés au vif, et même, selon un mot du psychanalyste J.-B. Pontalis, touchés au mort.

 




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