Critique 


Revue Critique

Critique n° 798 : Retours sur la Résistance


2013
96 p.
ISBN : 9782707323293
11.00 €

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La génération d’après-guerre avait été bercée d’évocations héroïques et d’invocations épiques, de La Bataille du rail à la panthéonisation de Jean Moulin. La génération suivante a été plongée dans le doute et baignée dans les eaux, parfois lustrales et souvent troubles, des révisions déchirantes. Après les Trente Glorieuses, les Trente Honteuses ?
Ce schéma trop simpliste est en train de voler en éclats. Preuve que nous sommes entrés dans une nouvelle ère de nos rapports avec la Résistance. Plusieurs livres récemment parus l’attestent. Du côté de l’histoire, le temps est venu des grandes synthèses, mais aussi d’un retour critique sur les « légendes » successives dont la Résistance a été entourée. Même richesse du côté des fictions qui ont tenté d’interroger les années noires, puisque l’actualité éditoriale nous permet de redécouvrir un texte peu connu de Pasolini et un roman « absent » d’André Malraux. Même question, autrement posée, dans la plus récente des « fictions théoriques » de Pierre Bayard.
La Résistance est de retour. Toujours aussi proche de nous et peut-être plus proche d’elle-même.


Sommaire


Présentation

Philippe ROGER : Malraux et la Résistance. Le roman qui manque à l’appel
André Malraux, « Non ». Fragments d’un roman sur la Résistance
Jean-Louis Jeannelle, Résistance du roman. Genèse de « Non » d’André Malraux

Laurent DOUZOU : Deux relectures iconoclastes de la mémoire de l’Occupation en France
Pierre Laborie, Le Chagrin et le Venin. La France sous l’Occupation, mémoire et idées reçues
François Azouvi, Le Mythe du grand silence. Auschwitz, les Français et la mémoire

Jean-François MURACCIOLE : Quand l’historien « écorne les légendes ». La Résistance selon Olivier Wieviorka
Olivier Wieviorka, Histoire de la Résistance. 1940-1945

Sabrina VALY : Saint Paul de Pasolini. D’une Occupation à l’autre
Pasolini, Saint Paul

Sophie LÉTOURNEAU : L’étoffe des héros
Pierre Bayard, Aurais-je été résistant ou bourreau ?

*

ENTRETIEN

Pierre BAYARD : « Où ceux qui disent non en trouvent-ils la force ? »
Entretien réalisé par Sara Guindani et Sophie Létourneau

*

Pierre RUSCH : L’ontologie réaliste de Georg Lukács
Georg Lukács, Prolégomènes à l’ontologie de l’être social
                        Ontologie de l’être social. Le travail. La reproduction
                        Ontologie de l’être social. L’idéologie. L’aliénation
 

Nicolas Truong, Le Monde, 17 novembre 2013  

Résister aux légendes  

L’armée des ombres n’en connaîtrait plus guère. Sur elle, les historiens semblent avoir, en effet, fait presque toute la lumière. Au point que « l’on aimerait connaître aussi bien l’histoire du règne de Louis XI » que celle de l’occupation allemande pendant la Première Guerre mondiale, assure l’historien Jean-François Muracciole dans la dernière livraison de Critique, la revue des Éditions de Minuit fondée par Georges Bataille.
Les travaux historiques prolifèrent sur cette période longtemps minée par les conflits idéologiques et la concurrence mémorielle. Comme en témoigne l’imposante et synthétique Histoire de la Résistance (1940-1945), d’Olivier Wieviorka (Perrin, 588 p., 25 €), l’étude des arcanes de cette armée des ombres est en même temps une entreprise d’historicisation, voire de démystification. « Le discours de l’historien doit en effet expliquer et non émouvoir. À la différence du romancier ou du cinéaste, il s’interdit de jouer sur le registre des sentiments », écrit l’auteur. Mais comment rester insensible au courage de ceux qui dirent « non » au moment où une large partie de la France tombait dans les bras de l’occupant ? Comment ne pas vibrer aux récits de tous ces saboteurs du maquis ? Comment ne pas s’émouvoir devant « L’étoffe des héros » ? (Sophie Létourneau et Pierre Bayard).
Certes, « la Résistance décourage le regard froid », reconnaît Olivier Wierviorka. Avec elle, le lyrisme n’est jamais loin. Mais « l’historien doit pourtant s’abstenir d’y céder », tempère-t-il aussitôt. Force est de constater que l’auteur tient à son objectivité, quitte à « déshéroïser » son objet.
Ainsi le grand public apprendra-t-il que « de Gaulle n’a ni créé ni même inspiré une Résistance née des entrailles de la société », résume Jean-François Muracciole. Ainsi le lecteur découvrira-t-il que la Résistance « ne fit pas de la lutte contre les persécutions antisémites un axe prioritaire de son action ». Que son apport militaire, indéniable, ne fut pas déterminant, au risque de faire grincer des dents : « Résistance ou pas, sans doute les Alliés auraient-ils libéré la France selon un calendrier guère différent. » L’histoire de la Résistance s’écrirait donc contre la mythologie de ces humbles combattants de l’espérance. Pour Olivier Wieviorka, l’historien devrait même « écorner les légendes ». Le temps est donc bien loin où, comme disait André Malraux dans son « Discours lors du transfert des cendres de Jean Moulin au Panthéon » (19 décembre 1964), la Résistance était devenue « un monde de limbes où la légende se mêle à l’organisation ». Mais tous les mystères sont loin d’être dissipés. En dépit d’abondantes recherches, la Résistance recèlerait encore des zones d’ombre inexplorées. Et c’est la réussite de ce numéro que de rendre compte des ouvrages qui s’attachent à les fouiller. À l’image de ce projet de roman avorté d’André Malraux, celui qu’il aurait dû écrire sur la Résistance, maintes fois rêvé et qu’il ne cessa d’abandonner. Le mérite revient à Henri Godard et Jean-Louis Jeannelle de faire surgir « l’hologramme de ce roman » dont le nom de code est mot du refus : « Non ».
Directeur de la revue, Philippe Roger rend hommage à ce travail de recomposition d’un désir romanesque qui consister à « faire du travail d’analyse une fiction élaborée », comme disait Roland Barthes. Car « la résistance est souvent irréelle », écrivait Malraux dans ses fragments oubliés. Comme quoi il est difficile de résister à la force des légendes. D’ailleurs Marc Bloch (1886-1944), la figure tutélaire de l’Histoire contemporaine que fut lui-même un résistant, ne disait-il pas que « le bon historien, lui, ressemble à l’ogre de la légende. Là où il flaire la chair humaine, il sait que là est son gibier » ?

 

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