Critique


Michel Picard

La Lecture comme jeu

Essai sur la littérature


1986
Collection Critique , 328 pages
ISBN : 9782707310828
30.00 €


Il s’agit, non d’une simple métaphore, mais de concevoir effectivement et strictement la lecture comme un jeu, et donc de se référer aux caractéristiques et surtout aux fonctions du jeu pour la décrire. Il est dès lors plus aisé de comprendre ce que représentent le désir et le plaisir de lire, ce qui se joue au plus profond, entre fantasme et réel, et d’assigner à l’illusion livresque un statut précis, lié au dédoublement fondamental de tout joueur. Le lecteur joue gros jeu, se met en jeu, assume des risques véritables. Des règles organisent ses rapports complexes avec l’illusion et avec l’aventure dans lesquelles il s’engage. Traitant par homéopathie le danger et offrant la découverte de l’altérité, la lecture constitue une paradoxale épreuve de réalité ludique.

‑‑‑‑‑ Table des matières ‑‑‑‑‑

I. Le jeu et sa fonction. Interlude 1 : La Maison de Claudine – II. Le besoin de lire, ou le sujet. Interlude 2 : Lecture, réparation et identité d’après les trois mousquetaires – III. L’illusion ou l’entre-deux. Interlude 3 : Les châteaux du duc. Roman et épreuve de la réalité ludique, d’après La Fête de Roger Vailland – IV. Les visages de l’altérité ou l’objet. Interlude 4 : Le trésor de Nemo. La double face des tricheries, d’après L’Ile mystérieuse – V. Jeux littéraires et dialectiques ludiques. Interlude 5 : Les parures de l’autre. Comment s’articule la lecture – VI. La lecture littéraire. Interlude 6 : La prodigalité d’Emma Bovary – VII. Qui joue à la littérature ? – Index

Antoine Spire (Le Matin, novembre 1986)

« (…) En faisant de la lecture un jeu, Michel Picard nous donne accès à la complexité du processus. On a beaucoup écrit sur l’écrivain et ses intentions, sa biographie et son œuvre, mais il était temps que l’on se concentre sur les processus inconscients d’appropriation du texte par le lecteur. Michel Picard le fait, en ponctuant son propos théorique d’interludes destinés à en illustrer les aspects majeurs : La Maison de Claudine, Les Trois Mousquetaires, La Fête de Roger Vailland, le capitaine Nemo et son Île mystérieuse, la rencontre entre Julien Sorel et Mme de Rénal, la prodigalité d’Emma Bovary sont ainsi convoqués comme des moments ludiques exemplaires.
Roger Caillois, dans son analyse du jeu, insistait sur son aspect compétitif et son caractère hasardeux. Dédoublement donc : compétition de moi avec moi dans la lecture ; comportement erratique du lecteur qui triche parfois avec la matérialité du texte pour courir à ce qu’il cherche et qu’il croit devoir enfin le satisfaire.
Quels besoins vient donc combler la lecture ? Michel Picard met à nu le processus de sublimation des pulsions qui y sont mises en œuvre. Pulsions orales (ne parle-t-on pas de “ dévoreurs ” de livres ? ), désir de voir, de soulever la couverture, de digérer un contenu pour le restituer à d’autres ; pulsions génitales enfin avec l’investissement du désir sexuel qui s’empare des personnages et des situations.
Et jouer c’est aussi essayer un rôle. On pense d’abord au processus simple d’identification du lecteur au héros – à d’Artagnan ou à Julien Sorel. Mais Michel Picard nous entraîne moins vers le sujet fictif que vers le rapport social entre les personnages. C’est aux relations qu’on s’identifie, plus qu’aux individus.
Ainsi nous aimons lire parce que les textes nous permettent de jouir de nos propres fantasmes sans scrupule ni honte. Et tout cela peut se répéter, pas exactement dans l’identique, mais avec ce léger déplacement qui multiplie à l’infini les significations. L’actualisation du souvenir se mêle à la mémoire textuelle, le temps du récit recoupe le temps des personnages pour produire ce cocktail étrange d’où sortent autant de lectures qu’il y a de lecteurs. L’intériorisation progressive permet sans doute l’acquisition d’une compétence et le jugement critique, mais il reste toujours un objet irréductible à l’appropriation par le lecteur.
On aura scrupule à dire tout le plaisir qu’on prend à dévorer le livre de Michel Picard, mais dût-on choquer, au terme de cette formidable analyse rationnelle, on se souviendra du mot de Jean Paulhan : “ Les gens gagnent à être connus, ils y gagnent en mystère. ”»

 




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