Romans


Bernard-Marie Koltès

Une part de ma vie

Entretiens 1983-1989


1999
160 pages
ISBN : 9782707316684
12.50 €
Épuisé, voir nouvelle édition.


« Voici l’ensemble des entretiens accordés par Bernard-Marie Koltès à la presse écrite. Si ce recueil d’entretiens n’est pas un livre de Koltès, il lui appartient bien, cependant, pour en avoir relu et corrigé bon nombre d’entre eux. Ils sont bien sa voix, son humeur. À ce titre, nous nous garderons ici de tout commentaire. Passé les rapports complexes qu’il entretint avec le théâtre et dont il y aurait tant à dire, il faut bien noter cependant comment, ainsi rassemblés, ces entretiens constituent une autobiographie involontaire de Koltès ; autobiographie à l’évidence lacunaire, volontairement lacunaire et intéressante comme telle. On peut rêver à une biographie de Koltès, à son intérêt s’agissant de lui et, le lisant attentivement, n’y a-t-il pas comme une incongruité ? Faulkner qu’il admirait tant écrivait : “ C’est mon ambition d’être en tant qu’individu, aboli, rayé de l’Histoire ; de laisser celle-ci intacte, sans reste, sinon des livres imprimés ; il y a trente ans j’aurais dû être assez clairvoyant pour ne pas les signer, comme certains élisabéthains. Mon but, mon épitaphe : il a fait des livres et il est mort. ” »
Alain Prique
 
De 1983 à 1989, ces entretiens ont été accordés à Jean-Pierre Han, Europe – Hervé Guibert, Le Monde – Alain Prique, Le Gai Pied, Masques et Théâtre en Europe – Michael Merschmeier, Theater Heute – Delphine Boudon, La Gazette du français – Colette Godard, Le Monde – Michèle Jacobs, Le Soir – François Malbose, Bleu-Sud – Odile Darbelley et Michel Jacquelin, Théâtre public – Gilles Costaz, Acteurs – Bertrand de Saint-Vincent, Le Quotidien de Paris – Matthias Matussek et Nikolaus von Festenberg, Der Spiegel – Michel Genson, Le Républicain lorrain – Véronique Hotte, Théâtre public – Klaus Gronau et Sabine Seifert, Die Tageszeintung – Emmanuelle Klausner et Brigitte Salino, L’Evénement du Jeudi

ISBN
PDF : 9782707330956
ePub : 9782707330949

Prix : 7.49 €

En savoir plus

Colette Godard (Le Monde, 19 avril 1989)

La mort de Bernard-Marie Koltès
Bernard-Marie Koltès, auteur dramatique, dont la plupart des pièces ont été montées par Patrice Chéreau au Théâtre des Amandiers de Nanterre, est mort le 15 avril 1989 du sida. Il avait eu quarante et un ans le 9 avril.

Richesses des solitudes
 
« C'est Patrice Chéreau qui a fait connaître Bernard-Marie Koltès, mais auparavant, en 1981, Jean-Luc Boutté monte au Petit-Odéon avec Richard Fontana, La Nuit juste avant les forêts. On découvre la musicalité rythmée d'une écriture en même temps fluide et complexe, qui laisse imaginer un physique d'aventurier. Mais jusque dans la maladie, Bernard-Marie Koltès a gardé la beauté de l'adolescence. Il venait de Metz, où il avait fait le conservatoire de musique, en passant par New-York, où il était arrivé en 1968, plongeant d'un coup dans un monde nouveau, intense, éclatant.
Entre-temps, il est passé aussi par Strasbourg, où il a vu Maria Casarès mise en scène par Jorge Lavelli dans Médée. À partir de là, il sait qu'il va écrire pour le théâtre. Il entre à l'école du TNS, dans la section des régisseurs, il aime, dit-il “ le côté matériel du spectacle, le bois, les toiles des décors ”. Il commence un roman qu'il n'a jamais sorti de son tiroir. Il voyage en Afrique. Il traduit Athol Fugard. Plus tard il traduit Le Conte d'hiver pour Luc Bondy.
La rencontre avec Patrice Chéreau est fondamentale. Ce qui rapproche les deux hommes est peut-être leur sens de la solitude. Comme un secret qu'ils partageraient et qui échappe aux paroles. Bernard-Marie Koltès habite des appartements d'aspect banal, très bien rangés, dont il s'évade brusquement, pour s'en aller loin, ou simplement voir des films de karaté dans les cinémas de Barbès.
Patrice Chéreau monte toutes les pièces de Koltès : Combat de nègres et de chiens, Quai Ouest. Une pièce dans laquelle il cherche, déclare-t-il “ un comique immédiat ”. Il se défend de décrire des milieux sordides : “ Mon milieu, va de l'hôtel particulier à l'hôtel d'immigrés... Les racines, ça n'existe pas. Il existe n'importe où des endroits. À un moment donné, on s'y trouve bien dans sa peau... Mes racines, elles sont au point de jonction entre la langue française et le blues. ”
À ce point de jonction est Solitude des champs de coton. Dans ce dialogue, ce double monologue croisé où la parole est une arme mortelle, l'écriture de Bernard-Marie Koltès atteint sa plénitude. La pièce est créée avec Laurent Malet et Isaach de Bankolé, dont Patrice Chéreau reprend le rôle – personnage inquiétant et pathétique, comme pouvait l'être Michel Simon.
En France, peu de metteurs en scène se risquent à monter, après Chéreau, les pièces de Koltès. Mais il est joué en Angleterre, en Scandinavie, en Hollande, en Allemagne. Il a écrit Le Retour au désert pour Jacqueline Maillan, et elle l'a joué avec Michel Piccoli au théâtre Renaud-Barrault. Il espérait un succès comique : “ II y a mille façons de rire ”, disait-il.
Devenu extrêmement pointilleux, Bernard-Marie Koltès était en désaccord avec la version allemande de ce Retour au désert, qu'Alexander Lang a monté au Thalia de Hambourg, et qui va être présenté aux prochaines Rencontres théâtrales de Berlin. Mais il se savait malade et voulait avant tout terminer sa dernière pièce, Roberto Zucco d'après l'histoire de cet homme, Roberto Succo (il a juste changé la première lettre du nom) qui, sans raison apparente, a tué ses parents, a été soigné, est sorti de l'hôpital, a vécu simplement, puis a recommencé à tuer, a été arrêté par hasard, s'est révolté, s'est suicidé... Bernard-Marie Koltès a peu écrit, il reste l'un des phares du théâtre contemporain. »

Patrice Chéreau (Le Monde, 19 avril 1989)

Un ami
par Patrice Chéreau
 
« C'est une dure loi, celle qui veut qu'on ne doit pas se contenter de subir la perte ignoble d'un ami, mais qu'il faut témoigner, en quelques lignes écrites hâtivement, de l'affection et de l'admiration profondes qu'on lui porte – et pourtant on le fait parce qu'on se dit qu'un mort ne doit pas être oublié, pas tout de suite. Surtout un jeune mort.
Bernard n'aimerait pas beaucoup les quelques mots que j'essaie ici de mettre bout à bout. Et c'est bien ainsi je crois. Mon travail, après tout, c'est de le mettre en scène, pas de le commenter.
Il a été une météorite qui a traversé notre ciel avec violence dans une grande solitude de pensée et avec une incroyable force, à laquelle il était parfois difficile d'avoir accès. Il m'intimidait et aujourd'hui encore plus que jamais.
Il n'était pas toujours d'accord avec mon interprétation de ses pièces. Il me le faisait rarement savoir : il avait la courtoisie de penser que je commettais plutôt moins de fautes que les autres. De mon côté, j'ai voulu rendre compte le moins mal possible et avec l'enthousiasme que procure le travail quotidien avec un écrivain, un vrai, de son monde à lui – une lame tranchante à laquelle je me suis souvent coupé.
Alors, que dire ? Au moins ceci auquel il tenait : il ne supportait pas que l'on qualifie ses pièces de sombres ou désespérées, ou sordides. Il haïssait ceux qui pouvaient le penser. Il avait raison, même si parfois c'était plus facile, dans l'instant, de les monter ainsi. Elles ne sont ni sombres ni sordides, elles ne connaissent pas le désespoir ordinaire, mais autre chose de plus dur, de plus calmement cruel pour nous, pour moi. Tchekhov aussi, après tout, était fâché qu'on ne voie que des tragédies dans ses pièces. “ J'ai écrit une comédie ”, disait-il de La Cerisaie, et il avait raison, lui aussi.
“ Il n'y a pas d'amour il n'y a pas d'amour ”, dit l'un des deux personnages de Solitude dans les champs de coton. Bernard demandait qu'on ne coupe surtout pas cette phrase qui le faisait sourire de sa façon si incroyablement lumineuse parce qu'il voulait qu'on la regarde, cette phrase, bien en face sans faire trop de sentiments. À nous de nous débrouiller, nous autres pauvres metteurs en scène sentimentaux, avec ce paradoxe, où se tient peut-être enfermée une part de sa vérité. D'ailleurs, voici le reste de la phrase : “ Non, vous ne pourrez rien atteindre qui ne le soit déjà, parce qu'un homme meurt d'abord, puis cherche sa mort et la rencontre finalement, par hasard, sur trajet hasardeux d'une lumière à une autre lumière, et il dit il donc ce n'était que cela ”.
Alors, que dire ? C'était un desperado joyeux, voilà. Moi, je ne suis pas un desperado et j'étais souvent moins joyeux que lui qui savait si bien rire.
Pardon, Bernard, pour ma maladresse. »

Brigitte Salino (Le Monde, 2 mars 2001)

Bernard-Marie Koltès porté par la foule de ses héritiers
Alors que Jacques Nichet présente au Théâtre de la Ville, à Paris, sa vision de Combat de nègre et de chiens, on ne compte pas les jeunes metteurs en scène qui, douze ans après sa mort, s'emparent des œuvres de celui qui fut révélé par Patrice Chéreau.
 
Douze ans après sa mort, Bernard-Marie Koltès, l'un des auteurs dramatiques les plus importants de la fin du XXe siècle, connaît un regain d'intérêt. Bien qu'ayant toujours été très jouée, son œuvre souffrait du “ tabou ” des “ années Chéreau ”, créateur de presque toutes ses pièces. Les jeunes metteurs en scène sont nombreux à se réapproprier les pièces de Koltès. Pour Jean-Christophe Sais, “ il invente la mythologie de notre génération ”. Au Théâtre de la Ville, à Paris, Jacques Nichet met en scène Combat de nègre et de chiens. La confrontation de trois hommes et une femme, dans une Afrique invisible, sur “ un territoire d'angoisse et de solitude ”. Koltès est un des rares auteurs de théâtre à connaître des succès d'édition. Les ventes de ses textes atteignent des scores énormes, et son œuvre comporte encore de nombreux inédits.
 
« La légende Koltès a vécu. II n'aura pas fallu longtemps. Depuis qu'est mort l'auteur dramatique français le plus important de la fin du XXe siècle (et un des tout premiers Européens), en avril 1989, la vision de son œuvre s'est sensiblement modifiée. Elle n'a plus grand-chose à avoir avec la biographie de Bernard-Marie Koltès, qui reste à écrire. Aujourd'hui encore, cette biographie est constituée de bribes – lettres, entretiens, témoignages – souvent resservis dans les nombreux colloques et revues, ainsi que dans les innombrables thèses d'université consacrées à celui qui écrivit Combat de nègre et de chiens, Retour au désert, Dans la solitude des champs de coton, La Nuit juste avant les forêts et Roberto Zucco – pour ne citer que ses pièces les plus connues.
Le Magazine littéraire vient de sortir, dans son numéro de février 2001 (n°395), un dossier Koltès, très bien fait, où l'on peut lire quelques textes inédits ainsi qu'un entretien avec Patrice Chéreau qui raconte longuement ce que furent “ les années Koltès ”.
Chéreau fut le révélateur de Bernard-Marie Koltès. Quand il a pris la direction du Théâtre de Nanterre-Amandiers, en 1983, il a inauguré son mandat en créant Combat de nègre et de chiens. Ce fut un choc. La découverte d'un auteur dramatique qui, selon Chéreau, ouvrait “ une réflexion sur le monde d'aujourd'hui (...). Jusqu'à ma rencontre avec lui, je croyais que le théâtre ne pouvait pas raconter le monde actuel. Je me trompais (...). Pour moi, c'était un auteur qui avait un immense avantage, le principal même : c'était un auteur vivant ”.
Patrice Chéreau a créé toutes les pièces de Koltès, excepté l'ultime, Roberto Zucco, et la toute première, La Nuit juste avant les forêts – monologue nocturne interprété en 1977 par le comédien Yves Ferry, qui n'a cessé depuis de jouer ce texte. Bernard-Marie Koltès est mort un mois après la dernière représentation de Retour au désert. Et Chéreau a bifurqué vers le cinéma, en raison en partie de cette mort. “ Avec Koltès, j'ai vécu une expérience unique : ce lien durable avec un auteur qui avait mon âge a changé ma vie. ”
Depuis, cette ombre a pesé lourd sur l'héritage Koltès. Certes, son œuvre a été jouée, énormément et partout à travers le monde, où il est l'auteur français le plus convoité, avec Yasmina Reza. Mais en France, les “ années Chéreau ” ont longtemps empêché les metteurs en scène les plus importants de remettre en selle les grandes pièces. C'était comme une transgression impossible, alors que Koltès aurait aimé que ce fût fait. Dans le même temps, cette situation paradoxale mêlant célébrité et tabou a écarté l'œuvre de Koltès de la Comédie-Française, sous prétexte qu'il était beaucoup joué – ce qui est évidemment idiot.
Ainsi, il aura fallu attendre dix-huit ans pour que Combat de nègre et de chiens ait droit à une grande production depuis sa création par Patrice Chéreau. Jacques Nichet a déjà mis en scène Retour au désert, en 1995. II n'a pas connu Bernard-Marie Koltès, ni vu toutes ses pièces à Nanterre. “ C'est un pur hasard, dit-il. Ça ne me gêne pas de les monter après Chéreau. Le théâtre n'est pas un concours. Je me suis intéressé à Retour au désert parce que je cherchais une comédie contemporaine. En plus, c'est une pièce autobiographique, où Koltès évoque sa jeunesse à Metz, sur fond de guerre d'Algérie. Cette part autobiographique m'a beaucoup touché. On la retrouve dans Combat de nègre et de chiens, à travers le voyage initiatique au Nigeria, en 1978. En montant ses pièces, je ne connais pas plus Koltès, mais j'ai l'impression de l'avoir approché. ”
Pour Jacques Nichet, Bernard-Marie Koltès tourne la page de Beckett, en réintroduisant une histoire, des personnages. Pour de nombreux jeunes metteurs en scène, il est tout simplement l'auteur d'un théâtre, qu'ils lisent “ comme ils liraient un roman d'aujourd'hui qui les botterait ”, dit François Koltès, le frère de Bernard-Marie, cinéaste et légataire universel de son œuvre.
François Koltès a fait le choix d'accorder les droits sans retenue. “ Je ne suis pas l'auteur, ni un agent. Qu'est-ce qui m'autoriserait à refuser les droits à qui que ce soit ? ” Combien d'autorisations sont-elles octroyées chaque année ? François Koltès n'a pas les comptes en tête : “ Un mètre cinquante de dossiers, dont vingt à trente centimètres pour la France. ” Pour la saison 2000-2001, une cinquantaine de troupes françaises ont demandé à jouer Koltès, dont 20% d'amateurs, et beaucoup de petites compagnies.
Contrairement aux années précédentes, ce n'est plus La Nuit juste avant les forêts qui vient en tête. Ce monologue sert souvent de tremplin à de jeunes comédiens. Parfois, il donne lieu à des prestations explosives, comme celle de Denis Lavant (actuellement en tournée) qui met à jour des pans du texte insoupçonnés.
Dans la solitude des champs de coton, Quai Ouest, Retour au désert et Roberto Zucco – qui a pris la première place – attirent aujourd’hui les troupes de théâtre. Certaines les utilisent pour faire passer des messages, comme le Théâtre Alibi de Bastia, qui traite Zucco à la manière d'une vendetta locale. D'autres ouvrent le regard. François Koltès privilégie les tout jeunes metteurs en scène pour cette raison : “ Ils me font découvrir Koltès. ”
Thierry de Peretti et Jean-Christophe Sais appartiennent à cette génération. Ils ont vingt-neuf et trente ans, ils n'ont pas connu “ les années Koltès ”, qui furent aussi les années sida, dont l'auteur est mort. Cela n'éclaire pas son œuvre, mais témoigne d'un temps de l'urgence et de l'obsession de la perte. Venant de Corse, Thierry de Peretti est arrivé à Paris en 1989. Il a vu Retour au désert. C'était la première fois qu'il allait au théâtre.
Depuis, l'œuvre de Koltès ne l'a pas lâché. Il l'a travaillée au cours Florent, et dans des ateliers. Il a mis en scène Retour au désert en Corse d'abord, puis à Paris, en janvier, au Théâtre de la Bastille. Il trouve Koltès “ moral, parce qu'il donne des codes de vie. C'est un auteur pour nous, maintenant. Il met à jour les placards de l'Histoire, les secrets que chaque famille porte. Quand j'ai monté Retour au désert, avec mes amis, on s'est demandé ce qu'avaient fait nos familles pendant la guerre d'Algérie qui joue un rôle important dans la pièce ”.
Jean-Christophe Sais travaille actuellement à Quai Ouest, qui sera créé en janvier 2002 au Théâtre national de Strasbourg, après avoir monté un Sallinger remarqué, en 1999. II aurait aimé connaître Bernard-Marie Koltès. “ J'ai entendu beaucoup de choses sur ses pièces, mais souvent les commentaires les enferment. L'écriture de Koltès est métaphorique. Sallinger parle moins de l’Amérique que de la famille. Quai Ouest ne parle que de la mort. Koltès est un classique qui fait rebondir les grandes questions. Il invente la mythologie de notre génération. ” Ce sera le mot de la fin. Provisoire. »

 




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