Vincent Almendros
Faire mouche
2018
128 pages
ISBN : 9782707344212
11.50 €
30 exemplaires numérotés sur Vergé des papeteries de Vizille
À défaut de pouvoir se détériorer, mes rapports s’étaient considérablement distendus avec ma famille. Or, cet été-là, ma cousine se mariait. J’allais donc revenir à Saint-Fourneau. Et les revoir. Tous. Enfin, ceux qui restaient.
Mais soyons honnête, le problème n’était pas là.
ISBN
PDF : 9782707347206
ePub : 9782707347190
Prix : 6.49 €
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Marine Landrot, Télérama, 3 janvier 2018
De son écriture quasi cinématographique, l’auteur d’Un été dissèque le système familial et ses fardeaux, ses mensonges, ses silences. Un roman fort.
Faire mouche procure un triomphe tout intérieur, la joie d’arriver à bon port après une traversée funambulesque, le souffle retenu. L’intensité de ce roman de Vincent Almendros, en apnée dans le mensonge et le silence, vient de cette satisfaction sous cape, inébranlable, que les secrets soient bien préservés. Gardien de son propre temple intérieur, où sont cadenassés des hontes, des chagrins, des exactions, des crimes peut-être, Laurent retourne un été à Saint-Fourneau, lieu de combustion lente de ses mauvais souvenirs d’enfance : la mort de son père, et le geste fou de sa mère, qui versa de l’eau de Javel dans son jeune gosier. Sur le siège passager de sa voiture, Laurent a posé une complice aux mobiles aussi enfouis que les siens, une certaine Claire, qui veut bien se faire passer pour une Constance, parce que la clarté n’est pas le but du voyage, alors que la persévérance et l’égalité d’humeur promettent un allègement des fardeaux. Arrivé à destination, le couple de circonstance tombe sur un reste de famille casanière en décomposition, qu’une future fête de mariage illusionne sur les vertus du rabibochage.
Vincent Almendros a l’œil pour saisir les soubresauts de la vie qui palpite ou qui s’éteint. Sans doute est-ce pour cela qu’il a dédié ce roman à son homonyme (paraît-il sans lien de parenté) Néstor Almendros, le grand chef opérateur de François Truffaut, Eric Rohmer ou Terrence Malick. Comme dans son précédent roman, Un été (1,) Vincent Almendros déploie une écriture très visuelle, aux aguets. Sensible aux lieux, qui étouffent et exposent, absorbent et révèlent, il fait avant tout parler les corps. Corps d’ancêtres malades, corps épaissis par l’âge adulte, corps s’ébrouant dans un lac de vase. Corps d’un bœuf abattu, dont la langue est cuisinée dans une sauce trop lourde pour la saison chaude, corps d’un chien mort oublié dans la forêt, corps des mouches mortes gisant dans la poussière ou sur les rubans adhésifs pendus au plafond.
Alors, faire mouche prend un tout autre sens : crever dans une chambre déserte, ou les pattes engluées dans un système qui veut votre mort. Ancré dans un présent méticuleusement verrouillé par le passé, Vincent Almendros signe un roman fort, sur l’ambiguïté de la peur qui donne des ailes et coupe les jambes.
Sylvie Tanette, Les Inrockuptibles, 10 janvier 2018
L’Horreur est dans le pré
Le narrateur retourne dans sa famille, des villageois qui cachent bien des secrets. D’un style taillé au cordeau, Vincent Almendros sonde un passé trouble.
Des écritures s’imposent parfois sans qu’on y prenne garde. En trois romans, Vincent Almendros, né en 1978, a mis au point un style singulier, des textes millimétrés où le malaise s’installe dès les premières phrases. Comme dans Ma chère Lise (2011) et Un été (2015), le narrateur de Faire mouche se retrouve dans une situation a priori des plus banales – le retour dans sa famille – qui va, on le devine, nous réserver quelques (terrifiantes) surprises.
« J’avais été, jusque-là, un homme sans histoire. » Il revient sur les lieux de son enfance, cet homme, dans un petit village au nom curieux, Saint-Fourneau, avec une jeune femme qu’il présente comme sa jeune épouse enceinte, Constance. Sauf que de toute évidence elle s’appelle Claire.
Tous deux arrivent pour le mariage d’une cousine. Derrière des apparences un brin conventionnelles, chaque étape de ce retour suggère un nombre incalculable de non-dits, de secrets non élucidés et d’épisodes noirs qui ne seront jamais tout à fait dévoilés. « Claire me lança un regard qui, déjà, semblait demander de l’aide. Elle ne savait pas comment réagir. Moi-même, chaque fois que j’étais devant ma mère, je ressentais un mélange d’affaiblissement et de crispation. » Dans ce huis clos angoissant, le passé dresse des murailles entre les protagonistes, et Almendros nous laisse deviner les souvenirs terribles et les rancœurs tenaces qui les obsèdent, construisant avec minutie un roman qui tourne au thriller.
Qu’est-ce que le narrateur a vécu dans ce quart-monde rural d’où il s’est enfui ? Que se déroule-t-il encore aujourd’hui dans le silence lourd des fermes isolées ? Quel drame va être provoqué par le retour d’un ancien habitant devenu citadin ? Alors que le lecteur est assailli par une foule de questions disparates, Almendros tisse sa toile et construit un texte où chaque petit rien compte. On découvre souvent après coup l’importance de minuscules détails semés au fil des pages.
Cet art de la précision, allié au trouble de la situation et à un humour morbide, est ce qui séduit le plus chez Vincent Almendros, mais pas seulement. Dans cet enfer familial où on mange de la langue de bœuf au déjeuner, le romancier brasse des sujets assez profonds pour l’empêcher de tomber dans un pur et vain exercice de style. Sa description d’une ruralité à l’abandon est très juste, et le passage d’un milieu social à un autre, les difficultés qu’un tel arrachement suppose, prennent ici une coloration noire et presque désespérée.
Jérôme Garcin, L'Obs, 11 janvier 2018
Almendros s’envole
Connaissez-vous Saint-Fourneau ? Non, et vous ne manquez rien. C’est, dans un paysage auvergnat et montagneux, « un village isolé, au milieu de rien ». Le narrateur, laurent Malèvre, y est né et, n’était le mariage de la cousine Lucie, il se serait bien passé d’y revenir. A côté, plus précisément dans le hameau situé à 5 kilomètres où il a grandi, dont les maisons sentent le chou et aux abords jonchés de baignoires renversées et de chaises dépaillées. Pas envie de revoir ce lieu sinistre, de renouer avec sa mère, qui perd la boule, de revoir son oncle, malade d’un cancer du poumon, de découvrir que, depuis la mort de son père garagiste, les deux vivent ensemble, bref, de remuer la boue du passé, de réveiller une enfance chagrine dans une famille pauvre. Le fils prodigue a pourtant choisi de faire le voyage et bonne figure.
Depuis la grande ville, il arrive, en Nissan, avec sa fiancée, qu’il compte bien présenter aux siens. Enfin, sa fiancée. C’est plus compliqué. La vraie se prénomme Constance, elle a disparu on ne sait où ni comment, et celle qui l’accompagne est Claire. Elle ne va pas être déçue du séjour. Ici, tout est glauque, poisseux, douteux. Même la bouffe est suspecte, surtout la langue de bœuf. Il est vrai que la rumeur attribue à la mère l’empoisonnement de son mari et qu’elle donnait à boire de l’eau de Javel à son fils, quand il était petit. Une mère au visage « hommasse et boursouflé », « carapacée dans un gilet en laine mangé aux mites », parfaitement accordée à l’oncle, dont la veste de survêtement ne peut cacher un ventre gonflé – « deux veufs qui s’étaient épaulés », pense Laurent avec un peu de dégoût. « Faire mouche » raconte sa brève et déplaisante visite aux siens, avec escapade au lac, jusqu’à l’instant où la famille mal endimanchée s’apprête à se rendre au mariage...
Deux ans après « Un été », irrespirable thriller marin, Vincent Almendros, 39 ans, signe un étouffant thriller campagnard. Exceptionnel peintre d’atmosphère et jongleur de non-dits, ce cousin germain, sous l’étoile de Minuit, de Tanguy Viel et d’Yves Ravey a décidément l’art de créer des atmosphères si lourdes et oppressantes qu’on dirait des prisons à ciel ouvert et de mener, sans coupables ni victimes apparents, sans résolutions non plus, de véritable intrigues policières. Tout cela écrit dans une langue parfaite, faussement laconique, et dont même l’apparente simplicité est piégeuse. On a compris que cet écrivain fait mouche, une fois encore, et qu’il faut sans tarder savourer, sur une famille en décomposition, son roman noir au goût acide de vin de noix et de feuilles pourrissantes. On le conseille même aux estomacs fragiles.
Jean-Claude Lebrun, L’Humanité, 25 janvier 2018
Vincent Almendros
Petit tas de secrets
Une citation de Sartre en épigraphe – « Il y a des souvenirs qu’on ne partage pas » (les Mouches) – annonce le sens profond de ce livre d’une force peu commune. Nous voici en effet plongés dans les replis obscurs d’un roman familial, au cœur d’une petite localité du centre de la France baptisée Saint-Fourneau. L’on ne saurait mieux suggérer que l’on se trouve là dans le plus ancien foyer de tous les silences, mensonges et secrets. Pour explorer cette braise toujours ardente sous la cendre du temps, il fallait une écriture à la précision de pincettes. Celle-ci, révélée par Ma chère Lise (2011) et Un été (2015), atteint un degré supplémentaire dans la minutie et l’acuité.
Après avoir quitté l’A75 dans la touffeur d’une nuit d’août, le narrateur, dont on ne connaîtra l’identité complète qu’à la toute fin du récit, et sa compagne Claire arrivent au village et s’installent dans la maison de famille depuis longtemps restée vide. Ils doivent assister au mariage d’une cousine. De celui qui raconte, on saura d’abord seulement qu’il porte le nom patronymique de Malèvre. Peut-être se souvient-on qu’à la fin des années 1990, une infirmière homonyme avait défrayé la chronique judiciaire, en faisant passer de vie à trépas plusieurs malades incurables dans le secret de chambres d’hôpital ? Une piste à venir s’entrouvre. Mais la vraie première révélation a lieu dès le lendemain de leur arrivée, lorsque le narrateur présente celle qui l’accompagne comme Constance, l’épouse que n’a jamais rencontrée sa famille. D’autres sujets d’interrogation bientôt surgiront. Pourquoi sa mère, qui, à la mort du père, avait fait boire au petit garçon de l’eau de Javel, vit-elle maintenant avec son beau-frère Roland ? Pourquoi avait-elle donné au fruit de ses entrailles le prénom de Laurent, ainsi qu’il nous l’apprend dans les dernières pages ? Un Roland inversé. Un passé trouble lentement sort des limbes, sans compter cette Claire qu’il fait donc passer pour Constance. En fait de clarté, c’est une obscurité épaisse qui étend son voile. Un thriller prenant en diable ainsi se construit autour de la famille, de la somme de ses errements et des souvenirs qu’on ne partage pas. Des mouches mortes un peu partout dans la maison, un cadavre de chien en forêt, un bœuf à l’abattoir : tout prépare à une saisissante révélation finale. Vincent Almendros échafaude ici, sur l’antique petit tas de secrets, un roman chargé de sens, d’un symbolisme raffiné.
Bernard Pivot, Le Journal du dimanche, 4 févier 2018
Vincent Almendros
Fine mouche
Il y a deux sortes de romans. Ceux qui, dès les premières pages, mettent en contact le lecteur avec les principaux personnages et qui ne tardent guère à lui révéler l’existence d’un conflit, d’un mystère, d’un crime, d’une fatalité, d’un amour impossible ou d’une haine qui défie le temps. En gros, il s’agit là du roman balzacien ou à la Simenon. L’autre branche romanesque, qu’on qualifiera de proustienne ou de modianesque, introduit lentement le lecteur dans un monde codé où il ne lui est pas dit ce vers quoi il se dirige et où de nouveaux personnages, ainsi que des faits et détails de toute nature, ajoutent à son plaisir de partager peu à peu les petits secrets d’une société, d’un village ou d’une famille.
Faire mouche, de Vincent Almendros, relève de cette seconde conception du roman. On avance prudemment en se demandant qui sont ces hommes et ces femmes un peu bizarres, quels sentiments les animent, que cachent-ils de leur passé, quels sont leur intentions et leurs projets. Le romancier est diabolique dans sa manière d’entretenir le mystère, ajoutant de temps en temps une ou deux pièces au puzzle qu’il construit sous nos eux. Il joue avec les nerfs du lecteur, il pique sans cesse sa curiosité, il le fait lanterner en endêver, et, ma foi, c’est excitant et plutôt agréable.
Laurent Malèvre revient dans le village isolé où il est né, Saint-Fourneau. Il est accompagné d’une jeune femme, Claire.
A peine ont-ils pris possession d’une maison vieillotte, mal entretenue, qu’on frappe à la porte. « Mon oncle ressemblait à un vieil entraîneur de club de foot à la retraite. » Un cancer ne lui laisse plus que six mois à vivre. C’est pour lui que Laurent est revenu. Et pas pour sa mère, veuve, qui vit avec l’oncle. Pas pour sa cousine non plus qui va se marier. « Mon oncle se leva péniblement de sa chaise. Je lui désignai Claire de la main. Je te présente Constance, dis-je. »
Qui est cette Constance, dont Claire, enceinte, a accepté d’usurper l’identité ? Pourquoi Laurent paraît-il plus obsédé par le souvenir de Constance qu’intéressé par la présence de Claire ? Pourquoi un certain Luc l’appelle-t-il pour avoir des nouvelles de Constance ? Dans quelles circonstances la réputation d’empoisonneuse de la mère refait-elle surface ? La perfide et méchante cousine de son enfance est-elle restée la même ? Chemin faisant, les questions s’ajoutent aux questions. Elles n’obtiendront pas toutes des réponses. Des lecteurs s’irritent parfois contre les romanciers qui n’apportent pas toutes les lumières attendues. Mais dans la vie, la vraie vie, obtenons-nous toujours des réponses aux questions de tous ordres que nous nous posons ? Agatha Christie et Hercule Poirot ont donné de mauvaises habitudes aux lecteurs et aux téléspectateurs.
Mon goût me porte souvent aujourd’hui vers les romans qui font de l’ambiguïté une vertu littéraire. C’est pourquoi j’aime tant Modiano. Vincent Almendros excelle aussi dans les incertitudes, les hasards, les sous-entendus, les rumeurs, les soupçons, les non-dits, les arrière-pensées, les demi-aveux, le flou des conversations et des comportements. Cette impression vaporeuse est d’autant mieux communiquée et ressentie que Saint-Fourneau est resté un village à l’ancienne, paumé et immuable et que, par contraste, Vincent Almendros est d’une impitoyable précision dans la description des lieux, en particulier du bric-à-brac d’une cave où Laurent a découvert une bouteille de vin de noix. Il n’y a que l’urne qui contient les cendres de la tante qui a disparu. Là, nous avons la réponse : c’est la redoutable cousine qui l’a récupérée. On le voit, le romancier fait des efforts. Son humour est aussi en demi-teinte.
Quant à l’écriture, elle est d’une incroyable économie. Chaque mot compte. Les dialogues sont au cordeau. Il y a des blancs dans les conversations qui ne sont jamais bien longues. Exemple de ce laconisme de l’écrivain et de ses personnages : « Elle cherche une poubelle pour jeter son coton. Là, dis-je. » (N’entend-on pas la tige ?) Tout autre romancier aurait écrit qu’il lui désigna une corbeille en osier ou une poubelle en métal qui s’ouvre en appuyant le pied sur une pédale. Vincent Almendros se contente de « là ». Tout autre romancier aurait raconté la même histoire en 250 pages. Vincent Almendros n’a besoin que de la moitié. Elle n’en est que plus troublante.
Emilie Grangeray, Le Monde, vendredi 30 mars 2017
Maître en non-dits
L’écrivain, professeur de français et admirateur de Toussaint ou de Modiano, recherche cette économie de moyens qui rend le lecteur actif. Son troisième roman est à cet égard éloquent
Lire Vincent Almendros, c’est devoir prêter attention à tout. A chaque mot et à sa possible polysémie, tout autant qu’à sa place même dans la phrase et sur la page. Rien d’autre que le style n’intéresse cet écrivain qui travaille toujours un dictionnaire à portée de main, cramponné à son Robert comme à sa cigarette électronique. Toutes les phrases de son troisième roman, Faire mouche, attestent du soin « maniaque » que ce professeur de français, né en 1978 à Avignon, porte au langage. Pour le reste, c’est par l’entremise de Jean-Philippe Toussaint, qu’il admire et auquel il écrivit, qu’il réussit à faire publier son premier roman, Ma chère Lise, en 2011, aux éditions de Minuit.
Dans celui-ci – une histoire d’amour entre un professeur et son élève –, tout ce qui fait l’essence des livres de Vincent Almendros est déjà présent. Chez lui, les narrateurs ont une peur panique de mourir (et un talent certain pour ne pas se reconnaître, parfois, dans les miroirs). Les mères sont absentes ou peu aimables (euphémisme) ; les pères, taiseux ou disparus (voire biologiquement douteux). Il y a des animaux vivants ou morts (voire cuisinés). Des odeurs : de lait, de miel et de jeunes filles en fleurs, mais aussi de boue, de vase et de pourriture. Et une palanquée de Pierre et autres Jean, clin d’œil à Maupassant.
En revanche, on n’y trouve guère d’histoire. Ou plutôt, comme il s’amuse à le résumer en quatrième de couverture de Faire mouche (où il est question d’un homme, Laurent, revenant dans son village natal pour assister à un mariage avec son amie Constance, à moins que ce ne soit Claire) : « Le problème n’[est] pas là. » Le problème, pour Vincent Almendros, passé maître en non-dits, qui compose d’admirables dialogues de sourds (de préférence sans tirets, pour, dit-il au « Monde des livres », « potentiellement créer une richesse de sens, possiblement les multiplier en faisant se rencontrer les mots »), est d’écrire le plus justement possible. Amoureux de poésie, des stylistes, de La Fontaine et de Maupassant, il a découvert, réjoui, le Nouveau Roman puis tous les « écrivains Minuit » - Jean Echenoz, Tanguy Viel, les deux Christian (Oster et Gailly)… - et il avoue que ce qui lui a toujours plu, « ce n’est pas forcément de faire croire à l’histoire ». C’est pour cette raison qu’il aime Patrick Modiano : « J’aime les errances, les incertitudes, les livres qui ne sont pas explicatifs, où le lecteur a une part active. »
Au commencement, donc, était le verbe. S’il n’entame pas l’écriture de ses livres par l’incipit (« J’écris toujours le début à la fin », dit-il), elle est motivée par un mot. Une envie de mots. La langue seule comme moteur de la fiction. Et un paquet de contraintes qu’il s’amuse à s’imposer. Pour Ma chère Lise, il s’agissait de changer de lieu à chaque chapitre. Pour Un été (Minuit, 2015), au contraire, de se confronter au huis clos (la cabine d’un bateau). Pour Faire mouche, Vincent Almendros dit avoir eu envie de verdure. Quand on lui fait remarquer combien elle est moisie, sa verdure – dans la France rurale et moribonde qu’il décrit avec un sens du détail peu commun, les feuilles sont « pourrissantes », ça sent la « charogne » et les champignons sont « ventrus et gonflés comme des fœtus dans du formol » -, comme quand on lui avoue avoir eu, littéralement, la nausée à lire le passage où est cuisinée une langue de bœuf, Vincent Almendros est ravi. Car rien n’est plus important pour lui que d’essayer de donner à (res)sentir et à voir. « J’aime bien l’idée qu’entrer dans un roman, c’est arriver dans un espace (qu’il ne faut pas décrire), avec l’intuition d’y trouver quelque chose. J’ai besoin de beaucoup visualiser, et l’environnement va me permettre de me déplacer, moi en tant qu’auteur, pour faire avancer l’histoire. »
Croyez-le ou non, malgré son peu d’intérêt pour l’intrigue, Vincent Almendros signe de véritables « page turners ». A force de tourner sept fois sa langue dans sa bouche avant d’écrire, de multiplier les ellipses dans lesquelles le lecteur s’engouffre avec plaisir, il parvient à générer une formidable tension : « Dans ce qu’on dit, il y a toujours quelque chose qui se cache. Pour le lecteur, ça peut créer beaucoup de “narratif” ». Dans Faire mouche, il sature l’atmosphère de sous-entendus, jusqu’à la rendre irrespirable, avec une remarquable économie de moyens. Et c’est ainsi que, s’efforçant de rester logique tout en multipliant les clins d’œil, quiproquos et jeux de typographie, Vincent Almendros écrit de courts mais grands romans. De ceux qui peuvent tout accueillir : la réflexion, la poésie et surtout, peut-être, le doute.