Robert Castel
Sous la direction de
Pierre Bourdieu
Un art moyen
Essai sur les usages sociaux de la photographie
Luc Boltanski
Jean-Claude Chamboredon
Préface de Philippe de Vendeuvre
1965
Collection Le sens commun , 368 pages, 14 illustrations hors-texte
ISBN : 9782707300294
24.50 €
Alors que tout semble promettre la photographie, activité sans traditions et sans exigences, à l’anarchie de l’improvisation individuelle, rien n’est plus réglé et plus conventionnel que la pratique photographique et les photographies d’amateurs. Les normes qui définissent les occasions et les objets de photographie révèlent la fonction sociale de l’acte et de l’image photographique : éterniser et solenniser les temps forts de la vie collective. Aussi la photographie, rite du culte domestique, par lequel on fabrique des images privées de la vie privée, est-elle une des rares activités qui puisse encore de nos jours enrichir la culture populaire : une esthétique peut s’y exprimer avec ses principes, ses canons et ses lois qui ne sont pas autre chose que l’expression dans le domaine esthétique d’attitudes éthiques.
‑‑‑‑‑ Table des matières ‑‑‑‑‑
Introduction
Première partie
Chapitre premier : Culte de l’unité et différences cultivées. I. La pratique photographique, indice et instrument d’intégration – II. Occasions de pratique et pratique d’occasion – III. Dévots ou déviants ? – IV. Distinctions de classe et classe distinguée
Chapitre II : La définition sociale de la photographie. I. Un art qui imite l’art – II. Le « goût barbare » – III. La hiérarchie des légitimité
Deuxième partie
Chapitre premier : Ambitions esthétiques et aspirations sociales. I. L’impatience des limites – II. Les patiences du métier
Chapitre II : La réthorique de la figure. I. Le périodique et l’instantané – II. Allusion et ellipse – III. La parade de l’objectivité
Chapitre III : Trompe-l’œil et faux semblant. I. Un genre de compromis – II. Les doubles jeux – III. Le message codé
Chapitre IV : Art mécanique, art sauvage. I. Situation unique et lieux communs – II. Une création indécise et une esthétique décisoire – III. Réminiscence esthétique et appartenance sociale
Chapitre V : Hommes de métier ou hommes de qualité. I. L’attente de la profession et les attentes des professionnels – II. Les bonnes manières
Conclusion : Images et phantasmes. I. Un symbole sur-investi – II. Phantasmes latents et images manifestes – III. Exorcisme et sublimation
Chronologie des recherches utilisées – Appendice – Index – Table des illustrations
‑‑‑‑‑ Préface ‑‑‑‑‑
On risquerait de ne voir ici qu’une concession au rite si l’on oubliait que pareille préface et pareil préfacier sont par soi attentatoires au rituel. Ils déclarent ce que l’on aurait pu s’attendre à voir taire : cet ouvrage présente le résultat de recherches entreprises à la demande de Kodak-Pathé. À ceux qui s’étonneraient, ce livre donne la seule réponse.
Cette entreprise m’est apparue d’abord comme un défi capable de contraindre chacune des deux parties à mettre en question l’image qu’elle se faisait de l’autre. Sans doute le fait que le sujet fût insolite pour le sociologue et rebattu pour le technicien constituait-il, paradoxalement, un facteur de réussite. Pensant tout connaître de l’objet qu’il livrait, le demandeur pouvait balancer entre le scepticisme narquois et la curiosité désabusée. Il était par là disposé à s’accorder au rythme inaccoutumé de la recherche et moins éloigné d’en comprendre les objectifs lointains et désintéressés. Provoqué à prendre au sérieux un sujet que toutes ses habitudes de pensée l’incitaient à tenir pour futile, dégagé des contraintes du discours qui sacrifie aux domaines consacrés, le chercheur pouvait éprouver une liberté inconnue, parce que, affranchi des normes de la productivité intellectuelle, il se trouvait du même coup libéré de l’inquiétude de la rentabilité de son travail scientifique.
Il va de soi que ce n’était pas un gage suffisant de réussite. Et si le succès n’était dû qu’à une conjoncture singulière, il n’aurait pas cette valeur exemplaire. Il ne s’agit pas de faire la part trop belle aux demandeurs d’enquêtes mais d’indiquer les obstacles qu’ils doivent surmonter et les obligations qu’ils doivent s’imposer. Ils doivent savoir se contenter des réponses, et de celles-là seules que le sociologue peut fournir. Rien n’est plus éloigné du corps de recettes qui rencontrerait les attentes du praticien que le système de propositions universelles, ou, à tout le moins inspirées par l’intention d’universalité que la science établit. L’existence même d’un tel ouvrage suppose la remise en question de nos manières traditionnelles de traiter l’information. Tant qu’on demeure enfermés dans l’alternative de la publicité et du secret, on s’interdit l’idée de publication scientifique qui protège la vérité découverte contre le danger de monopolisation par l’universalité même de sa diffusion.
Philippe de Vendeuvre