Romans


Patrick Deville

Cordon-bleu


1987
128 pages
ISBN : 9782707311207
7.60 €


Balbus a atteint l’âge de la retraite et Cordon-bleu retrace sa dernière mission, dans une grande ville de province. Une organisation clandestine internationale (que dirige un certain Dieu, mais il s’agit d’un sobriquet) lui ordonne de feindre la maladie devant un jeune médecin au grand cœur. Balbus obéit – comme il a toujours obéi. (Balbus est obsédé par la soumission et la hiérarchie). Son second, Varadarayan Desikan, lui obéit ; c’est l’ordre des choses et Balbus aime l’ordre des choses.
Pourquoi l’organisation s’intéresse-t-elle à ce jeune Docteur Choblet ? Varadarayan ira-t-il, par conscience professionnelle, jusqu’à séduire Madame Jeannet, la voisine de palier ? Quel est le rôle du cruciverbiste rencontré dans les jardins du château ?
Cordon-bleu se joue du roman à suspens comme les frères Marx, jadis, se jouaient de Casablanca. On peut lire Cordon-bleu en noir et blanc, au rythme saccadé d’un film burlesque. On peut aussi lire Cordon-bleu en couleurs. (Balbus est obsédé par les couleurs).

Elisabeth Juvin (La Tribune, 9 avril 1987)

 “ L’écriture, c’est une activité minutieuse et gratuite. Un peu comme la cuisine qui demande le maximum de temps et qui est si vite avalée. C’est un travail énorme et gratuit. L’écriture c’est ça, à moins qu’on ait quelque chose à dire. Si mon projet avait été de raconter une histoire palpitante, ce serait raté. C’est très compliqué. J’aurais pu faire abstraction de l’histoire mais elle est indispensable au roman. Pourtant attacher trop d’importance à l’histoire fait obstacle au livre... Cordon-bleu, ce sont surtout des personnages faux et non crédibles. C’est la recherche du point d’équilibre entre le minimum de crédibilité et la nécessaire cohérence. ”
L’histoire : celle de Balbus, membre d’une organisation clandestine internationale.
Son obsession : maintenir l’ordre et la hiérarchie.
Mais Cordon-bleu c’est aussi une balade à travers une ville-souvenir des bords de Loire. Sous la plume de Patrick Deville on se laisse prendre au charme tranquille des déambulations de Balbus. Cours St-Pierre, avenue du Général Buat, rue Noire… Ies Nantais reconnaîtront leur ville. Et puis un bistrot, un square Murat, qui n’existent que dans son imagination. Sans transition, on passe d’un lieu à un autre, d’un personnage à un autre. Objets et situations s’imposent par leur présence. L’histoire s’efface au profit d’une explosion de détails et de couleurs. “ Partout les couleurs étaient pâles et les lignes brisées, reposantes. J’attendais mon tour en suçant des boules de gomme à la résine de pin. À côté de moi se balançaient des plantes artificielles dans des bacs de plastique blanc au sol de gravier. Entre les lattes d’aluminium du faux plafond, un moteur pulsait un air rafraîchi. Assise devant une caisse un peu surélevée, une jeune femme aux seins hypertrophiés concrétisait le centre géographique de la pharmacie. ”
Cordon-bleu c’est surtout le plaisir des mots, de leur sonorité, le plaisir de la rigueur et de la précision.
“ Ainsi nous-mêmes assis sur ce banc, qui subissons I’accélération du périhélie ou le freinage de l’aphélie. L’homme en veste lie-de-vin faisait des mots croisés. Il avait imperceptiblement tremblé au mot aphélie. ”
Éclairage, regard sur un scénario. 

Jean-Philippe Toussaint (Critique, mai 1987)

Maître queux

 Une expression que j’aime assez en termes de cuisine, c’est faire revenir. Vous prenez une phrase, vous l’épluchez, la dépouillez, et vous la faites revenir. Il faut les faire revenir, les phrases, sur le métier, c’est le secret, pour qu’elles s’imposent chacune comme un bloc, simple et compact, fait de segments encastrés qui se traitent séparément, ou que, semblant prendre diverses directions, un ultime relatif vienne ligoter ses membres inférieurs et que la phrase entière, dans un claquement de queue de homard, se referme sur elle-même, comme un clapet qui claque : je me servis un verre de Tokay, grappillai les turrons (p. 90). Et toque.
C’est Flaubert, à mon sens, qui fut le premier écrivain qui écrivait des phrases à chaque phrase, et ce n’est pas un hasard si Patrick Deville cite Flaubert en exergue, dans une phrase à rebours, qui résume l’action de Cordon-bleu : “ J’ai vomi tout mon dîner ”. L’histoire de Cordon-bleu est celle de Balbus, vieil agent de renseignement las et blasé, raffiné et mesquin, quasi aristocrate donc, qui, assisté de Varadaryan, son second (écoutez ça, Balbus, ça vaut le jus, p. 48), personnage “ si long et si peu accueillant ” qui évolue en chaussettes sur des parquets glissants (il expliqua sa glissade avec précision et force détails, suivant un raisonnement plausible, p. 54), entame pour une organisation secrète la dernière mission de sa carrière qu`il mènera avec assiduité, feignant une paralysie progressive devant le jeune médecin qu’il s’agit de compromettre, et la feignant si bien, cette paralysie, qu’elle finit par le gagner peu à peu, jusqu’à ce que, ne feignant plus rien, il finisse sa vie impotent et exclu, seul parmi les siens, à donner de derniers ordres dérisoires à ses gendres – qui “ obéiront ”. Ainsi, dans le livre, le vomissement qu’évoque l’épigraphe est-il à la fois celui, brutal, qui, mettant fin à la mission Cordon-bleu, coûtera la vie au jeune docteur Choblet, mais aussi, tout au fil des pages, avec doigté et en y mettant les formes, le vomissement légèrement amer, plus lent et plus subtil, de la vie du narrateur, de sa carrière qu’il nous renvoie. 

 




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