Romans


Monique Wittig

L’Opoponax

Prix Médicis 1964
Réédition en 1983 avec une postface de Marguerite Duras


1964
288 pages
ISBN : 9782707306623
* Réédition dans la collection de poche "double" n° 110


L’ “ opoponax ” n’emploie ni le langage des adultes, ni celui des enfants ; ce n’est ni le romancier, ni un narrateur. Confrontant – dans un “ on ” mouvant – le “ il ” et le “ je ”, il semble bien les avoir annulés l'un par l'autre : cette voix qui parle au présent de choses très concrètes, qui s’affermit et se découvre elle-même peu à peu, ne serait-ce pas simplement la nôtre ?

‑‑‑‑‑ Extrait de la postface de Marguerite Duras‑‑‑‑‑


Mon Opoponax, c'est peut-être, c'est même à peu près sûrement le premier livre moderne qui ait été fait sur l'enfance. Mon Opoponax, c'est l'exécution capitale de quatre-vingt-dix pour cent des livres qui ont été faits sur l'enfance. C'est la fin d'une certaine littérature et j'en remercie le ciel. C'est un livre à la fois admirable et très important parce qu'il est régi par une règle de fer, jamais enfreinte ou presque jamais, celle de n'utiliser qu'un matériau descriptif pur, et qu'un outil, le langage objectif pur. Ce dernier prend ici tout son sens. Il est celui-là même – mais porté au plain-chant par l'auteur – dont l'enfance se sert pour déblayer et dénombrer son univers. Ce qui revient à dire que mon Opoponax est un chef d’œuvre d'écriture parce qu'il est écrit dans la langue exacte de l'Opoponax.
Mais il ne faut pas s'effrayer : les adultes même s'ils l'ignorent connaissent le langage opoponax. Il leur suffira de lire le livre de Monique`Wittig pour qu'ils s'en souviennent. À moins, mais cela peut arriver, d'avoir des yeux très fatigués par une littérature très fausse ou d'ignorer même si on fait carrière dans la littérature.
De quoi s'agit-il dans le livre ? D'enfants. De dix, cent petites filles et petits garçons qui portent les noms qu'on leur a donnés mais qui pourraient aussi bien les échanger contre des sous neufs. Il s'agit de mille petites filles ensemble, d'une marée de petites filles qui vous arrive dessus et qui vous submerge. Il s'agit bien de cela en effet, d'un élément fluide et vaste, marin. Toute une moisson, une marée d'enfants portés par une seule vague : car tout d'abord, quand le livre débute, ils sont très très jeunes, ils sont dans le fond d'un âge sans fin. On a dans les trois ans, je dirais, de Véronique Legrand ?
Nous avons tous écrit ce livre, vous aussi bien que moi. Une seule d'entre nous a découvert cet Opoponax que nous avons tous écrit, que nous le voulions ou non. C'est une fois le livre fermé que s'opère la séparation... Un chef-d'œuvre.
Marguerite Duras.

ISBN
PDF : 9782707344496
ePub : 9782707344489

Prix : 8.99 €

En savoir plus

Jacqueline Piatier (Le Monde, 14 novembre 1964)

« Monique Wittig a l'air d'une toute jeune fille, mais elle frise la trentaine. On pourrait prendre L'Opoponox, son premier roman, pour une œuvre naïve. Il est en fait des plus concertés et soumis à de difficiles exigences. “ J'ai fait ce que je voulais faire ”, déclare-t-elle sans impudence. Je ne crois pas qu'elle atteigne tous les buts qu'elle s'est fixés. Mais elle nous apporte incontestablement quelque chose d'original et d'efficace, à quoi l'on ne saurait échapper.
L'Opoponax, au niveau le plus simple, est l'histoire d'une petite fille, de l'école maternelle à sa dernière année scolaire. Mais justement cette petite fille, Catherine Legrand, n'a pas d'histoire. Elle vit, comme tous les enfants, entre ses maîtresses et ses camarades – les autres adultes sont lointains – parmi les occupations de la classe, les jeux de la récréation, les promenades du jeudi, les grandes échappées des vacances et quelques événements du monde extérieur qui, chose à noter, ne concernent que la mort. Chacun des longs chapitres, sans blanc, sans paragraphe, où Monique Wittig essaie de saisir le courant ininterrompu de la vie enfantine en juxtaposant, sur le même plan, scènes de classe et scènes de plein air, est ponctué par une mort : celle d'une camarade, d'un bébé, d'un oncle, d’une religieuse du pensionnat où elle fait ses études, de l'évêque, d'une surveillante. Bien sûr, la mort fait partie de la vie. Est-ce pour cela ? Est-ce parce que le spectacle insolite qu'elle entraîne : femmes en pleurs, messes d'enterrement, gens endimanchés, reste gravé dans la mémoire ? Est-ce parce qu'à son contact L’attitude spécifique de L’enfance apparaît en clair ? Les petites filles de L'Opoponax assistent au théâtre dont la mort est l'occasion, elles n'y participent pas. On se bouscule, on se chatouille dans l'escalier qui monte à la chambre mortuaire, où L’on va asperger d'eau bénite le cadavre d'un enfant. Et, sitôt après la visite, la vie reprend son cours où se mêlent si bien les bribes du savoir qu'on est en train d'acquérir, les bagarres, les papotages et toutes les impressions qu'on reçoit du monde extérieur.
Le temps passe dans ce livre, et L’enfance fuit avec lui. Les matières étudiées changent. Les échos de la dictée ou de la multiplication font place à ceux de la géographie, de la leçon de choses, du latin, de Corneille. Les jeux, eux aussi, se transforment. Le monde s'élargit à mesure que s'allongent les jambes qui les parcourent. Catherine Legrand évolue. Et soudain le cœur s'ouvre, on a des extases dans l'herbe haute, on se récite des vers, on en compose, on se prend de passion pour une petite amie. C'est alors que l'opoponax fait son apparition tardive dans le livre. Il ne doit à la plante que son nom prestigieux si bien fait pour évoquer ce qu'il est : le mystère, l'étrange, la difficulté d'être, la résistance que tout à coup le monde et les autres vous opposent, parce qu'on vient tout juste de prendre conscience de soi. L'éclosion a été lente, progressive, sans tournant brusque. Les petites filles ont mûri comme les fruits au soleil.
Pour rendre ce flux de l'existence, Monique Wittig, à l'instar des maîtres du Nouveau Roman et de Robbe-Grillet principalement, a demandé à la caméra de saisir cette enfant en évolution. Une caméra qui est à la fois objective et subjective projette tantôt des images que Catherine Legrand se fait du monde, tantôt la saisit, elle, dans ses gestes, ses actes, son décor. Cette oscillation met comme une dissonance au centre de L’Opoponax.
On ne sait pas qui est le narrateur du livre. Le sujet des phrases oscille entre “ Catherine Legrand ” (point de vue objectif) et le pronom on (point de vue subjectif), dont Monique Wittig tire plusieurs effets. Tantôt, c'est le on collectif de l'enfant qui se distingue mal du groupe auquel il appartient. Tantôt, c'est le on indéterminé de la généralisation. Car cet univers enfantin est aussi bien celui de l'auteur que celui de Catherine Legrand ou que le nôtre. Classique en cela, Monique Wittig tend au général, non au particulier.
La même ambiguïté encore se situe au niveau de la langue. Par ses tournures syntaxiques, ses bouts de dialogues amalgamés sans rupture dans la pâte du récit, elle semble appartenir à l'enfant. Puis on bute sur un mot étranger à cet âge. Ce n'est pas une inadvertance. C'est que le narrateur objectif intervient et commente.
Sous son apparente simplicité, L'Opoponax est donc rempli de calculs. Monique Wittig ne s'est pas facilité la tâche, avec ces procédés empruntés à l'art cinématographique. Elle a gagné en ce que l'impression produite par son livre est très forte. Le doit-elle à ces jeux compliqués ou tout bonnement à un art de peindre les êtres et les choses ? Son œil très vif capte les menus détails de la réalité. Par sa langue précise, concrète, elle nous plonge dans un univers de sensations, où les paysages, les enfants, les animaux, les objets, reçoivent une souveraine présence. L'Opoponax est un livre d'une poésie savoureuse et fraîche qui évoque celle de Francis Ponge. Et c'est aussi, parce que l'auteur voit juste, un livre d'humour. »

Rauda Jamis (Les Nouvelles littéraires, 1er décembre 1983)


« L’Opoponax, est-ce un être paranormal, un animal sorti d’un traité de zoologie fantastique ou un dialecte barbare ? Un peu de tout cela à la fois, l’Opoponax est en nous tous ou l’a été
Il parle de l’enfance, ou plutôt il parle l’enfance. Il n’est pas le souvenir chronologique séquentiel, événementiel d’une enfance. Il ne s’embarrasse pas de l’unique. Il L’a merveilleusement transcendé pour nous restituer le souffle le rythme initial de toute enfance. L’Opoponax regarde avec les yeux de l’enfant, sent par ses narines, pense avec sa logique, parle par sa bouche. L’odeur des foins nous assaille, sur notre langue l’acidité des pommes chapardées, à nous le petit serpent qu’on nourrit de têtards, sur notre visage les traits immobilisés par les réprimandes de l’institutrice (un autre monde)…
En lisant ce livre ce ne sont pas des pages qui se succèdent c’est le fil in continuo d’un temps retrouvé que l’on croyait inénarrable. Monique Wittig obtint pour ce petit chef-d’œuvre le prix Médicis en 1964, sa réédition nous le livre sans une ride, une écriture à la fois dense et fraîche dans laquelle on plonge avec délices Avec une postface de Marguerite Duras en prime. »

 




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