Critique


Michel Serres

Jouvences sur Jules Verne


1974
Collection Critique , 288 pages
ISBN : 9782707300058
25.00 €


Jules Verne est de son temps, son œuvre est un cycle de cycles, au sens où Hegel prétendait que L’Encyclopédie est un cercle des cercles. Un mouvement nouveau saisit l’occident au début du XIXe siècle, le voyage mondial des savants. Ce ne sont plus les marins, les soldats, les agriculteurs ou les missionnaires qui s’approprient la terre, ce sont les scientifiques. Astronomes au Cap, physiciens en Amérique du Sud, métreurs, cartographes et géologues partout. Notre géographie envahit la planète.
Le grand impérialisme fin de siècle se reflète dans cette mainmise du savoir sur l’universel. La terre cycle, l’espace courbe pour les déplacements, est identiquement le lieu de l’encyclopédie... Ce lieu mime la science, mieux qu’il ne l’a jamais fait chez Homère, Bacon ou Leibniz. Il n’y a de théorie que positive, réalisée, ici, là ou ailleurs. Au bout du compte, les Voyages extraordinaires sont le Cours de philosophie positive à l’usage de tous. Ils furent à la jeunesse de quelques générations ce que dut être l’Odyssée à la jeunesse grecque... Tout se passe comme si Verne avait réécrit l’épopée homérique... Le voyage d’Ulysse, donc, d’un Ulysse multiple a de multiples fils, dictionnaire du monde et de géographie, dictionnaire d’histoire... Bref le livre de tous les livres ou, si l’on veut, le manuel de tous les manuels possibles : se mettre à l’école.
L’intérêt passionné pris aux Voyages ne tient pas seulement aux enthousiasmes saint-simoniens pour la science et le progrès technique, il tient aussi aux adhérences culturelles de l’imagination au travail. Là est la résurgence d’une coulée fantastique de mythes. En cela, Verne écrit encore l’Odyssée. Il n’est pas sûr que l’essentiel soit de redessiner les grands cycles, réactivés ici. Hermès, le voyageur et Hermès, l’hermétique. Le but est autre, et double. Voir d’abord comment s’établit le voisinage vibrant et difficile entre cet espace immédiat parcouru en tous sens, le lieu du savoir traversé sans qu’il soit rien omis, et cette autre cartographie d’une terre inconnue, trop connue cependant pour ne jamais être laissée. Estimer ensuite si cette assignation est universelle, si elle peut être transportée ailleurs que dans l’œuvre de qui est réputé naïf. Et la réponse est oui.

Dans le discours de réception de Michel Serres à l’Académie française, le 31 janvier 1991, Bertrand Poirot-Delpech disait :  Jouvences sur Jules Verne est votre chef-d’œuvre. Vous y portez à son comble votre art de projeter toute une bibliothèque dans un livre et réciproquement. 

‑‑‑‑‑ Table des matières ‑‑‑‑‑

Préface

I. Cartes : 1. Un voyage au bout de la nuit – 2. Œdipe-messager – 3. Tables pour une caustique – Divertissement I : La loi Antifer

II. Chanceler : 1. Figures d’équilibre – 2. Analyse, les Spartoï – 3. Les eaux changées – Divertissement II : Échangeurs

Ill. Faim : 1. Vénus aux fourrures – 2. Le puraqué – 3. Wonderland in Alice – Divertissement III : Coûts

IV. Jeu : 1. Le texte parallèle : la vallée de la mort – 2. Orphée en morceaux – 3. Les Indes en feu 

Jacques Goimard (Le Monde, 1974)

 Michel Serres, comme jadis Bachelard, se recrée de l’épistémologie en s’adonnant à la critique... Il fait fonctionner des opérateurs scientifiques dans l’analyse de Jules Verne. Projet critique très neuf et sans doute riche d’avenir : nous ne serions pas étonnés que dans vingt ans, les Jouvences soient considérées comme un livre pionnier. 

 




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