Critique 


Revue Critique

Critique n° 769-770 : Sur les traces de Carlo Ginzburg


2011
160 p.
ISBN : 9782707321794
14.00 €

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Ce numéro spécial, dirigé par Patrizia Lombardo et Martin Rueff, est consacré à l'oeuvre d'un des plus grands histo­riens vivants. Considéré comme un repré­sentant essentiel de la microhistoire , Carlo Ginzburg conjugue l’érudition la plus attentive au souci de dégager les tendances de la recherche historique contemporaine. Spécialiste de la période de l’Inquisition, influencé par la pensée d’Aby Warburg et d’Arnaldo Momigliano, attentif aux phénomènes qui, comme la langue et l’étymologie des mots, portent les traces des parcours labyrinthiques de l’histoire, il unit l’approche philologique à l’interrogation sur les manières d’écrire l’histoire.

Sommaire

Patrizia Lombardo et Martin Rueff : Sur les traces de Carlo Ginzburg

Krzysztof Pomian : Portrait de Carlo Ginzburg. Une esquisse

Pedro Cordoba : Les formules de la peur
Carlo Ginzburg, Peur, révérence, terreur. Quatre essais d’iconographie politique

Jacques Rancière : De la vérité des récits au partage des âmes
Carlo Ginzburg, Le Fil et les Traces. Vrai faux fictif

Patrizia Lombardo : La connaissance historique et le tempérament de l’historien

Hélène Merlin-Kajman :  Champs magnétiques . Littérature et traces documentaires
Carlo Ginzburg, Le Fil et les Traces. Vrai faux fictif
Carlo Ginzburg, Mythes emblèmes traces. Morphologie et histoire

Martin Rueff : L’historien et les noms propres

Italo Calvino : L’oreille, le chasseur, le potin

François Hartog : Aristote et l’histoire, une fois encore

Bérenger Boulay : Un nouveau discours de l’histoire

Simona Cerutti :  À rebrousse-poil . Dialogue sur la méthode

Carlo Ginzburg : La Lettre tue. Sur quelques implications de la deuxième épître aux Corinthiens, 2, 3.6

Bibliographie sélective

Nicolas Weill, Le Monde, 6 juin 2011

Non, l'histoire n'est pas qu'une fiction

Et si les faits historiques (ou journalistiques) n'avaient d'autre réalité que le langage ou l'écriture qui les porte ? Et si la méthode aussi bien que l'objet de l'histoire relevaient de la littérature et de la rhétorique et qu'aucune limite bien précise ne séparait cette discipline de la fiction ? Ces questions aussi anciennes que récurrentes ont été radicalisées dans les années 1960 par ce que le philosophe américain Richard Rorty qualifia de linguistic turn (tournant linguistique).
En 1978, l'historien et critique littéraire californien Hayden White publiait dans ce sillage un ouvrage capital consacré en grande partie à l'historiographie du XIXe siècle, à Michelet et Tocqueville entre autres, ouvrage toujours indisponible en français : Metahistory. Il y montrait à quel point le choix de figures de style (ou tropes : métaphores, métonymies, etc.) s'avérait déterminant pour le contenu de l'histoire définie comme une "mise en intrigue".
Cette conception, qualifiée par ses adversaires de "scepticisme postmoderne", se voulait une réaction à la longue domination de l'histoire sociale et au culte parfois obsessionnel de l'archive écrite. Elle a provoqué de solides oppositions dans la profession, dont celle du grand historien italien Carlo Ginzburg, auquel ce numéro spécial de Critique est consacré. La plupart des contributions tournent autour de cette controverse qui ne cesse de hanter les sciences historiques. La dynamique postmoderne consistant à ramener la réalité historique au récit qu'on en fait s'était d'abord heurtée à la montée en puissance du thème de la Shoah. Carlo Ginzburg a ainsi participé, aux côtés de l'historien du Génocide, Saul Friedländer, à un ouvrage important de 1992 - lui aussi non traduit - Probing the Limits of Representation. Nazism and the Final Solution ("Les limites de la représentation à l'épreuve. Le nazisme et la solution finale"). Un recueil considéré comme la pierre d'achoppement du "tournant linguistique". Aujourd'hui, si les relations entre histoire et roman demeurent tumultueuses, comme l'ont montré encore les polémiques autour du livre de l'écrivain Yannick Haenel Jan Karski (Gallimard, 2009), qualifié de "falsification" par Claude Lanzmann, les historiens, eux, semblent avoir retrouvé le goût de l'archive plus que de la littérature.
C'est ce mouvement que décrivent, à leur façon, les auteurs de ce parcours à la fois savant et initiatique sur l'activité érudite que C. Ginzburg a constamment mêlée à une réflexion sur sa propre pratique. Les contributions du philosophe Jacques Rancière et des historiens Hélène Merlin-Kajman, François Hartog, Patrizia Lombardo, Martin Rueff, Krzysztof Pomian, etc., explorent la forêt de notions qu'a exploitées l'auteur du Sabbat des sorcières (Gallimard, 1992), à l'origine plutôt porté sur la fin du Moyen Age et le XVIe siècle, mais de plus en plus tenté par des périodes récentes voire contemporaines (du XIXe siècle aux "années de plomb" italiennes de la décennie 1970). "Traces", "paradigme indiciaire", "micro-histoire" : toutes visent à montrer qu'au-delà de l'indispensable noyau narratif, le matériau historique fait bel et bien signe vers une réalité.
Le numéro contient un inédit de Carlo Ginzburg lui-même, au titre significatif dans ce contexte : "La lettre tue. Sur quelques implications de la deuxième épître aux Corinthiens, 2, 3.6", ainsi qu'un texte de l'écrivain Italo Calvino sur Ginzburg, paru originellement dans le quotidien La Repubblica (20-21 janvier 1980) "L'oreille, le chasseur, le potin", pour la première fois en version française.

 

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