Antipréface
Non, l’aphorisme n’est pas un genre littéraire sans reproche. Ces phrases maigres ont toujours quelque chose d’un peu gros. Aussi ont-elles le sort des filles rondes, ou des garçons qui n’ont qu’un sexe épais : on y cède chez soi, on ne les avoue pas en ville.
Un recueil de petites opinions, de remarques, d’idées, est un catalogue de généralisations abusives.
Bien sûr, tout ce qu’on peut dire de général est faux : mais excitant comme une médisance. Une revanche.
Quinteux, calomniateur et rancunier : voilà qui tu es. Et tu aimes ça.
La pensée par “ pensées ” a quelque chose de bestial.
Postface
Il faudrait répudier ce moralisme : et apprécier nos comportements sans jugement de valeur, en simples stratégies animales. Une cruauté, une fraude, une fuite, un crime sont d’abord des tactiques de survie, d’expansion de plaisir : souvent elles réussissent, tandis que les vies vertueuses ou non-violentes échouent. La Nature est de droite.
Et les plus sales bêtes sont les plus riches d’avenir. On lit la conjecture selon laquelle l’homme de Neandertal homo sapiens à nos côtés il y a quatre cents siècles, aurait disparu parce que trop doux, face aux petits monstres au crâne rond que nous étions déjà et qui se sont, ici ou là, métissés avec lui. J’imagine sa tête d’âne et ses bons yeux, remplis d’un muet reproche pendant qu’on l’éventrait. Longtemps avant d’avoir domestiqué les loups, nous avons tenu ce frère en esclavage, et nous l’avons mangé.
Par quel miracle, et à quelle fin, serions-nous devenus moins féroces ? Est-ce le bilan de ce siècle d’horreur ?
Quelques peuples ont marqué une pause dans l’atrocité : tant leurs mains étaient lourdes de sang. Le temps qu’ils se décrassent, et tout recommencera.
Les valeurs “ humaines ” n’expriment que les prétentions d’un animal délirant de fausseté, qui s’est toujours surestimé immensément. Et l’on voit que, sous les noms de sagesse, d’affection, de bonté, de douceur, de solidarité, de raison, de savoir, il cache et il en idolâtre l’éternelle adversaire : obscure, tortueuse et sauvage, incontrôlable, immémoriale, absurde, à jamais criminelle, la force aveugle du vivant.
Années 80.
Patrick Grainville (Le Figaro, 4 décembre 1989)
Un écrivain au lance-flammes
« Tony Duvert s’est tu pendant huit ans. Et ce silence rassurait ses rivaux. Qu’ils tremblent ! Car il revient le rat et il sème la peste ! L’espoir des lettres des années 70 ressuscite avec un bréviaire du désespoir. J’étais resté sur L’Île Atlantique, assez gros livre, rebelle qui raconte la fugue d’un garçon sauvage. J’avoue que Duvert aujourd’hui m’épate. Le voici charcutant des aphorismes, les coupant au ciseau, à la française, et bien féroces ! Cet écrivain qui tempête contre les traditions, les lois, les conformismes se rallie in fine à la veine la plus classique, celle qui ravit les vieux messieurs, les lettrés exquis, les convives des soirées littéraires (...)
En tout cas, on remercie Duvert pour ces rictus de picador des phrases. C’est un plaisir tonique de retrouver ce bull-terrier abominable, le poil raide, hérissé de relents et inondé de bave. Lecture terrible qui vous terrasse les bons sentiments, vous étrille toutes les baudruches sur le bonheur et le Bicentenaire. Quel carnage de clichés ! Les vertus les plus œcuméniques, les valeurs les plus consensuelles Duvert les traite au lance-flammes. Écrivain méchant ! Entrez avec une armure et sur la pointe des pieds ! Et lisez-le en douce, avec une lampe électrique, pendant qu’il ne dort que d’un œil. »
Du même auteur
- Récidive, 1967
- Portrait d’homme couteau, 1969
- Le Voyageur, 1970
- Paysage de fantaisie, 1973
- Le Bon sexe illustré, 1974
- Journal d’un innocent, 1976
- Quand mourut Jonathan, 1978
- L’Enfant au masculin, 1980
- Un anneau d’argent à l’oreille, 1982
- Abécédaire malveillant, 1989