Paradoxe


Jean-François Hamel

Nous sommes tous la pègre. Les années 68 de Blanchot


2018
144 pages
ISBN : 9782707344175
14.50 €


Le 18 mai 1968, sous les drapeaux rouges et noirs de la Sorbonne occupée, se constitue le Comité d'action étudiants-écrivains. Pendant des mois, ses militants se réunissent pour produire des tracts, des affiches et des bulletins et les distribuer au carrefour des rues, sur les marchés, aux portes des usines, à l’exemple des centaines de comités apparus dans la région parisienne. Délaissant la littérature, ils défendent l’espace public oppositionnel créé par le soulèvement, où ils reconnaissent  l’émergence d’une parole d’outrage et la préfiguration d’un communisme libertaire.
Aux côtés de Marguerite Duras, Daniel Guérin, Jean-Jacques Lebel, Dionys Mascolo et d’une vingtaine d’autres écrivains et intellectuels, Maurice Blanchot s’engage corps et âme dans ce comité. Se mêlant aux foules insurgées, il prend le parti de la « pègre », des « émeutiers » et des « enragés », de tous ceux qui s’éprouvent ingouvernables. Ces semaines insurrectionnelles qui viennent clore pour lui une décennie d’engagements antiautoritaires lui donnent le sentiment d’être à la fin de l’histoire, toute communauté dissoute, tout pouvoir destitué : « la révolution est derrière nous ».

ISBN
PDF : 9782707344199
ePub : 9782707344182

Prix : 10.99 €

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Lire l'article de Nathalie Quintane dans Sitaudis.fr.



Jean Birnbaum, Le Monde, 9 mars 2018

Ecrivains, apprenez à ne plus l’être !

Boris Gobille et Jean-François Hamel décrivent le défi que Mai 68 a représenté pour les avant-gardes littéraires. Passionnant

Le plus douloureux, pour l’avant-garde, c’est après. Dans la doctrine de Lénine, quelques-uns s’en souviennent, les intellectuels devaient aider les travailleurs à prendre conscience de leur vocation historique : bâtir une société égalitaire où les intellectuels, justement, n’auraient plus lieu d’être. Plus généralement, c’est chaque moment révolutionnaire qui remet l’avant-garde devant sa responsabilité – disparaître pour que naisse le monde nouveau.
En 1968, les écrivains furent particulièrement concernés par cette brûlante injonction, ainsi que le montre la réjouissante étude de Boris Gobille. Issu d’une thèse de doctorat, ce travail éclaire le « défi » que Mai 68 représenta pour les avant-gardes littéraires. Depuis des années déjà, ces dernières avaient dynamité les catégories « à travers lesquelles la littérature se pratique, se pense et se dit ». Avec le structuralisme (Barthes, Foucault, notamment), elles avaient décrété la mort de « l’auteur ». Par leur radicalité esthétique et politique, elles ne pouvaient qu’applaudir et épauler un soulèvement visant à libérer la parole de chacune et de chacun.
Mais, pour ces avant-gardes, une fois de plus, rejoindre la rébellion, c’était savourer les délices du prophétisme autodestructeur. Car elles ne pouvaient survivre longtemps à une insurrection dont l’arme était « la créativité à la base », comme l’affirme alors la commission « Nous sommes en marche » du comité d’action de Censier. En proclamant que l’imagination était la chose la mieux partagée, et qu’elle ne saurait plus saurait plus être réservée à une poignée d’artistes patentés, l’élan de mai renvoyait chaque avant-garde dans les arrière-cuisines de l’Histoire. Dès le 20 mai 1968, du reste, le comité d’action « Rue Bonaparte, Les Inconnus », d’inspiration situationniste, raillait « la créativité bidon et aliénée des gens qui se prennent pour des avant-gardes »…
« Destitution symbolique »
Mêlant sociologies du champ littéraire et des crises politiques, Boris Gobille cherche à savoir comment ce défi a été relevé. Et, plus précisément, pourquoi telle avant-garde consacrée (les surréalistes) s’est bien adaptée à ce « grand mouvement de destitution symbolique », alors que telle autre émergente (le groupe Tel quel) s’est vite trouvée larguée. Pour ce faire, il décrit le fonctionnement des réseaux de mobilisation (notamment dans les colonnes du Monde et du Nouvel Observateur), la logique des affinités politiques (autour de revues comme Les Temps modernes ou Arguments) et le renouvellement des outils militants (la pétition, le communiqué, le tract…). Plonger dans ce livre, c’est donc traverser plusieurs décennies de débats enflammés sur l’engagement de l’écrivain, à une époque d’ébullition intellectuelle et idéologique. D’une plume à la fois savante et pédagogique, le chercheur éclaire le moment 68 en le situant dans le temps long, remontant aux luttes anticoloniales, et même à la Libération.
Au cœur de ce passage de témoin entre les générations militantes et les écritures politiques, on trouve un collectif, le Comité d’action étudiants-écrivains, créé à la Sorbonne le 18 mai, et un intellectuel qui y joue un rôle central, Maurice Blanchot (1907-2003). Si Boris Gobille leur consacre déjà d’amples développements, un autre essai en fait le cœur de son propos. Intitulé Nous sommes tous la pègre, ce livre, signé Jean-François Hamel, célèbre la rencontre entre le spontanéisme de Mai et le « communisme d’écriture » théorisé par Blanchot.
Là encore, c’est l’occasion de lire de belles pages sur la remise en cause des notoriétés individuelles et l’explosion d’une littérature sauvage, dans les manifs, sur les marchés, à la sortie des usines et du métro… On retrouve également ici le moif de l’autorité en ruine, des renommées sacrifiées : « Intellectuels, apprenez à e plus l’être », pouvait-on lire sur un mur de Censier. Avec un enthousiasme érudit et raffiné, Jean-François Hamel montre que cet état d’esprit épousait la  conception de Blanchot : pour ce dernier, l’écrivain révolutionnaire ne doit pas mettre son art au service du soulèvement mais se noyer « dans le flux impersonnel des discours ».
Un geste impossible
Ce grand refus de tout pouvoir, y compris celui de la littérature, et de tout discours légitime, l’auteur le replace à son tour dans la mémoire des désobéissances, à commencer par la lutte contre la guerre d’Algérie. Mais si Jean-François Hamel souligne la révolte de Blanchot contre cette guerre, il passe un peu vite sur son engagement à l’extrême droite dans les années 1930. C’est regrettable. Non parce qu’il faudrait s’en indigner, mais parce qu’il permettrait d’examiner le lien entre l’esprit émeutier de Blanchot à l’époque des Ligues et l’humeur insurrectionnelle qu’il manifesta en 1968. Pour creuser ce lien, mieux vaut se tourner vers l’essai de Boris Gobille. Selon ce dernier, la théorie critique de Blanchot, qui fait de la littérature un geste impossible, refléterait les deux impossibilités où lui-même se débattait, « entre désir de refouler son passé extrémiste et impossibilité de le forclore ». 

Le Mai 68 des écrivains. Crise politique et avant-gardes littéraires, de Boris Gobille, CNRS Editions.
Nous sommes tous la pègre. Les années 68 de Blanchot, de Jean-François Hamel, Minuit.



Lire l'article de Michael Holland, "En attendant Blanchot" dans En attendant Nadeau, n° 53, 11 avril 2018

Lire l'article de Jérémie Majorel, "Blanchot en mai" dans La Vie des idées, 22 juin 2018

 

 




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