Romans


Hervé Guibert

Fou de Vincent


1989
88 pages
ISBN : 9782707312952
13.20 €


 Dans la nuit du 25 au 26 novembre, Vincent tombait d'un troisième étage en jouant au parachute avec un peignoir de bain. Il a bu un litre de téquila, fumé une herbe congolaise, sniffé de la cocaïne. Le retrouvant inanimé, ses camarades appellent les pompiers. Vincent se redressa brusquement, marcha jusqu'à sa voiture, démarra. Les pompiers le coursent, s'engouffrent dans son immeuble, montent avec lui dans l'ascenseur, pénètrent dans sa chambre, Vincent les injurie. Il dit “ Laissez-moi me reposer ”, eux : “ Andouille, tu risques de ne jamais te réveiller. ” Dans la chambre d'à côté, ses parents continuent de dormir. Vincent a foutu les pompiers dehors. Il s'est endormi comme un charme. À neuf heures moins le quart, sa mère le secoue pour l'envoyer au travail, il ne peut plus bouger d'un pouce, elle le transporte à l'hôpital. Le 27 novembre, prévenu par Pierre, je rendis visite à Vincent à Notre-Dame-du-Perpétuel-Secours. Deux jours plus tard il mourait des suites d'un éclatement de la rate. 

ISBN
PDF : 9782707338006
ePub : 9782707337993

Prix : 9.49 €

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Raymond Bellour (Magazine littéraire, 1989)

 Fou de Vincent, énonce d'emblée sa règle du jeu : fin 88, un des jeunes amants de Guibert meurt, victime de sa propre folie, entre sexe, alcool et drogue. “ Depuis six ans, il envahissait mon journal. Quelques mois après sa mort, je décidai de le retrouver dans ces notes, à l'envers ”. Que veut dire “ à l'envers ” ? Le dernier fragment, seul daté (1982), laisse croire que c'est bien son journal que nous lisons, par chutes à peine ordonnées (Guibert tient son journal depuis longtemps, avec obstination, à la fois projet d'écriture et de survie). Mais comment le croire, ou plutôt que croire, puisque aussitôt la règle du jeu énoncée, le fragment suivant nous dit : “ Qu'est-ce que c'était ? Une passion ? Un amour ? Une obsession érotique. Ou une de mes inventions ? ” Il reste ainsi à notre indécision à être à la hauteur de cette folie de Vincent que Guibert nous confie. Il faut croire possibles ces excès de tendresse et d'érotisme (en d'autres temps, on aurait dit : de perversion), qui ne deviennent tels, à vrai dire, et là est la vraie réussite, le plus improbable, qu'à cause de l'intense et troublante beauté des phrases mêmes, dans leur simplicité. Mais comment croire qu'un journal, écrit au jour le jour, ait cette extraordinaire qualité d'écriture ? 

Jean-François Josselin (Le Nouvel Observateur, 31 août 1989)

Guibert à l'Académie
Hervé Guibert n'est jamais aussi bon que quand il raconte la seule histoire qui le passionne : l'histoire de sa vie
 
 Blond, mince, joli, presque éthéré, Hervé Guibert a l'air d'un ange. Mais méfions-nous de l'eau qui dort. Et puis de toute façon, l'année dernière, Miss Beatrix Beck nous a révélé que les anges étaient des garçons et que du côté sexe, ils s'y entendaient. Bref, Hervé Guibert nous parle des garçons, du sexe, de sa vie. En deux livres parus chez deux éditeurs différents, les Éditions Gallimard et les Éditions de Minuit (c'est une habitude chère à Hervé Guibert ; l'année dernière, par exemple, un recueil de nouvelles, Mauve le vierge chez l'un et un texte superbe, Les Gangsters chez les autres (s'agit-il des aléas d'un contrat difficile et contradictoire ou du fruit des noces de MM. Gallimard et Lindon ! Mystère). En fait ces deux livres, L'Incognito (Éditions Gallimard) et Fou de Vincent (Éditions de Minuit), sont complémentaires. À la limite, on pourrait même croire que le second, bref et comme en miettes, se serait détaché du premier. Exercice proposé aux lecteurs : restituer les citations extraites du Fou de Vincent dans leur contexte, L’Incognito.
Ces deux récits sont d’autant plus complémentaires que l’inspiration d’Hervé Guibert tourne toujours autour du même thème : lui-même face, ou plutôt au cœur, de son existence cauchemardisée – ce qui est une manière aussi bonne qu'une autre de roder sa vie. Dans L'Incognito, Hervé Guibert évoque sa vie à la Villa Médicis, à Rome, où il a été admis pendant deux années. En fait il ne l'appelle pas Villa Médicis mais “ Académie espagnole ”, et il se paie même le luxe impertinent de faire allusion à la Villa pour mieux la ridiculiser sous le nom d'Académie. Comme si celle-ci était l'antimatière de celle-là, sa face cachée, sa vérité pas bonne à voir. Hervé Guibert joue avec habileté d'ailleurs de la confusion des genres, des sexes et des noms. Celui qu'il nomme est souvent l'autre et les vices sont des vertus qu'il pratique volontiers avec une sérénité orageuse. Et Dieu sait si Hervé Guibert aime à s'entourer de mines patibulaires et de mystères. Aussi bien dans l'Académie-Villa que, hors ses murs, dans Rome, en Allemagne, à Paris.
Les aimables pensionnaires de la Villa-Académie ne sont pas les sages artistes que l'on pense. Enfin du moins ceux qui retiennent l'attention d'Hervé Guibert qui court les mauvais garçons et les lieux louches, les salles de strip-tease minables qui inspirent Fellini et ces terrains vagues rescapés du néoréalisme cinématographique italien où le plus spectaculaire chef-d'œuvre reste l'assassinat sordide de Pasolini par un minable voyou. C'est que l'assassinat, le meurtre – celui même dont il imagine qu'il sera victime un jour – hantent Hervé Guibert, sado-masochiste désabusé mais gai, grisé par la violence de l'homosexualité la plus folle, un peu à la manière de Genet, à ceci près que Guibert n'a pas le charme de rosière de l'auteur de Notre-Dame-des-Fleurs mais se pose plutôt solidement, comme un jeune bourgeois chic et très intellectuel (sur le dos de son livre on nous rappelle d'ailleurs qu'il fut le scénariste de Patrice Chéreau et qu'il adapte au théâtre un de ses premiers romans, Des aveugles, pour Philippe Adrien.
Le Vincent du Fou de Vincent s'est donc échappé des pages de L'Incognito pour vivre sa vie, ou plutôt la mourir, dans un petit volume bien à lui. C'est un personnage très “ destroy ”, comme on dit aujourd'hui quand on est chébran, alcoolique, drogué, hagard, pas tellement homo mais enfin. Précisons enfin que, pour les initiés, ils découvriront dans L’Incognito, Barthes, Jean-Marie Drot, Hector Bianciotti, Frédéric Mitterrand, Michel Foucault et quelques autres. Foucault dont Hervé Guibert fut l'un des intimes, comme nous l'apprend le très beau livre de notre ami Didier Eribon – ce n'est pas du copinage, c'est de l'amitié heureuse. Et disons enfin que ces deux textes, écrits au fil de la plume, confirment Hervé Guibert comme l'un des plus subtils écrivains d'aujourd'hui. 

 




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