Romans


Tony Duvert

Un anneau d’argent à l’oreille

Couverture de Longuet


1982
160 pages
ISBN : 9782707306067
16.50 €


Tony Duvert vient d’écrire son premier roman policier. Comme il fallait s’y attendre, ce n’est pas un polar classique : l’inspecteur se nomme Julien Sorel et le commissaire Mme Rênal. Mais, comme il est d’usage en revanche, presque tous les personnages sont des suspects, et c’est un fait qu’ils constituent un joli ramassis de turpitudes. Sauf Marc, bien sûr, qui a huit ans et qui est un petit monstre d’innocence. Le rire ici a d’étranges résonances.

Michel Nuridsany (Le Figaro, 30 avril 1982)

Tony Duvert : une sombre allégresse
Un anneau d’argent à l’oreille, roman tout à fait singulier signé Tony Duvert (prix Médicis 73 pour Paysage de fantaisie) que l’on s’accorde à considérer comme l’un des meilleurs écrivains de sa génération. C’est là un roman choquant à certains égards mais il faut aller au-delà, s’engager à la découverte de Tony Duvert. C’est un écrivain de race.
 
 Le livre s’ouvre sur la mort du grand-père, le célèbre psychiatre Brisset. Et comme il s’agit à l’évidence d’un meurtre, il y a enquête. Étant donné le contexte, la clientèle du bonhomme, les grands personnages de la politique et de l’église qu’il reçoit dans son cabinet, celle-ci s’avère longue, difficile et délicate. À la fin tout de même on découvrira les coupables. Tony Duvert, qui depuis quelque temps semble s’attacher à toucher un plus large public, après Quand mourut Jonathan, après L’Île atlantique aurait-il écrit là un roman policier ? Oui si Les Gommes en est un. Non autrement. Alors disons qu’ici la trame policière ne fait qu’ajouter à la dérision d’un récit conçu comme un jeu de massacre.
Vivant à Neuilly, un enfant de huit ans, “ crevant de beauté comme une idole ”, Marc, règne sur sa famille comme une “ divinité domestique ombrageuse ”. Autour de lui s’agite, sûr de son droit et de son impunité, le petit monde de la grande bourgeoisie aussi sinistre que dans les romans de Mauriac mais mis en scène avec une causticité, une verve grinçante, une allégresse noire qui n’appartiennent qu’à Tony Duvert. Il y a dans ce roman une vigueur qui faisait aussi tout le prix du Bon sexe illustré, livre paru en 1974, que l’on peut dire “ scandaleux ” mais qui m’a frappé, à la relecture, aujourd’hui, par son entêtante exigence à la fois dure et extraordinairement tendre. Tendre pour la prime enfance pour laquelle Tony Duvert revendique autonomie et liberté, dur pour le reste de l’humanité.
C’est cette même exigence qui sous-tend le livre que voici et lui donne, au-delà du mordant du style, sa force. On sait, on sent que seuls les enfants de moins de huit ans intéressent l’auteur. Le reste n’est, dans sa quasi-totalité, qu’un magma conventionnel (et plus encore que les autres peut-être ceux qui affectent le plus grand libéralisme), généralement monstrueux de bêtise et de suffisance satisfaite, dont il faut se méfier, contre lequel on se bat, on se protège, ou dont on se moque. Et Dieu sait si l’on se moque dans ce roman souvent très drôle où tous les personnages sauf un (le petit Marc) sont ridicules, parfois même franchement grotesques. Pas toujours immédiatement odieux mais, si l’on gratte un peu le vernis, I’être se révèle vite dans son ignominie plus ou moins policée. L’ironie détachée avec laquelle Tony Duvert fait s’agiter tout ce beau monde ajoute à l’impression d’irréalité que revêt la réalité telle qu’il a choisi de nous la montrer.
En fait tout le livre baigne dans un climat d’étrangeté presque onirique comme son premier livre Récidive. Mais ici la psychologie la plus fine s’y entrecroise avec la loufoquerie la plus débridée, comme si rien n’avait vraiment d’importance, comme si la vraie vie, la réalité étaient ailleurs. Du côté du territoire de l’enfance exclusivement.
Ce livre, férocement enjoué, marque un tournant dans l’œuvre déjà importante d’un écrivain qui n’accorde presque jamais d’interview et dont on ne sait rien si ce n’est qu’il vit assez retiré, exclusivement de sa plume, c’est-à-dire plus que modestement et qu’il n’existe aucune étude sur lui même dans la revue Critique pourtant proche des Éditions de Minuit.
Espérons que ce roman, tout de même assez scandaleux, mais drôle, brillant et subtil permettra au large public qu’il vise (sans pour autant s’abaisser à le caresser dans le sens du poil) de découvrir le reste de sa production et surtout Récidive (1967) peut-être son plus beau livre, Portrait d’homme couteau (1969), Paysage de fantaisie (1973), sans oublier Le Bon sexe illustré passionnant mais à lire avec pas mal de résistance. Comme tout Duvert d’ailleurs. À lire aussi avec beaucoup d’ouverture d’esprit car voici une littérature totalement risquée et qui s’avance à découvert, sans protection, dans son agressive vulnérabilité. 

 




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