Christian Oster
Une femme de ménage
2003
collection de poche double n°24
224 pages
ISBN : 9782707318497
7.20 €
* Première publication aux Éditions de Minuit en 2001.
Après Constance, c’était devenu invivable, chez moi. J’ai donc engagé une femme de ménage, mais elle ne prenait pas au sérieux la poussière. Quand elle m’a demandé de l’héberger, j’ai hésité, mais je ne détestais pas l’idée d’avoir une femme à demeure. La cohabitation a créé des liens, entre nous. Puis Constance est revenue, j’ai pris peur. J’ai décidé de m’enfuir. J’ai emmené avec moi ma femme de ménage. C’est elle qui a voulu.
* Une femme de ménage, film de Claude Berri (2002), avec Jean-Pierre Bacri et Émilie Dequenne.
ISBN
PDF : 9782707331854
ePub : 9782707331847
Prix : 6.99 €
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Patrick Kéchichian (Le Monde, 12 janvier 2001)
Christian Oster en rieur ému
Sans se départir de l'humour singulier, doucement pathétique, par lequel il fait passer le langage, l'écrivain entrouvre la porte de l'émotion amoureuse
« Pour évoquer un chagrin d'amour, nombreux sont les écrivains qui prennent leur envol : le lyrisme est aussi vaste que le ciel, et les plaintifs se croient souvent poètes. Ils répugnent à visiter et à décrire le plat pays d'une réalité trop prosaïque. Alors, forcément, la chose amoureuse n'est jamais limitée à elle-même. Les images abondent, les perspectives se multiplient, l'éthéré pactise avec le grossier. Le chagrin contamine le monde, que l'on ne regarde plus de la même manière ; il modifie les sentiments, bien sûr, mais aussi les pensées, les habitudes, la psychologie, qui, toutes, inclinent alors à la catastrophe générale.
Christian Oster, lui, veut plier le lyrisme, cette donnée commune, à de plus étroites exigences. D'abord, il est romancier, c'est-à-dire bâtisseur d'histoires, avec personnages, intrigue, paysages. II a horreur du flou et du vague. Le concret, le prosaïque, au contraire, ne lui font pas peur. La vulgarité n'est pas son fort, mais pas davantage les débordements sentimentaux. Chez lui, chaque image est calculée, d'ailleurs il y en a peu. La moindre perspective est soigneusement balisée, reconnue. L'imprécision est sa bête noire ; elle est aussi celle de ses narrateurs. Avant de prendre son envol – car, l'air de rien, Oster le prend finalement, le moment venu –, il se saisit de ce thème amoureux, le tourne et le retourne, l'observe, l'étale, le dissèque.
Son instrument de travail, son poste d'observation, c'est le langage, dont il expérimente, depuis une bonne dizaine d'années, les ressources et les limites. Sa conviction est élémentaire : tout est affaire de mots, y compris la vérité ; simplement, le mot juste – celui qu'on appelle aussi le bon ou le dernier mot, ou encore le mot de la fin – jamais on ne le trouve. Ce qui n'enlève rien au désir puissant de le chercher toujours. D'où malaise et trouble divers. D'où angoisse et rire mêlés.
Incontestablement, Christian Oster est l'un des grands maîtres actuels de l'humour. Un humour qui n'est ni noir ni d'une autre couleur, mais plutôt du genre impassible et pathétique. L'arbre généalogique dont il descend avec une singulière souplesse comporte de nombreuses branches ; sur la plus proche, se tient Robert Pinget – un classique. Il y aurait d'ailleurs toute une étude à écrire sur la méthode dont use l'auteur de Loin d'Odile, sur les moyens qu'il se donne et les fins qu'il vise. Contentons-nous de souligner combien cet humour est, comme celui de Lydie Salvayre mais selon une autre modalité et dans un autre but, de A jusqu'à Z, conscience, intelligence du langage.
Il y a deux moments, deux stades intimement liés mais distincts, dans l'humour d'Oster. D'abord, celui où la situation se met en place. L'intrigue est conçue pour être tout à la fois banale, passablement hiératique et... intrigante. Ici, le narrateur – dont nous n'apprendrons qu'à la moitié du livre, et pas à n'importe quel moment de la narration, qu'il se nomme Jacques –, récemment plaqué par Constance, décide de prendre une femme de ménage : “ J'avais attendu six mois. Six mois sans ménage, six mois sans Constance. Une femme qui m'avait occupé l'esprit et le cœur, sans cesse, et qu'il me suffisait de voir ou d'évoquer pour me dire que la vie avait une forme. D'où l'inutilité de ranger, désormais, chez moi. De maintenir l'ordre. De passer l'aspirateur. ”
Le narrateur donc, dans une volonté de sursaut hors de la dépression post-sentimentale, s'attache les services de la jeune Laura. “ ... Je me sentais peu à peu rentrer dans la norme, voire dans l'élite. Pas de problèmes, une désespérance enfin de course, un métier, une femme de ménage, il ne me manquait plus que le bonheur. Mais j'avais le temps, je n'entrais que dans ma cinquantième année. ” Tout ne va pas si bien cependant. Une foule de désagréments et de questions – principalement attachées à l'usage, ou au non-usage, par Laura, d'un aspirateur, et à la coiffure de cette dernière, qui travaille bigrement son employeur – surgissent. Et si au moins l'envahissement de l'existence par les détails pouvait faire oublier ce qui, à cette existence, manquait encore...
Par ce mot, “ bonheur ”, nous entrons dans le deuxième stade du comique ostérien (il est temps d'inventer l'adjectif), celui au cours duquel il se transforme, devient, sans rien perdre de ses droits, doucement pathétique. C'est sans doute là qu'Une femme de ménage marque une sorte d'évolution dans l'œuvre de Christian Oster. Avec ce roman, l'écrivain s'aventure heureusement vers des zones et dans des paysages à la lisière desquels, jusqu'à présent, il demeurait. En fait, cette transformation a lieu dans le récit qui nous est proposé, et, à l'intérieur de ce récit, dans la conscience et le désir du narrateur.
Jacques est un modeste : “ J'étais frileux, comme homme. À part l'amour, je ne valais pas grand-chose. À part aller vers l'amour, j'entends. Je ne parle pas de succès, pitié. ” Il n'a pas la folie des grandeurs : “ Non, ce n'était pas grand-chose. (...) Un peu d'émotion sans doute. Un peu d'amour, si on veut ; on ne va pas commencer à se battre sur les mots, d'amour à donner ou à prendre, en attendant mieux, mais pas grand-chose, non. ” Un jour, au motif de ses propres déboires sentimentaux, Laura s'installe chez son employeur. Et bientôt dans son lit. Rien de frénétique. Prudence : le cœur de Jacques saigne encore. Ce qui pourrait n'être qu'une passade prend soudain tout le poids du bonheur recherché.
“ C'était désespérant parce que je ne m'étais jamais senti aussi bien et en même temps c'était comme si je coulais. Que je me laissais faire. Que je fermais les yeux. ”
Oster raconte, décrit magnifiquement ces instants : “ On s'est regardés en mangeant, Laura et moi, avec des retenues de sourires, on n'avait presque rien à se dire, à ce stade-là, juste à se sentir, elle et moi, à se tenir à bout de regard, oui, comme deux qui ne voudraient plus se perdre, maintenant qu'ils ont trouvé comment faire, pour être proches. ” Ils se perdront cependant. Et la dernière réplique du livre, longtemps préparée, résonnera comme une fatale sentence aux oreilles du héros, ce sombre quinquagénaire.
L'émotion que Christian Oster insinue au cœur même de son humour est d'autant plus poignante qu'on ne l'attend pas, qu'elle monte sans que l'on y prenne garde, pour nous surprendre en train de sourire ou de ricaner des facéties mentales du narrateur. Vue d'un certain point de vue, la loufoquerie est une chose sérieuse, surtout si l'on y met, comme Oster, un accent de gravité. Construit dans “ cet état d'urgence où tous les contraires chaotiquement s'épousent ”, le roman, lui, ne se perd nullement dans les brumes de mer et le sable de la plage qui forment son dernier paysage. La vieille rengaine des amours déçues ou impossibles et l'émotion qui accompagne le déraisonnable besoin d'être heureux ne jurent pas, ne font pas tâche dans ce récit très contemporain. Une harmonie qui rend la lecture d'Oster recommandable, aisée, neuve, heureuse en somme. “ Eh oui, rien n'est jamais complètement neuf c'est comme les mots, les choses reviennent, elles sont neuves quand même. C'est quand même toujours neuf l'amour. ” »
Jean-Baptiste Harang (Libération, 11 janvier 2001)
Oster à la plage
Jacques est en manque de Constance, il cherche « une femme de ménage », il trouve Laura. Mais peut-on prendre la poussière au sérieux et une jeune tille à demeure ?Dans son septième roman, Christian Oster poursuit son nettoyage par le vide. Il nous comble.
« Christian Oster entretient sans le moindre accroc un rapport de confiance avec ses lecteurs, il y a rarement tromperie sur la marchandise, et pour son septième roman, il ne déroge pas : Une femme de ménage raconte sans barguigner l'histoire d'une femme de ménage, c'est du solide, voyez la première phrase : “ J'avais pris une femme de ménage ”, c'est rassurant, comme effet de surprise. Les romans de Christian Oster ne cherchent pas à surprendre, mais plutôt à rassurer, et c'est ainsi qu'ils surprennent puisqu'à la fin ils laissent pantois, auteur, narrateur, lecteur, tout le monde pantois.
Reprenons : “ J'avais pris une lemme de ménage. Elle était entrée dans ma vie comme ça, parce que j'avais tiré sur une petite languette à la pharmacie. ” Voyez, ça commence, la femme de ménage, au lieu d'entrer dans l'appartement, dès la deuxième phrase elle entre dans la vie du narrateur, et non pas parce qu'il a besoin qu'on fasse son ménage, non, mais pour la seule raison qu'à la pharmacie il a tiré sur une petite languette. Encore que son ménage, ce n'était pas du luxe puisque, depuis six mois, il vivait seul, Constance partie. En plus du ménage, Constance laissait un vide : “ Un vide infiniment pénible et triste, mais un vide seulement. Pas une forme, pas quelque chose qui blesse, qui bouge et qui en bougeant blesse, comme un corps à l'intérieur du corps, et qui donnerait des coups de coudes. Plus rien qu'un vide, une plaie refermée sur du vide. ” Le vide, ce n'est pas rien.
Elle, la femme de ménage, non plus, ce n'est pas simple, il faut la recruter, lui demander des choses, “ si elle travaillait, déjà. Pour quelqu'un. Oui, me dit-elle. Elle mentait correctement, sans plus ” , et pourquoi veut-elle faire le ménage ? “ J'aime bien que ce soit propre chez les autres. ” Des trucs comme ça, on pourrait presque les prendre mal. Mais lui, non, les narrateurs de Christian Oster ne prennent jamais les choses mal, ils les prennent, c'est tout, en pleine poire, comme si c'était leur lot. Comme si c'était le nôtre. Parce que le vrai contrat de confiance entre Oster et nous, ses lecteurs, c'est qu'en ouvrant ses livres on est à peu près certains d'avoir de nos nouvelles. Ces demi-faiblesses, ces faux renoncements, cette moyenne médiocrité, ces légers contentements, contentements de peu, la peur du vide, c'est nous tout craché cette timidité de la page 31 devant une tasse de café, “ un tel malaise, indiscutablement, crée des liens ”.
Et puis ces embellies, cette jeunesse qui s'installe gentiment chez soi, qui fait mieux l'amour que le ménage, qu'elle ne fait pas si mal, dont on apprécie la petite taille, pourquoi pas, qui préfère le bruit du balai mais emporte son aspirateur aux bains de mer, le plaisir de ne pas fuir seul. Elle s'appelle Laura, elle veut bien se faire couper les cheveux, voyez, ces détails que l'on soulève un à un comme la pièce d'un puzzle dont on ignore le canevas, que l'on repose à côté d'une autre, au jugé, tous ces détails qui se regardent en chiens de faïence et ne feront jamais partie de la même mosaïque et qu'il faut tout de même accorder pour en faire des vies. On se rend à Ronce-sur-mer, chez Ralph, un ami perdu de vue qui peint des portraits de poules, de vrais portraits de vraies poules qu'il connaît personnellement, dans “ une maison petite que je n'avais vue qu'en mots, au téléphone ” (page 156), le flanc offert à de mauvais rebondissements. Et ça ne loupe pas, le livre nous laisse sur le sable, pantois. Ce n'est pas exactement ainsi que Christian Oster voit les choses, lui, il dit qu'il sait où il va, qu'il a écrit un scénario bien verrouillé, qu'il a fait des repérages, qu'il a changé le nom de Ronce-les-bains en Ronce-sur-mer par honnêteté, parce qu'il a dû inventer une plage, y mettre du sable, justement, celui qu'il a vu à Morgat et qui ressemble mieux à la poussière qu'on trouve, justement, dans les aspirateurs. Il dit qu'en écrivant il a vu cette chose étrange naître sous sa plume comme un lapin déprivoisé sortir de sa manche, un rebondissement d'auteur : “ J'écrivais au passé simple, puis, dans la deuxième partie, malgré moi, des passés composés prenaient le dessus, il y avait une lutte entre le passé simple et le passé composé, j'ai laissé faire, à la fin, c'est le passé composé qui a gagné. ” Parce que ce n'est pas le tout de raconter des histoires, il faut savoir ce que l'on fait, pendant que le lecteur se régale, rit de lui-même, croit ce qu'il voit, l'auteur, lui, se coltine les mots un à un, les prend en main, les cognent les uns contre les autres et rejette dans le sable ceux où l'on n'entend pas la mer. II a peur de se tromper, il a peur de nous tromper, c'est un art. La première fois que nous avions rencontré Christian Oster, il nous avait dit : “ On écrit contre quelque chose, on cherche à éviter plein de choses, éviter de mal écrire. Quelqu'un a un problème avec le réel, il en vient à écrire ce réel. Mais l'écrivain ne doit jamais oublier qu'il écrit un roman, il n'y a pas de réalité. ” Osier s'y tient. Oster nous tient. »
Du même auteur
- Volley-ball, 1989
- L’Aventure, 1993
- Le Pont d’Arcueil, 1994
- Paul au téléphone, 1996
- Le Pique-nique, 1997
- Loin d'Odile, 1998
- Mon grand appartement, 1999
- Une femme de ménage, 2001
- Dans le train, 2002
- Les Rendez-vous, 2003
- L'Imprévu, 2005
- Sur la dune, 2007
- Trois hommes seuls, 2008
- Dans la cathédrale, 2010
Poche « Double »
Aux Éditions de Minuit (Contributions)
Livres numériques
- Dans la cathédrale
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- L'Imprévu
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- Les Rendez-vous
- Mon grand appartement
- Paul au téléphone
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- Une femme de ménage