Critique 


Revue Critique

Critique n° 776-777 : Populismes


2012
192 p.
ISBN : 9782707322258
13.80 €

S'abonner

Version numérique

Un spectre hante l'Europe : celui du populisme. Et la France, en cette année d'élection présidentielle, n’est pas épargnée. Peu d’éditoriaux, guère de débat où populiste ! ne soit lâché contre l’adversaire comme jadis on criait : anathème ! À tant servir, un mot s’use vite. D’où la lassitude du public citoyen et la tentation de jeter le bébé avec l’eau du bain.
Ce numéro de Critique prend un autre parti.
Nous faisons le pari que cette notion galvaudée a encore quelque chose à nous apprendre et qu’il vaut la peine d’en rouvrir la question. Car le populisme n’est ni une donnée, ni un acquis de l’analyse politique ou historique. Et pourtant il tourne. Indéniablement, il existe. Ne serait-il qu’un mot, il a des effets sociaux et politiques ; et ce mot importe, dès lors qu’avec lui, c’est la question du peuple qui est posée.
Une seule certitude : ce sont les populismes, au pluriel, qu’il faut interroger pour élucider l’énigme populiste. Il faut donc voyager : chez les Narodniki russes, chez les Populists américains du XIXe siècle, qui ne sont pas les Tea Partiers d’aujourd’hui. Il faut écouter M. Blocher en Suisse, qui ne parle pas comme notre droite populaire , et encore moins comme M. Mélenchon.
Surtout, il faut cesser de croire que le populisme soit exclusivement politique. C’est un phénomène transversal qui divise la culture et la connaissance. Sa compréhension passe aussi par Pound et Pasolini, par le cinéma, par le roman populiste . Qu’en est-il des images du Peuple qui servent de socle au populisme ? Qu’en est-il du populisme en art, en littérature, parmi les intellectuels et les savants ? En matière d’écologie ou d’anthropologie ?
Les contributions ici réunies par Pierre Birnbaum, Laurent Jeanpierre et Philippe Roger viennent d’horizons très divers : littérature et politologie, philosophie et sociologie, linguistique et anthropologie. Elles donnent au populisme une nouvelle silhouette.

Sommaire

Présentation

QUELLES VOIX DU PEUPLE ?

Philippe ROGER : Le roman du populisme

Edward CASTLETON : Une armée d’hérétiques face à une croix d’or . Le premier populisme américain et l’hétérodoxie monétaire

Sabrina VALY : Pasolini poète. La voix du peuple

Sandra LAUGIER : Vertus ordinaires des cultures populaires

POLITIQUES DU POPULISME

Guy HERMET : Permanences et mutations du populisme

Marie-Anne PAVEAU : Populisme. Itinéraires discursifs d’un mot voyageur

Jean LECA : Justice pour les renards ! Comment le pluralisme peut nous aider à comprendre le populisme
Isaïah Berlin, Le Sens des réalités

Olivier ROY : Carte blanche à l’identité

Pierre BIRNBAUM : La parabole de M. Mélenchon
Jean-Luc Mélenchon, Qu’ils s’en aillent tous ! Vite, la révolution citoyenne

Pap NDIAYE : Du mccarthysme au Tea Party

Jérôme MEIZOZ : Kitsch nationaliste et loi du marché. Les deux mamelles du populisme suisse

Nonna MAYER : Le populisme est-il fatal ?
Dominique Reynié, Populismes : la pente fatale

LE SAVANT ET LE POPULISTE

Laurent JEANPIERRE : Les populismes du savoir

Jean-Loup AMSELLE : Au nom des peuples. Primitivismes et postcolonialismes

Stéphane FOUCART : Aux sources du populisme climatique

Nicolas Truong, Le Monde, 14 janvier 2012

Non, le populisme n'est pas une idée populaire !

Un spectre hante l'Europe. Mais ce n'est plus celui du communisme. C'est le populisme qui ronge aujourd'hui une Europe déchirée. Lorsque Marx et Engels affirmaient que le fantôme du communisme rôdait, c'était pour s'en féliciter. Lorsque Sartre expliquait qu'il était l'horizon indépassable de notre temps, il s'en réjouissait. Rares sont ceux qui célèbrent à présent le regain de cet autre mot en "isme" : le populisme.

Au contraire. Honni mais rarement défini, rejeté mais rarement explicité, le populisme est péjoratif. Il est même devenu une invective politique. "Populisme" aujourd'hui est synonyme de démagogie, de bas instincts flattés, de racisme larvé, de néofascisme masqué. C'est un mot fourre-tout, un repoussoir réel ou illusoire. C'est parce que l'inquiétude est grande et que le débat sémantique et politique fait rage que la revue Critique y consacre un remarquable dossier.

Directeur de la revue, Philippe Roger fait le pari du pluriel contre le singulier. Car le populisme n'est pas uniquement politique, mais aussi idéologique, artistique et culturel. Philippe Roger nous rappelle même que c'est le roman qui a inventé le populisme. En effet, le "populisme" est avant tout une école littéraire des années 1920, fondée par André Thérive et Léon Lemonnier, deux figures des lettres parisiennes aujourd'hui oubliées. "Il est notable qu'en français, "populisme" ait d'abord désigné une école ou, si l'on préfère, une sensibilité littéraire avant d'être transplanté dans le lexique de l'analyse ou de l'invective politique", poursuit Philippe Roger.

Sa "naissance sémantique" date de 1929, et le mot désigne un "parti pris d'écriture" et non un parti politique. L'écrivain populiste n'est pas un formaliste, car pour André Thérive et Léon Lemonnier, la manière compte moins que la matière. Ce qu'il faut conter, ce sont les histoires populaires et les misères des gens ordinaires. Le populiste est un "chroniqueur du contemporain". Il est même un "mécontemporain", pourrait-on dire à la suite d'Alain Finkielkraut parlant de Charles Péguy. Parce qu'il est davantage un slogan qu'un mouvement, le populisme littéraire a perdu la bataille des lettres. Mais ce retour nous éclaire sur la dimension culturelle d'un mot qui fait l'objet d'une "dénonciation sans définition ", écrit Philippe Roger.

Bien sûr, le numéro fait une large place aux "politiques du populisme". Du kitch nationaliste suisse (Jérôme Meizoz) à la rhétorique de Jean-Luc Mélenchon (Pierre Birnbaum), du mccarthysme au Tea Party (Pap Ndiaye), jusqu'au discours identitaire anti-islam (Olivier Roy), Critique décortique finement les publications les plus représentatives du moment sur le sujet, explore toutes les facettes des populismes et se demande si ces courants nous entraînent vers une pente aussi fatale qu'on le prédit (Nonna Mayer).

Dans un article consacré au "populisme du savoir", le sociologue Laurent Jeanpierre montre que le populisme n'est pas populaire. Car contrairement à une idée reçue, le populisme serait d'abord "une passion des intellectuels" : un produit politique inventé par "des fractions de l'élite qui parlent au nom des peuples". Du maoïsme à l'autocratisme droitier, le peuple ne cesse en effet d'être essentialisé par des porte-voix autoproclamés.

D'un côté, le populisme est rejeté par des élites qui pratiquent parfois un déni de démocratie. De l'autre, il est porté par des élites qui parlent abusivement au nom des ilotes. Décidément, le populisme n'est vraiment pas populaire.

 

Précédents numéros





Toutes les parutions de l'année en cours
 

Les parutions classées par année