“ Prends garde, dit un adage russe, que ta tête ne se trouve entre les mains de ceux qui t’applaudissent.
Nombre des êtres qui contribuent à nous rendre la vie plus vive, sont les victimes de notre idolâtrie.
Le trompettiste Chet Baker, le peintre Jean-Michel Basquiat et l’écrivain Bernard-Marie Koltès, sont de ces “ anges ” transformés en objets de culte par l’adulation de ceux qui leur ont survécu.
Mais ceux qui ont pour nom désormais (quelque part dans les limbes...) Prince de la Fêlure, Enfant Radiant et Desperado Joyeux, n’ont pas encore dit leur dernier mot.
Bernard-Marie Koltès est né le 9 avril 1948 à Metz, dans une famille catholique pratiquante – son père était officier de carrière. Cet écrivain, dramaturge et romancier, que Patrice Chéreau qualifia de “ desesperado joyeux ”, est mort du sida, à Paris, le 15 avril 1989, à l’âge de quarante ans.
Jean-Michel Basquiat est né le 22 décembre 1960 à Brooklyn, New York, d’une mère d’origine portoricaine et d’un père d’origine haïtienne. dans une famille de la middle class américaine. Ce graffiteur devenu en quelques années l’un des peintres les plus cotés de la planète, complice d’Andy Warhol, que René Ricard nommait “ l’enfant radiant ”, est mort le 12 août 1988, dans son loft, à New York, d’une overdose d’héroïne, à l’âge de vingt-sept ans.
Chet Baker est né le 23 décembre 1929, à Yale, petite ville de fermiers de l’Oklahoma, deux mois après le krach boursier de Wall Street. Ce trompettiste et chanteur, “ prince de la délicatesse et de la fêlure ” (la formule est de Gérard Rouy), qui sillonnait le monde de concerts en studios, sans foyer ni compte en banque, fut retrouvé mort le vendredi 13 mai 1988, dans une petite rue d’Amsterdam, derrière le Prinz Hendrik Hotel, tombé de la fenêtre de sa chambre, située au deuxième étage. Il était âgé de cinquante-neuf ans.
Mon respect pour ces trois-là, et l’amour que je porte à leurs œuvres respectives, m’ont conduit à représenter leur rencontre post-mortem dans les limbes muséales de l’adulation générale.
Le titre d’un dessin d’Antonin Artaud (“ La Révolte des anges sortis des limbes ”), représentant trois cercueils ouverts et habités, outre qu’il m’a fourni le titre du poème dramatique, a grandement nourri les songeries qui présidèrent à sa composition.
Enzo Cormann
* Cette pièce à été créée le 24 novembre 2004, au Théâtre National de la Colline (Petit Théâtre), dans une mise en scène d’Enzo Cormann.
Du même auteur
- Credo, 1982
- Sang et eau, 1986
- Sade, concert d'enfers, 1989
- Takiya ! Tokaya !, 1992
- La Plaie et le couteau, 1993
- Diktat, 1995
- Toujours l’orage, 1997
- Cairn, 2003
- La Révolte des anges, 2004
- L'Autre, 2006
- Je m'appelle et autres textes, 2008