Jean-François Lyotard
La Condition postmoderne
Rapport sur le savoir
1979
Collection Critique , 128 pages
ISBN : 9782707302762
14.00 €
La crise de l’université, l’apparition d’une nouvelle classe sociale – les cadres – l’incidence des transformations technologiques sur le savoir scientifique, la traduction de la connaissance en quantité d’information, tout cela concourre à se poser la question du statut du savoir dans les sociétés post-industrielles, autrement dit à se demander si l’informatisation ne nous conduit pas à reconsidérer certains aspects de la transformation du savoir ainsi que ses conséquences politiques, sur la société et l’État.
Examinant la représentation de la société contemporaine telle qu’elle apparaît aux technocrates ou aux marxistes, l’auteur pose la question du savoir par rapport au pouvoir :“ Qui décide ce qu’est savoir et qui sait ce qu’il convient de décider. ”
À l’âge de l’informatique, la question du savoir est plus que jamais celle du gouvernement et elle ne peut se réduire à l’alternative d’un savoir, soit “ technologique ”, soit “ critique ”. La remise en question du savoir est un problème de société qui ne peut se limiter au seul savoir scientifique, à la connaissance, ou à la valeur d’un énoncé. Pour s’interroger sur le savoir scientifique, il faut le confronter au savoir narratif dont le récit est la forme par excellence, et qui a toujours existé dans les sociétés précédentes.
Mais, le savoir postmoderne n’est pas seulement l’instrument des pouvoirs : il raffine notre sensibilité aux différences et renforce notre capacité de supporter l’incommensurable. Lui-même ne trouve pas sa raison dans l’homologie des experts, mais dans la paralogie des inventeurs.
‑‑‑‑‑ Table des matières ‑‑‑‑‑
Introduction – 1. Le champ : le savoir dans les sociétés informatisées – 2. Le problème : la légitimation – 3. La méthode : les jeux de langage – 4. La nature du lien social : l’alternative moderne – 5. La nature du lien social : la perspective postmoderne – 6. Pragmatique du savoir narratif – 7. Pragmatique du savoir scientifique – 8. La fonction narrative et la légitimation du savoir – 9. Les récits de la légitimation du savoir – 10. La délégitimation – 11. La recherche et sa légitimation par la performativité – 12. L’enseignement et sa légitimation par la performativité – 13. La science postmoderne comme recherche des instabilités – 14. La légitimation par la paralogie
ISBN
PDF : 9782707338716
ePub : 9782707338709
Prix : 9.99 €
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Yves Stourdze (Le Nouvel Observateur, 14 janvier 1980)
Les masques de l’avenir
Jean-François Lyotard propose ses bons offices au savant et au politique.
« Tout à trac, quelques pièces du puzzle : Texas Instrument annonce la sortie d’un traducteur-synthétiseur de paroles qui tiendra dans le creux d’une main. La direction générale des Télécommunications promet un annuaire électronique. I.B.M. peaufine son futur satellite privé. Jean-François Lyotard analyse les jeux du langage. Bref, par plusieurs portes à la fois, nous entrons bien dans une ère post-moderne ; et Lyotard, dans le rapport qu’il vient d’écrire pour les autorités universitaires du Québec, va précisément à l’essentiel en disséquant les formes que prendront les discours dans une société informatisée. C’est qu’il ne s’embarrasse pas de scrupules. Lyotard...
Imaginons un instant que Lyotard ait raison : dans ce cas, ce ne serait pas seulement le textile ou la sidérurgie qui serait en crise mais plus profondément tous les processus de légitimation de notre société. En clair : la rupture du lien social. Lyotard précise le diagnostic : il débusque les processus par lesquels se décompose la société industrielle, il constate que les récits grandiloquents qui rendaient possible la fraternisation du savant et du politique tombent en désuétude : peu à peu, ils sont mis au rancart. Pour Lyotard, ce divorce n’est pas une mince affaire : il signifie l’arrêt de mort du jeu de solidarités subtiles qui s’étaient tissées entre les coutumes d’une communauté, les histoires que celle-ci se raconte et les critères qu’elle se fabrique pour évaluer ses propres performances.
Par un adroit retournement, Lyotard montre qu’un des enjeux de l’ère industrielle fut de camoufler à tout prix cette spécificité de l’élite scientifique sous les auspices bien français des Lumières comme sous celles de l’idéalisme allemand. Bref, prosaïquement, il y a eu, des deux côtés du Rhin une O.P.A. sur la science. O.P.A. effectuée au nom du progrès. Au nom du Peuple. Plus tard au nom du prolétariat. Puis enfin au nom d’un parti. Mais, chaque fois, il s’est agi, au fond, de fusionner la spécificité du savoir scientifique avec les récits propres à une collectivité plus large.
Cette rencontre, Lyotard constate qu’elle n’est plus aujourd’hui possible : pis, qu’elle a perdu tout sens. C’est pourquoi il prononce la formule de “ délégitimation du savoir ”. Ce savoir est “ délégitimé ” parce qu’il ne tire plus sa justification que de lui-même. Il ne cherche pas ailleurs, dans le foisonnement des récits, sa défense et son prétexte. Bref, il reste dans la droite ligne de l’axiomatique moderne. Car seul compte en définitive “ le groupe de règles qu’il faut admettre pour jouer au jeu spéculatif ”.
Mais le stimulant, dans les propos de Lyotard, c’est que sa découverte d’un discours éclaté, sa description d’une science qui n’embraie plus directement sur I’ensemble des récits produits par une société ne sont pas pour lui prétexte à regrets et à nostalgie. Pourquoi ? Parce que ce serait là recommencer, sous forme de pitreries, le travail de deuil accompli déjà par la génération des Schœnberg, des Musil, des Wittgenstein. Non : aujourd’hui, le débat n’est plus entre socialisme rieur et barbarie atroce ; il est ailleurs ! Dans une prise en charge résolue de l’éparpillement des discours, dans l’acceptation lucide de la complexité. N’oublions pas qu’un risque majeur pèse sur les sociétés post-industrielles, c’est de n’être que des copies caricaturales et exacerbés des sociétés industrielles. Dans ce cas, le discours dominant serait celui de la performance, le vrai se résumerait à n’être que l’efficace.
L’heure est donc à la réflexion sur les singularités, les paradoxes, les catastrophes. La prospective devient une prévision de l’imprévisible. C’est dire que se fait sentir la nécessité de substituer à la vision d’un pouvoir unificateur et intégrateur celle d’un pouvoir qui lutte avec acharnement pour une déréglementation innovante. Mais cet “ anti-modèle ” que ne propose pas aujourd’hui le politique, mais le fonctionnement même de la science, c’est-à-dire ce système instable où “ tous les coups sont permis à condition de donner naissance à d’autres énoncés ”, cet idéal de communauté ouverte, sont-ils généralisables à la société tout entière ? Et, dans cette perspective, l’informatisation de la société constitue-t-elle un moment de cette ouverture ou, au contraire, un élément supplémentaire dans un processus de réglementation et de contrôle ?
Cette question fondamentale, Lyotard la pose, et il la pose avec insistance ; mais il y répond par des points de suspension. Peut-être, dans l’état actuel de ces travaux, laisse-t-il à l’évolution en cours dans ce pays le soin de révéler sa nature profonde. Espérons qu’à attendre trop il ne sera pas, très vite, trop tard... »