Romans


François Bon

Parking


1996
96 pages
ISBN : 9782707315526
12.70 €
30 exemplaires numérotés sur velin des papeteries de Vizille


 C'est l'histoire la plus ordinaire : un homme a vécu avec une fille et l’a laissée avec deux enfants. Il a tenté sa chance sur les routes, pour devenir finalement gardien de nuit dans un parking de grande ville. Dans les travées vides, une femme surgit et lui reproche cet abandon.
Au départ, la commande d’un monologue de vingt-six minutes pour la télévision. Puis trois ans avec ce texte pourtant bref à portée de main. S’expliquer avec ce sentiment qu’on n’a pas le choix, de comment et pourquoi un thème de travail, une histoire s’impose à vous. Comment faire littérature de la frange la plus contemporaine des images de nos villes ? 
François Bon

* Ce volume est composé de trois textes : Parking - Comment " Parking ” et pourquoiVersion pour trois acteurs.

Jean-Claude Lebrun (L'Humanité, 3 mai 1996)

Avec vue sur le sous-sol
Quand un écrivain s'arrête sur le texte en travail.
 
 François Bon, à partir d'une expérience d'écriture pour la télévision, nous propose aujourd'hui un petit livre qui montre dans quel rapport de mutuel enrichissement, et d'obligation, se tiennent l'écrivain et son texte. Parking constitue en effet l'un de ces moments rares où le lecteur peut se sentir au vif d'une création. Avec l'exaltation qui s'y mêle. Des choses complexes, lumineusement exposées, derrière une œuvre de première force, sur “ la frange la plus contemporaine des images de nos villes ”. Une étape sans doute utile à l'écrivain. Et prodigieusement éclairante pour ses lecteurs.
 
Voici un livre précieux. Parce qu'il n'est guère habituel qu'un écrivain ouvre en grand la porte de son atelier et dévoile ses sources d'écriture, en un acte de clarté qui ne mésestime pas pour autant la part de l'obscur. À l'origine, il y avait eu une commande faite à François Bon : un monologue pour un film de vingt-six minutes à la télévision, dont Romain Goupil serait le réalisateur. L'un de ces travaux qui permettent à des écrivains de boucler pendant quelque temps leurs fins de mois et au petit écran de faire œuvre véritablement créative. Or l'affaire prit ici de bien plus vastes proportions. Jusqu'à déboucher sur une réflexion tout à fait captivante, des pages à la fois tendues et lumineuses, qui aident à mieux concevoir la succession de strates, à travers quoi un texte vient à se frayer sa voie, dans un mouvement qui s'impose à son auteur.
Le livre se présente en trois parties : le monologue intitulé Parking, la plongée dans la mécanique fine de sa genèse, la seconde version du texte initial, dite cette fois par trois voix différentes. Une présentation d'apparence fragmentaire, mais derrière laquelle se dégage une très forte cohérence. Au début de Parking, l'on entend quelqu'un se lancer dans une déploration, à la fois précise dans son détail et obscure dans sa portée. De la même façon que dans l'ouverture de Décor ciment, une parole, comme tendue par d'étranges visions intérieures, véritables illuminations, en effet soudain s'élève et prend possession de l'espace. C'est la voix d'une femme. Devant elle, dans la guérite vitrée d'un parking souterrain, l'on devine un homme. Il est le père de ses petits-enfants. Il avait été le compagnon de sa fille, avant de la quitter pour devenir routier, dans un rêve d'espace et d'élargissement de soi, au bout duquel il avait échoué dans cette étroite cage de verre, encore plus seul et plus misérable, ignorant que son ancienne femme s'était un samedi soir donné la mort, “ pendue à une fenêtre ”. Cette nuit, avec devant lui son transistor et sa Thermos, il lui faut entendre la voix qui l'interpelle et relie son pitoyable itinéraire personnel à quelque chose de plus vaste : son appartenance, quoi qu'il ait pu en avoir, à un destin commun, “ aux bords gris de la ville ”. Cette parole exaltée, poignante et superbe, que François Bon hausse à l'intensité de la scansion antique, apparaît ici d'un même mouvement comme celle d'une douleur et celle d'une lucidité engendrée dans la poussée de la langue : “ On donnerait cher pour un peu plus d'innocence, tout reprendre comme on nettoie la toile cirée d'une table. ” De tout cela, qui passe comme une coulée brûlante, François Bon s'explique dans la partie centrale du livre, qui en constitue aussi manifestement la cellule mère. Parce que la vingtaine de pages de Parking, trois années durant, n'a pas cessé de l'interroger sur la façon dont il se trouva en être le porteur, le faisant remonter loin en amont, pour déboucher sur la question centrale qui, depuis... Sophocle, se pose à la littérature : “ Qu'est-ce qui pousse les hommes à se représenter eux-mêmes ? ” On y voit comment des données autobiographiques – un employé observé derrière la vitre de son guichet, une nuit de 1988 aux urgences d'un hôpital berlinois, l'expérience, d'une résidence d'écrivain, quinze mois durant, dam, une cité de la Seine-Saint-Denis, le souvenir du garage des parents, dans le Poitou, où Simenon avait accoutumé de venir faire le plein... – viennent coïncider, ou plutôt se combiner, sans que rien l'ait laissé présager, à des lectures et à des bouts de textes recopiés sur des cahiers. Au terme de quoi, dans la parole de là femme s'adressant au gardien du parking, sont venus par exemple se loger des images et des vers venus en bloc d'Eschyle (tels le prémonitoire “ Quand il serait si beau et si simple à chacun / De tenir le rôle qui lui convient ”, trouvé dans Les Perses). De même que le sens y circule conformément à une réflexion conservée de Rilke (“ sur la surface d'un tableau, chaque élément communique avec tous les autres ”). À ces sources, on distingue encore Hegel et Koltès, et Claudel, dont une image constitua le déclic ultime de l'écriture. Et Balzac naturellement, auquel Décor ciment empruntait déjà le personnage de Louis Lambert.
Chez tous ceux-là se trouve en effet posée la question de la représentation : de chacun par soi-même, dans ses comportements et ses images mentales ; de chacun comme porteur d'une part d'universel (“ l'objet à décrire, c'est le monde au présent ”). Trente-cinq pages denses, mais en même temps d'une éblouissante simplicité, au plus près de la pratique quotidienne de l'écrivain, qui suggèrent comment une multitude d'alluvions passent par capillarité dans le texte.
La partie finale du livre, forte de cette exploration, redistribue alors la parole entre la mère, la fille et un témoin.
Pour une autre hypothèse de représentation. Autrement dit, pour un nouvel exercice de jointoiement, entre la vision, qu'alimentent le vécu et l'autobiographie, et l'héritage, par rapport auquel se constitue aussi chaque texte nouveau, dont l'écrivain sait seulement au début “ comment ça parle ”.
À charge pour lui de fertiliser cette matrice et de “ faire littérature ”. C'est un petit livre essentiel, permettant d'aller profond dans la compréhension de son écriture, que nous offre là François Bon. 

Jean-Baptiste Harang (Libération, 1996)

 Les vingt premières pages du livre transcrivent un monologue, la parole d’une femme âgée, elle s’adresse à un gardien de parking dont on comprend vite qu’il fut pour elle une sorte de gendre, qu’il fit deux enfants à sa fille, qu’il disparut, et que la fille s’est pendue. (...) Le cœur de l'ouvrage est sa partie centrale, “ Comment Parking et pourquoi ”, trois ans après avoir écrit Parking, François Bon remonte le cours du texte en amont de son écriture, comme un saumon consciencieux se glisse au travers des eaux de la mémoire, à contre-courant, vers la nuit des origines. On se retrouve à Berlin, dans le sous-sol de l'hôpital où un enfant vient de lui naître, où le mot “ Parking ” s'impose, non pas comme le nom du lieu qu'il représente, mais comme l'abstraction d'un désert grisé. On rencontre “ ce garçon à peine plus vieux que moi : il ne voulait plus conduire de gros camions à cause d'un accident qui aurait pu lui être morte ” (page 34), et qui fournit à lui seul toute la carrière professionnelle du gendre de Parking, une carrière circonstanciée puisque l'auteur lui-même un autre routier, nais dont le monologue ne donne guère plus que l'intitulé. Surgit sur le passage un autre garage, celui de l'enfance, garage tenu par les grands-parents de l'auteur, et cette grand-mère servant du super à Georges Simenon. On passe par Hegel, par Jules Verne et les Indes, la banlieue de Paris où Bon vécut longtemps, on cite des musées, à Rome, Pétersbourg ou Munich, pour revenir aux “ alignements gris ” qui bordent bien des lieux et encadrent les pages lues tout à l'heure de Parking. Et cet ultime garage, aménagé en studio où François Bon écrit sous l'orage d'une musique forte, la nuit, “ dans une pièce sans fenêtre, de parpaings nus ”.
Cette partie centrale du livre “ Comment Parking et pourquoi ” n'est ni pédante ni narcissique, au contraire, elle est d'une évidente sincérité, de cette fière modestie qu'ont parfois les artisans à faire visiter leur atelier. Elle est directement recevable : le lecteur sait exactement de quoi on parle puisqu'il vient de lire et d'aimer les vingt pages de Parking, il est séduit et épaté, flatté même, comme si, après la représentation, on pouvait rester, ébahi, débattre longuement avec l'auteur et ses secrets. 

 




Toutes les parutions de l'année en cours
 

Les parutions classées par année