Romans


Hélène Lenoir

La Folie Silaz


2008
224 p.
ISBN : 9782707320490
14.20 €
25 exemplaires numérotés sur Vergé des papeteries de Vizille


Odette Silaz meurt dans le foutoir de sa maison patiemment constitué avec Do, son petit-fils qu'elle a élevé et qui, à vingt ans, se révèle un incapable.

Sa mort donne libre cours aux vieilles querelles entre Carine, la mère de Do et Muriel, sa tante, au sujet de la disparition du père, Georges, il y a longtemps de cela.

Au cimetière, le jour de l'enterrement, tout le monde veut croire encore au retour de Georges Silaz.

ISBN
PDF : 9782707326195
ePub : 9782707326188

Prix : 9.99 €

En savoir plus

Emily Barnett, Les Inrockuptibles, 9 septembre 2008

Les liens complexes de la famille, autour de l'absence du père, passés au scanner d"Hélène Lenoir : grinçant et profond.

Les romans d’Hélène Lenoir, et celui-ci en particulier, reposent sur deux thèmes. Et si dans Le Magot de Momm et Le Répit, ses deux précédents livres, ils œuvraient séparément, chacun occupant le champ fictionnel d’un texte, c’est ici la première fois qu’ils cohabitent dans le même roman : densificateurs de drame et accélérateurs de fatalité, doublement.
Ainsi, dans cette nouvelle histoire de famille - réseau affectif déjà largement fouillé par l’écrivain – où il n’est question que de folie, d’inertie, de regret, de crasse et de mort, se tient aux deux extrémités de la fiction ce double paradigme : l’un, absolument féminin, à l’origine d’un territoire des femmes ensemble, dont les hommes se seraient exclus depuis longtemps. L’autre, porteur d’un conflit entre l’immobilité et le mouvement, sédentarité et nomadisme.
Pour saisir la mise en branle de ces dynamiques, un décor s’impose : La Folie Silaz s’ouvre sur l’enterrement d’Odette Silaz, auquel assiste sa fille ainsi que sa belle-fille, qui y retrouve un fils de 20 ans amorphe, élevé par sa grand-mère. Le fils de cette dernière a, lui, disparu depuis des années, engagé dans une cause humanitaire, confiant alors au bon soin maternel sœur, femme et enfant.
Comme dans Le Magot de Momm, la désertion de la seule figure masculine, qui endossait ici les fonctions de frère, amant, père et fils, force un trio de femmes à reconstruire un simulacre de famille à partir d’un vide. Plus spécifiquement ici, le manque cruel de l’absent engendre une violence morbide, évoquée sur le mode de la réminiscence par les deux ex-belles sœurs. Mais à travers leurs chassés-croisés discursifs, leurs monologues intérieurs, c’est bien le grondement des vieux conflits qui resurgit.
L’auteur réveille des voix du passé, de proche à lointain, qu’elle emmêle sans recherche d’harmonie au cours du récit, lui-même pris en charge alternativement par les deux femmes. Cette prose dégringolante d’Hélène Lenoir évoque quelque matière minérale, adjointe à une métaphore liquide, si une telle image existe. Précipitées dans leur chute qui n’arrive jamais (ponctuation rare), les phrases s’effondrent une à une, au choix fièvre ou chaos, comme propulsées par un cerveau saturé de tristesse.
Façonner un tel afflux de langage, c’est trouver une forme à la douleur ; c’est également chercher ce point d’équilibre où se concentreraient tous les paramètres d’une voix – passé et présent, intériorité et extériorité. Pour certains, la vibration de l’être passe par un effeuillage de la langue, jusqu’au dénuement extrême. Pour d’autres, la clé d’une authentique présence au monde ne se fait pas sans une profusion de mots.
Reste que composer un roman de la trempe de celui-ci exige un certain courage, tant La Folie Silaz prend en charge la folie de ses personnages, au point de se laisser contaminer par elle. Roman malade, livre en souffrance : conséquence d’une rencontre trop prolongée entre le féminin et la sédentarité, tandis qu’Ulysse, lui, vogue cheveux au vent d’une aventure à l’autre. Hélène Lenoir renvoie l’association immémoriale à sa dimension mortifère. Et décide – ouf ! – de requinquer au moins une de ses héroïnes en l’envoyant faire un tour au Mexique.

Christine Rousseau, Le Monde, 26 septembre 2008

L'absence jusqu'à la déraison

Toujours prompte à débusquer non-dits, mensonges, désirs refoulés, à traquer dans le langage le plus commun - en digne héritière de Nathalie Sarraute - les ferments du désordre, du refoulement, de l'angoisse, voire de la folie destructrice, Hélène Lenoir, depuis son premier livre, a fait de la famille son terrain d'exploration favori.
C'est là, dans ce petit laboratoire de l'âme humaine qu'elle scrute, décortique, dissèque les passions, les frustrations, les rapports de forces, de dépendance et de pouvoir entre les sexes. Là aussi que sous l'apparente banalité du quotidien, d'une histoire simple, ténue - qu'elle sait merveilleusement transcender -, la romancière plonge personnages et lecteurs dans des abîmes aussi inquiétants qu'angoissants. Là encore que le roman se fait, par la force d'une langue simple et épurée, exigeante et scrutatrice, le lieu même du mal-être, du malaise.
Surtout lorsque celui-ci prend le cadre d'un huis clos oppressant où règnent le désordre matériel et psychique (soit les deux faces d'une même pièce) mais aussi le vide, l'abandon, l'absence.
Cette absence qui obsède, vrille les nerfs, nourrit les fantasmes des protagonistes, c'est encore une fois un homme (comme souvent chez Hélène Lenoir) qui l'incarne en la personne de Georges, dont l'ombre - destructrice - ne va cesser de grandir tout au long du récit. Ex-professeur de maths reconverti en aventurier-humanitaire, peu enclin à s'attacher à une femme et à fonder une famille, il a déserté depuis longtemps le foyer familial - ou ce qui y ressemblait - pour venir en aide aux plus démunis. Laissant aux bons soins d'Odette Silaz, "une mère abominablement bonne", et de sa soeur, Muriel, son épouse Carine et son fils, Do, tout juste né. Un enfant qu'à son tour Carine abandonnera pour refaire sa vie à quatre cents kilomètres de là.
Aux obsèques d'Odette, dans la petite foule constituée des vieilles voisines venues s'abreuver d'anecdotes et de ragots, Carine et Muriel, les deux belles-soeurs, si différentes dans leur mise de vieille fille et de femme "arrivée", mais néanmoins si proches dans leur aliénation, se retrouvent. "Traversées ensemble quand elles se sont regardées, comme si elles venaient de se crier son nom, Georges, de se reconnaître dans l'aveu de leur défaite et du dépit si exactement semblable."
Autour de la fosse, fébriles, elles s'observent, s'agitent, s'évitent. Entre elles se tient nonchalant et ricanant Do, détaché de tout, comme absent aux lieux et aux événements. Après avoir laissé entendre à sa mère qu'il a entraperçu son père dans l'assistance, l'adolescent lui subtilise sa voiture ; la forçant ainsi à l'attendre avec sa tante dans le foutoir et la crasse où il vit avec sa grand-mère depuis quatre ans. "Quatre années d'enfermement et de folie", seuls contre tous.
Insidieux jusqu'alors, le malaise va s'installer pour devenir presque palpable entre les lignes sinueuses et tendues d'un huis clos oppressant de silences, de non-dits, de dialogues muets, suintant le mépris, la violence rentrée de ces deux femmes rompues. Ces deux voix qui ruminent griefs, jalousie, empêchements, souvenirs tronqués. Dos à dos, l'une figée sur sa chaise, fixant son regard au-delà de la souillure, l'autre rivée à la vaisselle ("une besogne moins répugnante que d'être l'auditoire de Carine"), chacune avance, fourrage dans les "broussailles de vies" rongées par le vide et l'abandon. Un mot pourtant suffirait à renouer le dialogue, à rétablir leur complicité d'antan... Mais lequel, quand tout est vicié par l'absence, corrodé par le manque, rongé par l'immobilisme, la décrépitude d'une folie amoureuse ?
Au second acte de cette tragédie où sourd la violence de l'aliénation, Hélène Lenoir desserre un temps l'étreinte qui maintenait personnages et lecteur dans une gangue de mal-être. Laissant Muriel filer vers le Mexique sur les traces de Georges. Et Carine se réfugier (se purifier ?) auprès de cette famille aisée et proprette qu'elle a reconstruite loin du désordre poisseux des Silaz.
Loin aussi d'une folie qui couve et court à travers les lignes de ce roman dont la puissance et la beauté étrange et dérangeante se prolongent longtemps après la lecture.

 




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