Romans


Jean-Philippe Toussaint

Football


2015
128 p.
ISBN : 9782707328984
12.50 €
60 exemplaires numérotés sur Vergé des papeteries de Vizille

Grand prix Sport et Littérature 2015


Jamais, comme pendant la Coupe du monde au Japon en 2002, je n’ai éprouvé une aussi parfaite concordance des temps, où le temps du football, rassurant et abstrait, s’était, pendant un mois, non pas substitué, mais glissé, fondu dans la gangue plus vaste du temps véritable. C’est peut-être là l’enjeu secret de ces lignes, essayer de transformer le football, sa matière vulgaire, grossière et périssable, en une forme immuable, liée aux saisons, à la mélancolie, au temps et à l’enfance.

ISBN
PDF : 9782707329011
ePub : 9782707329004

Prix : 8.99 €

En savoir plus

Jean Birnbaum, Le Monde, 18 septembre 2015

Tous les souvenirs de match sont des souvenirs d’enfance. Peu importe l’âge auquel on a vu telle ou telle rencontre de football : on y repense comme on replonge dans une expérience de jeunesse, qui viendrait soudain chambouler la succession des âges. Une tête piquée en demi-finale de l’Euro, un poteau rentrant à la dernière minute du Mondial… En réapparaissant, chacune de ces images fait surgir une constellation d’émotions vécues. Un lieu, une attente, des hourras.
Ces moments de vérité illuminent le joli livre que Jean-Philippe Toussaint publie sous le titreFootball (Minuit, 128 p., 12,50 €. En librairie le 24 septembre). Ni traité ni roman, ce texte entrelace le désir d’écriture et l’amour du ballon rond. Au cœur de ces deux passions, Toussaint renoue avec une même temporalité magique, un même esprit d’enfance : « Le football des adultes m’indiffère », résume-t-il. Et dans son livre chaque souvenir de match revêt la souveraine spontanéité des jeunes années. Ainsi de ces parties virtuelles jouées dans le salon de ses parents, jadis à Bruxelles : « J’ai marqué, enfant, des buts stupéfiants (dans mon for intérieur, oui, bon). » Mais ce sera toujours la même fraîcheur, bien des années plus tard, lors d’un Japon-Belgique disputé au stade de Saitama, pour la Coupe du monde 2002. Ce jour-là, noyé parmi les supporteurs nippons, l’écrivain est harponné par un spectaculaire retourné de Wilmots, qui ouvre le score. Levant les bras au ciel, sautillant sans savoir que faire ni où aller, il aperçoit un autre Belge dans les gradins : « Nous nous précipitâmes gauchement l’un vers l’autre, ignorant comment concélébrer notre but, nous contentant de nous frapper violemment les paumes l’une contre l’autre. »
Sous la plume sensible et narquoise de Jean-Philippe Toussaint, les images du football ravivent l’enthousiasme de l’enfance, sa puissance d’évocation, sa fragile lucidité. Elles jaillissent surtout pour rejoindre l’élan de la littérature, là ou celle-ci coïncide tout à coup avec un ravissement, un cri.




Baptiste Liger, L’Express, 23 septembre 2015

2 raisons de… Jouer au foot avec Jean-Philippe Toussaint

1. Il combine la beauté du geste et celle des mots. Dans ce mélange de récit et d’essai, l’auteur de La Salle de bain revient sur les différentes Coupes du monde qu’il a suivies (dans les stades, à la télé ou sur Internet), de « France 1998 » à « Brésil 2014 ».
Loin de l’évocation géopolitique (même s’il est question, à l’occasion, de chauvinisme !), le Belge Toussaint observe en esthète les maillots des équipes, les crânes des joueurs ou l’enthousiasme du public nippon.
2. Il saisit admirablement le lien entre le ballon rond et l’enfance. Il a suffit de quelques dribbles dans une cour d’école, à Bruxelles, pour que le football devienne sa madeleine. Et cette divagation proustienne – doublée d’un autoportrait – nous incite à nous demander si, au fond, l’existence ne serait pas une gigantesque séance de tirs au but…



Philippe Lançon, Libération, 19/20 septembre 2015

"Football". Jean-Philippe Toussaint à la recherche du passe-temps perdu.
Exercice de remémoration de la coupe du monde 2002 au Japon


[…] Evoquant sa vie par le football, Toussaint finit par se demander ce que signifie, aujourd’hui, créer : «C’est proposer, de temps à autre, dans un acte de résistance non pas modeste, mais mineur, un signal - un livre, une œuvre d’art - qui émettra une faible lueur vaine et gratuite dans la nuit. […] Ce que je faisais, en poursuivant, avec obstination, mon travail d’écrivain depuis trente ans, c’était simplement m’efforcer d’affirmer une voie humaine possible, un chemin, une attitude, une finesse, une ténuité, une douceur, une dignité.» Il n’est pas facile de le faire dans un stade, perdu dans la masse, parmi les cris et les lumières des projecteurs. Mais cet effort vaut justement la peine qu’il exige, car il est la vie même : la rencontre du football et des mots dans une vie de spectateur belge aussi «chauve de cœur» que«chauvin», dans une vie d’écrivain. Cette rencontre ne passe plus par le mot Zidane quand celui-ci est devenu si commun - et, bientôt, si lointain - qu’il ne signifie plus rien.
 Football est un exercice mutin - mais tenace - de remémoration et, finalement, l’expression orgueilleuse d’un art poétique : «Je fais mine d’écrire sur le football, mais j’écris, comme toujours, sur le temps qui passe.» Chemin faisant, on croise Jeff Koons au Mans, des joueurs japonais aux coupes d’une extravagante jeunesse, des supporteurs suédois qui embrassent Toussaint dans une tribune berlinoise. Tout est délicat, précis, élégant, d’un humour dérivant. Aller au match, c’est comme écrire : un cheminement et un passe-temps perdu. Toussaint finit par faire les deux sur son ordinateur, en Corse, avant l’un de ces orages qui rythment son œuvre, et qui marquent aussi bien l’explosion des phrases que l’extinction des feux.



Jérôme Garcin, Le Nouvel Observateur, 17 septembre 2015

Il trouve au trophée de la Coupe du Monde en forme de globe terrestre un air de gland émergeant d’un prépuce décalotté. 
Il juge que le football, c’est comme les huîtres, une denrée périssable qu’il convient de consommer fraîche et tout de suite. 
S’il voue un culte esthétique aux joueurs brésiliens, ce Bruxellois soutient toujours l’équipe belge, même au Japon, où il s’est rendu pour la Coupe du Monde 2002 – l’occasion de constater que, contrairement aux supporters européens, le public nippon est «doux, raffiné, sensible, intelligent et cultivé»
Celle de 2010, en Afrique du Sud, il l’a suivie depuis les 24 heures du Mans, où il admirait la BMW Art Car bariolée de Jeff Koons, et celle de 2014, au Brésil, depuis sa maison de Barcaggio, en Corse: il regardait sur son ordinateur les matchs en streaming, quand l’orage n’interrompait pas la connexion internet à l’instant fatidique des tirs au but. 
Des histoires comme celles-là, «Football» (Minuit, 12,50 euros), merveilleux petit livre du grand Jean-Philippe Toussaint, en contient des brassées. L’auteur de «la Mélancolie de Zidane» y confie en outre le secret de son goût paradoxal pour le ballon rond. 
Indifférent à sa portée sociale ou politique, le plus souvent déçu par le simplisme de sa stratégie et la «vulgarité» de sa matière première, Toussaint aime pourtant passionnément le football. Car seul ce sport permet à ce dribbleur de mots d’écrire sur le temps qui passe, mais qu’un match, repoussant l’idée de la mort, suffit à retenir. «Comme, ajoute-t-il, en usant d’une ultime métaphore, dans la proximité bénéfique et frontale d’un sexe de femme.»



Norbert Czarny, La Quinzaine littéraire, 1er-15 octobre 2015

« Carton noir de la mélancolie »

Voilà un titre de roman qui déplaira à beaucoup. Ce mot de « football » est associé à argent fou, mauvais gestes, combines, loi du plus fort, etc. Jean-Philippe Toussaint le sait. Comme il sait que les amateurs de football trouveront ce livre « trop intellectuel ». Pourtant, comme il l’écrit en préambule, « il me fallait l’écrire, je ne voulais pas rompre le fil ténu qui me relie encore au monde ».


Jean-Philippe Toussaint laisse aux sociologues, journalistes et autres spécialistes le soin de parler de ce qui entoure le football. Sa perspective est bien différente : « Je fais mine d’écrire sur le football, mais  j’écris, comme toujours, sur le temps qui passe. » Il évoque son enfance à Bruxelles, son adolescence en France, le peu de goût de son père pour le foot mais la présence tulélaire d’un grand-père, les matchs joués dans le couloir, pendant lesquels on se projette dans un héros tout-puissant, ses habitudes de supporter, dont il se moque lui-même dans ses parenthèses toujours amusantes.
Le livre, composé de six chapitres, revient sur les coupes du monde que Toussaint à suivies (ou pas), entre 1998 et 2014. Parmi ces compétitions, celle qui s’est déroulée au Japon prend un relief particulier quand on sait le lien que l’écrivain entretien avec ce pays. Une autre, en Allemagne en 2006, rappelle un autre texte de l’auteur, La Mélancolie de Zidane, dans lequel le carton reçu par le footballeur change de couleur, pour renvoyer à ce noir qui convient si bien à l’artiste : « C’est peut-être là l’enjeu secret de ces lignes, essayer de transformer le football, sa matière vulgaire, grossière et périssable, en une forme immuable, liée aux saisons, à la mélancolie, au temps et à l’enfance. »
Toussaint connaît en effet une saison de football. C’est en gros celle des coupes du monde qu’il décrit avec la méticulosité et l’humour du romancier. Supporter de la Belgique, arborant donc la casquette aux couleurs des Diables Rouges, il  vit des moments de solitude dans les stades. Il se dit chauvin, donnant à ce terme généralement péjoratif le sens de « nationaliste ironique ». Le mot renverrait à des accessoires comme la fameuse casquette ou à des colifichets plutôt qu’à des concepts ou à des valeurs.
Assister à une coupe du monde demande une parfaite organisation. Acheter des billets est déjà une épreuve. Suivre les matchs plus encore. On se divertira beaucoup à lire les mésaventures japonaises de l’auteur, ces rencontres vues sur un écran de télévision, avec un public bon enfant constitué d’étudiants, dans les amphis de Tokyo. Aller au stade sous la canicule et assister aux matchs de l’équipe nationale constituée de blondinets japonais est l’un des moments singuliers de cette épreuve taillée pou les athlètes à l’allure militaire qui portent les couleurs russes ou belges.
Mais l’essentiel, le plus fort et le plus beau, est dans la perception du temps, à la fois le temps qu’il fait et le temps qui passe. La fournaise de Kobe rappelle le soleil de la Corse ou de la Tunisie, évoquée dans Autoportrait (à l’étranger) dont ce livre est un peu le pendant. Le Japon est un ici et un ailleurs rempli d’autres temps : « Cette sensation unique, faite de temps passé, d’images éparses, de goûts et d’odeurs japonaises dispersées – la matière même, immatérielle, du souvenir -, je voudrais essayer de la restituer dans ce qu’elle a d’indéchiffrable et d’incohérent. » On retrouve là ce qui fait l’œuvre du romancier, en particulier dans la tétralogie qui l’a occupé dix ans durant et dont ce livre, écrit après une sorte de crise, est un écho.
L’histoire de Marie, amante du narrateur, parfois perdue, parfois retrouvée, s’est terminée en un moment difficile pour l’écrivain qui perdait alors son père. Finir, perdre, connaître la sensation d’un manque, ce sont quelques voies de cette mélancolie dite par Toussaint et qui fait la force et la beauté de ce petit livre.
Mais on s’en voudrait de ne pas dire, aussi, combien ce livre, comme L’Urgence et La Patience, comme La Mélancolie de Zidane (pour d’autres raisons), est tonique, bienfaisant. Outre l’analyse qu’il propose du football comme art du temps, vivant seulement dans l’instant où on le regarde (dans un stade ou à la télévision) avant de devenir légende grâce à une image ou une icône, outre la drôlerie des dernières pages consacrées à l’impossibilité de voir un match sur un écran d’ordinateur, Toussaint propose une réflexion sur l’artiste aujourd’hui. Artiste, Toussaint l’est. C’est même le mot qu’il doit écrire sur le formulaire de son visa pour entrer en Chine. L’écrivain (et donc plasticien) par d’une lecture de Survivance des lucioles, de Georges Didi-Huberman, sur ce qu’est créer aujourd’hui : « Ce que le livre de Didi-Huberman m’a fait comprendre, c’est que ce n’était pas l’obscurité du monde qui m’entourait le problème, c’était au contraire son trop-plein de clarté. Ce que je faisais, en poursuivant, avec obstination, mon travail d’écrivain depuis trente ans, c’était simplement m’efforcer d’affirmer une voie humaine possible, un chemin, une attitude, une finesse, une ténuité, une douceur, une dignité. »
Tout cela semble loin du football, soumis au trop-plein de clarté, lui, au point d’aveugler. Or, on n’a plus que jamais besoin de la « faible lueur vaine » des écrivains et des artistes. L’ombre, le silence et la solitude qu’évoque Toussaint sont les voies les plus sûres.

 




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